Dans tous les débats sur le téléchargement sur fichiers internet protégés par les droits d’auteur, on a opposé la propriété intellectuelle à la liberté d’accès du public internaute. La réalité est que les droits d’auteur se trouvent aujourd’hui confisqués par les producteurs, qui exigent des artistes le renoncement à leurs droits théoriques, définis par la loi de mars 1957, pour des sommes généralement dérisoires. Les lois Dadvsi et Hadopi 1 et 2 n’ont donc pas pour effet réel de protéger les auteurs, mais les producteurs qui exploitent les auteurs. Il faut rappeler en passant que la loi Hadopi fut établie en 2009 sur la base des travaux du rapport Olivennes, inspiré par les industries du divertissement ; la loi Dadvsi, permettant aux marchands de contrôler les copies privées, en fut le préalable. Je suis donc favorable à l’abrogation de ces textes, d’autant plus qu’en l’état, ils impliquent de graves atteintes aux libertés publiques. C’est la liberté et le droit des auteurs à être en même temps connus, indépendants et protégés qui doivent revenir au centre du débat. Trois points définissent mon approche :
- protéger l’indépendance des auteurs vis-à-vis des producteurs ;
- faciliter l’accès des auteurs au grand public et réciproquement ;
- assurer une juste rémunération des auteurs.
La création artistique me tient à cœur, particulièrement dans le domaine musical, car je suis convaincu qu’elle est au fondement de la capacité d’accueillir et d’élever l’autre, ce qui est la trame de toute République. Quelque chose d’essentiel se trouve donc ici en jeu, à établir dans les conditions techniques de notre société.
I - Les lois Dadvsi et Hadopi relèvent d’un esprit oligarchique de la propriété.
Les seuls bénéficiaires de ces lois sont de fait les producteurs (principalement le lobby du show-biz) et les artistes jouissant d’une notoriété telle qu’ils peuvent faire valoir leurs droits ou devenir co-producteurs de leurs réalisations. Ces lois sont donc les lois du show-biz et de ceux qu’il a promus, eux-mêmes promus par les puissances financières que dénonce mon projet !
Pour les faire respecter, l’État prévoit deux types d’infraction. La première est le délit de contrefaçon : déjà puni jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison, il pourra en outre être sanctionné d’une suspension d’un an de l’accès à internet. Cependant, cette infraction étant très difficile à prouver sur la Toile, Hadopi a prévu de punir non l’acte de contrefaçon, mais la non sécurisation de l’accès à internet par lequel celle-ci aurait été effectuée. L’abonné pourrait ainsi se voir infliger 1500 euros d’amende et un mois de privation d’internet pour avoir mal surveillé sa connexion et l’avoir utilisée ou permis à un tiers de l’utiliser pour des actes illégaux. Cependant, le Conseil constitutionnel a justement estimé que seule l’autorité judiciaire a le pouvoir de sanction. Un juge seul pouvant donc établir les faits, l’artifice consistant à frapper l’acte de non sécurisation ramène au cas de figure initial : dans tous les cas, la contrefaçon doit être prouvée et établie. Les seuls éléments de preuve qu’Hadopi pourrait ainsi fournir au parquet seraient les propres aveux de l’internaute incriminé ou le relevé d’adresse IP horodaté recueilli par ce Big Brother qu’est Trident Media Gard (TMG), l’entreprise choisie par les sociétés représentant les droits d’auteur pour surveiller les partages des fichiers pair à pair. Or il s’agit là d’une preuve jugée fragile et repoussée par les tribunaux. Dans ces conditions, le parquet devrait diligenter une enquête ou une instruction pour prouver la négligence caractérisée de l’internaute. Ce qui constitue une arme au coup par coup et non celle permettant, comme le voudrait Hadopi, de sanctionner automatiquement une pratique de masse.
C’est pourquoi le gouvernement, qui espérait qu’Hadopi pourrait être directement juge et partie, a dû choisir une autre option : l’ordonnance pénale. Il s’agit d’une procédure simplifiée, sans débat et devant un seul juge qui n’aura pas plus de cinq minutes pour chaque affaire. Elle a été initialement conçue pour réprimer les infractions au Code de la route.
De plus, les ayant droits d’œuvres protégées et téléchargées illégalement pourraient se constituer parties civiles !
Ainsi, le gouvernement en est arrivé à une procédure caractérisée par une absence totale des droits de la défense : le présumé délinquant n’est pas entendu et le juge n’a pas à motiver sa décision. Il n’y aurait donc aucun débat contradictoire et la fixation des dommages et intérêts, qui par nature ne peut souffrir ni de simplicité ni de rapidité, serait expédiée en quelques minutes !
Ici le gouvernement montre son vrai visage : pour protéger le show-biz, il est prêt à s’asseoir sur les libertés publiques. C’est d’autant plus grave que le Conseil constitutionnel a décrit l’accès à internet comme une « liberté fondamentale ».
L’abrogation de la loi s’impose si l’on ne veut pas ouvrir la porte à l’arbitraire ou du moins accepter que l’on juge à la hâte pour défendre les privilèges d’intérêts financiers.
Je propose de revenir à l’intention de Jean Zay, le ministre du Front populaire qui fut à l’origine de la réflexion sur les droits d’auteur, même si son projet de loi fut alors enterré face à une coalition d’éditeurs et de juristes défendant un droit à la possession n’ayant rien à voir avec le véritable droit d’auteur. Le défi est, à nouveau, de permettre la meilleure relation possible entre les créateurs et leur public, dans l’intérêt des deux parties.
II - La licence globale est une fausse solution
Il s’agit d’un droit d’accès mensuel, pour un montant modeste de quelques euros, qui se substituerait au droit à la possession des lois Dadvsi et Hadopi. A priori, la solution paraît équitable pour les parties prenantes. Cependant, de fait, elle ouvre elle aussi à des sociétés spécialisées le privilège d’accès aux flux échangés.
En effet, pour vérifier le paiement effectif des licences, ce flux doit être nécessairement détecté – comme dans le cas des lois Dadvsi et Hadopi – par des systèmes d’analyse du trafic internet (Deep packet inspection, connu sous ses initiales de DPI). Déjà, des entreprises américaines et françaises se battent pour installer ce genre de « grandes oreilles », ce qui en réalité devrait être interdit ou sérieusement réglementé par une politique publique et transparente du numérique. Leur idée est de pouvoir disposer de données permettant de détecter les goûts et les habitudes des internautes afin de leur servir des « divertissements »
plus ou moins addictifs, avec des arrière-pensées commerciales évidentes. Ou encore bien pire.
L’on sait en effet que c’est l’une de ces sociétés intrusives ayant recours au système DPI, Amesys, qui avait équipé le centre de surveillance internet de Tripoli sous le colonel Kadhafi. Ce système, analogue à celui qui serait massivement utilisé vis-à-vis des internautes dans le système de licence globale, permet d’intercepter des communications, de traiter des données et de les analyser.
Ainsi, toute restriction ou tarification mise à l’accès aboutit fatalement à un contrôle social commençant par le commercial et l’abêtissement voulu, et risquant d’aboutir, dans les conditions de crise qui sont devant nous, à une mise en fiche électronique généralisée pour des raisons politiques. C’est pourquoi je défends le libre accès, c’est-à-dire une plateforme de téléchargement publique, avec des mesures de soutien et de défense en faveur des auteurs pour que la qualité de leur travail soit connue et reconnue par le public.
III - Une culture populaire de créateurs inspirant un grand public
Mon objectif est de créer les conditions pour qu’apparaisse et se développe une vraie culture populaire, et non une culture du divertissement dégradant, dans laquelle le rapport entre les créateurs et leur public pourra s’établir sans mainmise commerciale et à la lisière d’un esprit de découverte et de redécouverte des grandes réalisations des êtres humains. Où, par exemple, un grand public voudra et pourra avoir accès aux derniers quatuors de Beethoven. Pour y parvenir, je propose d’ouvrir les pistes suivantes :
- Tout d’abord, on devrait tout simplement interdire aux producteurs de faire totalement renoncer les auteurs et les interprètes à leurs droits. L’auteur et l’interprète doivent se voir au moins réserver une part proportionnelle à l’éventuel succès à venir de sa création. Cela ne peut se faire que dans une nouvelle conception d’une culture populaire fondée sur l’inspiration authentique donnée par les créateurs aux facultés créatrices de leur public. Ce besoin de création doit être diffusé dans toute la société : c’est l’objet même de mon projet (cf. la section de mon projet Opération Lagrange-Malraux pour sauver les jeunes et la culture, vite). Il ne s’agit bien entendu pas d’interdire aux producteurs d’exercer leurs activités, mais d’abolir leur privilège.
- Beaucoup d’artistes aujourd’hui ne savent pas réclamer leurs droits à la SACEM alors que celle-ci est bien pourvue par une multiplication des taxes sur les matériels hi fi, les portables, les GPS ou les clefs USB. En même temps les lois Dadvsi et Hadopi les empêchent de copier et de diffuser indépendamment leurs propres productions !
- Ensuite, les artistes doivent recevoir une formation juridique, commerciale, administrative et à l’utilisation d’internet pour être en mesure de défendre leurs droits. Ils sont aujourd’hui plongés pratiquement sans défense dans la chaîne de production. Les lieux d’enseignement artistique, comme les conservatoires, devraient leur fournir ou leur faire fournir les instruments pour faire valoir leurs droits et leurs intérêts.
- Enfin et surtout, les artistes devraient pouvoir s’organiser en autoproducteurs ou en coopératives pour diffuser leurs œuvres. Un label doit leur être fourni pour diffuser sur une plate-forme en ligne, avec une subvention fournie à des individus, non à des structures. Je propose une taxe en leur faveur de deux euros par mois et par abonnement, levée sur les fournisseurs d’accès à internet (FAI). L’on pourrait ainsi réunir environ 500 millions d’euros et créer un nouvel esprit en France !
Cette maîtrise de l’artiste sur ses œuvres et sa capacité de communiquer avec le public est l’un des biens les plus précieux d’une République. Si ouvrir une école c’est fermer une prison, faire germer des artistes créateurs c’est éveiller ce qui nous manque le plus dans nos trois valeurs fondatrices, la fraternité.