La France avec les yeux du futur

Agriculture : organiser les marchés contre la mondialisation prédatrice

Aux niveaux mondial, européen et français, on ne peut continuer comme on va, car le chaos des marchés et l’absence de volonté politique des gouvernements nous mènent partout à une catastrophe alimentaire.

Au niveau mondial, comme le dit Jean Ziegler, l’ancien rapporteur des Nations unies à l’alimentation, « le massacre quotidien de la faim se déroule dans une normalité glacée et dans l’indifférence générale » . Plus d’un milliard d’êtres humains souffrent de faim dans le monde, un enfant meurt de faim toutes les six secondes, le nombre de sous-alimentés croît de plus de 50 millions de personnes par an et les engagements financiers pris au niveau international ne sont pas tenus. Au sous-investissement systématique de l’agriculture, dès les années cinquante du XXe siècle, s’ajoute aujourd’hui le fait que les produits agricoles sont livrés aux jeux des marchés financiers et à la domination d’une agro-industrie qui accapare les terres, les semences et les intrants. Cyniquement, de plus en plus de voix se font entendre, au sein des oligarchies financières, pour en conclure qu’une dépopulation est nécessaire, notamment dans les pays les moins développés et particulièrement en Afrique. La carence criminelle se transforme ainsi en crime affiché.

Au niveau européen, les discussions sur l’avenir de la Politique agricole commune (PAC) ne sont pratiquement abordées que sous l’angle budgétaire, sans aucune stratégie dans les relations internationales sinon celle qui fait de la libre concurrence un dogme et aboutit à faire régner la loi du plus fort et des rémunérations les plus faibles. L’Union européenne (UE) joue ainsi le rôle de relais des marchés financiers et se condamne à s’effondrer avec eux, payant le prix de sa servitude volontaire.

En France, nous avons actuellement 317 000 exploitations agricoles professionnelles, deux fois moins qu’il y a vingt ans, employant environ 750 000 personnes (équivalents temps plein). Malgré l’accroissement de la taille des exploitations, dont la moyenne est de 70 à 80 hectares, et la baisse du nombre de personnes employées, le revenu par exploitation diminue depuis le début des années 2000, avec d’énormes disparités suivant les années, les productions et les régions. Ainsi, si le revenu moyen par exploitation a été de 23 400 euros en 2010, il n’était que de 11 200 euros en 2009, avec 26 % des exploitations fonctionnant à perte. Même dans l’année exceptionnelle qu’a été 2010, les revenus varient entre 15 200 euros par exploitation pour l’élevage bovin, 14 300 euros pour les exploitations viticoles et 39 000 euros pour celles spécialisées dans les céréales. Par localisation géographique, le revenu moyen varie entre 30 000 à 40 000 euros dans les régions de grande culture et moins de 20 000 euros dans les régions d’élevage (Auvergne, Limousin…). Alors que l’aide européenne moyenne reçue par les quelque 400 000 exploitations (les 317 000 professionnelles et un certain nombre de non professionnelles) s’est élevée, par exploitation, à 21 218 euros. Les agriculteurs n’en profitent pas : ils ne sont que le relais dans un système qui leur permet juste de survivre, à l’exception d’environ 10 % de gros exploitants, et qui enrichit les spéculateurs, les intermédiaires, la grande distribution et l’agro-industrie. Ces 90 % souffrent de leur dépendance vis-à-vis des aides, se sentent en situation d’exclusion, ne se versent pas de salaire, ne partent pratiquement jamais en vacances et culpabilisent vis-à-vis de leurs enfants. Ces aides ne sont plus liées au volume de production mais « découplées » du travail effectué et subordonnées à un certain nombre de normes qui lui sont en grande partie extérieures.

Les agriculteurs français ont ainsi le sentiment d’être devenus injustement des assistés, dont la qualité de travail et la dureté de vie ne sont pas reconnues. La compétition n’est plus seulement intenable avec une concurrence mondiale dopée (lait en poudre néo-zélandais, vins argentin ou chilien…) mais elle l’est aussi devenue avec les autres producteurs européens, dans une situation de concurrence déloyale caractérisée par les écarts de rémunération et de temps de travail légaux entre les pays de l’UE et au sein même de la zone euro. La volatilité des prix devient en même temps de plus en plus insupportable. Dans ces conditions, les agriculteurs doivent se lancer dans des productions intensives à moindre prix pour survivre, suivant des méthodes prescrites par des conseillers de chambre agricole, ce qui les entraîne à polluer l’environnement et à être de surcroît mis sur le banc des accusés !

Ils sont conscients que le « modèle européen », relayant le modèle mondial, vise à organiser leur mort, en remplaçant leurs exploitations familiales par de grosses unités de production liées au lobby agroalimentaire, à la grande distribution et aux banques universelles. Il s’agit d’une industrialisation de l’agriculture qui ne se fait même plus suivant une logique industrielle mais bancaire, ne visant pas à nourrir la population de manière rentable pour tous, mais à enrichir les organismes financiers le plus vite possible.

 I - Changer de système

Dans l’environnement économique actuel, l’injustice et l’arbitraire règnent à tous les niveaux, pénalisant ceux qui produisent, engendrant la faim dans les pays pauvres et une baisse de la qualité nutritive de l’alimentation dans les pays développés.

C’est inadmissible. Il est temps de redéfinir le type d’agriculture souhaitable pour la France, dans le cadre d’un nouvel ordre économique et monétaire international et européen. La Politique agricole commune, éloignée de ses principes d’origine et actuellement maintenue sous perfusion, n’est plus un exemple à suivre. Il faut revenir à un ordre de marchés organisés, dans l’intérêt mutuel des partenaires, sur une planète où les besoins alimentaires sont d’ores et déjà supérieurs aux capacités de production. L’humanité a besoin d’au moins doubler sa capacité de produire des végétaux : avec l’eau et l’énergie, l’agriculture sera le grand défi du XXIe siècle. En 2050, pour pouvoir nourrir convenablement 9 à 10 milliards d’êtres humains, toutes les terres cultivables, tous les paysans du monde seront nécessaires, y compris ceux d’Europe. Ne pas organiser cette mobilisation, c’est reconnaître qu’on ne pourra par les nourrir, et commencer à tolérer une politique de triage économique et humain.

Les intérêts financiers qui dominent les marchés mondiaux contrôlent aujourd’hui le secteur agroalimentaire, manipulent les prix des produits agricoles et accaparent les terres arables dans le monde entier.

L’Union européenne (UE), avec son Agenda 2000, n’a fait que s’inscrire dans cette stratégie. Elle a d’une part adopté le mode de pensée hostile aux organisations de marché qui s’est installé dans toutes les sphères dirigeantes sous l’impulsion des grandes banques, de leurs idéologues et des organisations internationales comme l’OMC ou l’OCDE. D’autre part, en remplaçant les aides à la production, accusées d’avoir des effets « distorsifs », par des aides découplées, elle a reconnu que la production et le travail ne sont pas ses priorités.

La conséquence de cette politique, si elle se poursuivait de façon linéaire, serait à court et moyen terme la ruine du plus grand nombre de nos producteurs. Il ne resterait en France que 150 000 exploitations professionnelles tournées vers la satisfaction de larges marchés. Ce ne sont pas nos consommateurs qui en tireraient bénéfice.

Les variations brutales des prix agricoles poussés par la spéculation ne profitent ni aux producteurs ni aux consommateurs : les consommateurs subissent toutes les hausses sans bénéficier réellement des baisses, qui leur sont quasi totalement confisquées, tout comme les producteurs petits et moyens subissent les baisses sans bénéficier vraiment des hausses car ils ne peuvent pas s’adapter aux mouvements brusques, contrairement aux distributeurs et surtout aux spéculateurs, pourvus de capitaux liquides. Dans le système actuel, c’est la grande distribution qui engrange d’énormes profits en étranglant ses fournisseurs, en continuant des pratiques abusives et en « jouant » ses trésoreries (accumulées elles aussi aux dépens de ses fournisseurs et localisées dans les centrales d’achat) sur les marchés financiers ! Tout se tient.

Dans l’agriculture comme dans le reste de l’économie, un autre choix politique est donc indispensable. Le moment est venu de constituer une nouvelle Résistance rassemblant producteurs et consommateurs, à l’échelle de notre pays, de l’Europe et du monde. Mon engagement est de donner à cette Résistance un horizon et des armes programmatiques pour combattre.

 II - Rétablir la souveraineté alimentaire et la priorité de la production

Dans la logique de mon projet, ma démarche va de l’international au national pour former un tout cohérent :

  1. Se battre pour un nouvel ordre financier et monétaire international (un nouveau Bretton Woods à l’échelle de la planète), pour que l’argent revienne au travail et à la production, dans l’agriculture comme dans tous les autres secteurs économiques. C’est l’orientation d’ensemble nécessaire et déterminante.
  2. Organiser à cet effet des crédits à long terme et faibles taux d’intérêt pour de grands projets de développement dans le monde, créateurs des infrastructures nécessaires (eau, transports, centres de recherche sur les plantes…) au développement agricole. La remise en eau du lac Tchad et l’irrigation des chotts tunisiens et algériens seront des exemples de ces grands projets. Pour parvenir à les lancer, il faut faire sauter le verrou qui les bloque.
  3. Cela signifie d’abord combattre l’oligarchie financière anglo-américaine, la City et Wall Street (pas les peuples américain ou anglais, au contraire) et ses complices en Europe.
    Pour cela, une opération nettoyage est nécessaire. Il faut priver les spéculateurs de l’argent qui ne leur appartient pas et avec lequel ils spéculent. Je me battrai donc pour que leurs banques d’affaires soient séparées des banques de dépôt et de crédit qui, elles, devront opérer pour les producteurs, les consommateurs et les épargnants. Quand la source empoisonne, il faut d’abord la tarir : je ferai interdire de jouer avec ce qu’on mange. Les banques « universelles » françaises jouent sur les produits agricoles avec des effets de levier énormes et proposent des produits comme Hopti Hedge au Luxembourg pour la BNP Paribas, Lyxor pour la Société générale et Amundi pour le Crédit agricole. Avec ma politique, elles ne seront plus universelles et ne pourront plus émettre de tels produits. Je ferai tout pour arrêter ces jeux, en France et dans le monde, à Londres comme à Chicago.
  4. Dans ce nouveau contexte, nécessaire pour échapper à la dictature financière du court terme, le modèle français de solidarité et de mutualisation doit retrouver sa place. Rejeter ainsi la double affirmation selon laquelle la mise en concurrence des agriculteurs du monde serait souhaitable et l’instabilité des marchés agricoles une fatalité, condamnant l’administration à un rôle de gestionnaire de crise et promouvant les mécanismes assurantiels pour gérer cette volatilité permanente.
  5. Revenir à un régime de protection et de régulation : au lieu de pousser nos producteurs à se couvrir contre la volatilité des prix avec des produits financiers dérivés vendus de gré à gré sur des marchés de plus en plus opaques, le temps est venu, tant dans nos pays producteurs que dans les pays importateurs « récurrents », en particulier au Maghreb, de constituer des stocks publics d’intervention, par pays ou par zones géographiques. Comme ce fut le cas au début de la PAC ou à l’époque de Franklin Delano Roosevelt aux États-Unis, la gestion intelligente des stocks publics de sécurité alimentaire permet de limiter les pénuries physiques et de casser les envolées spéculatives via des ventes et des achats publics. Les « produits financiers de couverture », à supposer qu’on puisse les découpler des spéculations, engendrent des frais de réassurance d’un coût global de près de 40 euros la tonne de céréales effectivement vendue en fin de cycle, alors que le coût de stockage de la même tonne de céréales n’est que de 10 euros par an dans un silo de coopérative agricole en France.
  6. Créer un Observatoire mondial de la consommation, des stocks agricoles et du prix des terres dans le cadre du système de crédit productif mondial du Nouveau Bretton Woods. Mettant fin à la scandaleuse ruée néocoloniale vers des terres arables, des accords de prix doivent être établis en fonction des besoins de l’économie physique et non des marchés.
  7. Se donner des outils de prévision face aux variations des conditions de production : investir dans des dispositifs de veille climatique (notamment par satellite) et pousser les études sur les conséquences du positionnement de notre planète au sein des grands cycles du système solaire et au-delà (maximum solaire, cycles de la biodiversité, etc.). Par exemple, une coopération renforcée entre le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Institut national de recherche agronomique (INRA) permettra, via une meilleure compréhension des sols et de l’interaction entre les rayonnements cosmiques et le vivant, d’optimiser l’utilisation de l’eau, notamment en développant des variétés de plantes plus résistantes en milieu aride, une irrigation mieux ciblée grâce au guidage par satellite ou encore la technique du goutte-à-goutte.
  8. Organiser les marchés pour les produits bruts, dans le cadre d’un protectionnisme intelligent. En Europe, il faut rétablir les grands principes de la PAC : unicité de marché, préférence communautaire et solidarité financière.
    L’organisation des marchés ne doit pas se limiter aux agriculteurs français et européens, elle doit se faire dans un contexte international, continental et régional, incluant les pays du Sud et de l’Est, dans le cadre du plan de développement mondial Est-Ouest et Nord-Sud que je préconise. Entre agriculteurs, on peut et on doit s’entendre, car on souffre partout du même mal contre lequel on doit se protéger : l’oppression financière de la City et de Wall Street, le diktat du court terme et l’ordre du FMI. Il faut remplacer, ensemble, l’arbitraire financier de l’OMC et arrêter la domination des cartels sur la fixation des prix.
    Des accords entre pays pour assurer le respect de normes écologiques, sanitaires et sociales, les pays européens aidant réellement ceux du Sud, doivent être la base de négociations en vue de produire mieux d’un commun accord, et non la fuite en avant vers une libéralisation aberrante des échanges visant à conquérir des parts de marché au détriment d’autrui.
    L’UE doit, en fonction de cette démarche, mettre en place une vraie politique de coopération avec les pays du pourtour méditerranéen, qui représentent des marchés d’avenir.
    Elle doit aussi mieux négocier avec les États-Unis. Il ne faut plus jamais qu’un accord désastreux comme hier celui de Blair House puisse nous être imposé.
  9. Le système doit revenir à une politique de prix rémunérateurs, de « justes prix » permettant de vivre et de réinvestir. Les aides directes découplées, qui ont été censées se substituer au soutien des prix, sont à la fois trop pesantes et socialement injustes (80 % d’entre elles vont à 30 % des exploitations, avec un impact d’autant plus appréciable que l’exploitation est plus étendue : l’injustice même).
    Avant de réunir les conditions politiques permettant de revenir à cette notion de juste prix, faisant de l’agriculteur un producteur digne et non un être qui survit, soupçonné d’assistanat, quatre orientations pourraient rapidement être prises à l’échelle européenne, au sein de ce qui existe et en maintenant le budget agricole global à son montant actuel en euros constants :
    • redistribuer des paiements directs aux agriculteurs en faveur des produits et modes de production les plus favorables à un bon équilibre nutritionnel (cf. ma section Non à la privatisation de la santé publique, être malade ne doit pas devenir un luxe) ;
    • rééquilibrer les aides en fonction de la taille des exploitations, en aidant particulièrement celles qui produisent des cultures vivrières, et en faveur des régions les moins favorisées, en s’efforçant d’uniformiser les politiques à l’échelle européenne ;
    • en s’inspirant du programme canadien de stabilisation des revenus (agri-stabilité), redéployer une part importante de l’enveloppe budgétaire allouée aux aides découplées, vers un système de compensation des fortes baisses de marges des exploitants agricoles les mauvaises années. L’idée est d’associer chaque année agriculteurs, industriels de l’agroalimentaire, collectivités territoriales, partenaires sociaux et acteurs de la politique de l’emploi à une fixation d’objectifs, parmi lesquels un prix justifié ;
    • étendre le programme européen d’aide aux plus démunis au lieu de le diminuer brutalement, comme cela vient d’être fait.
  10. Une série de mesures significatives mais plus ponctuelles peuvent et doivent être rapidement prises.
    • la première concerne un nécessaire rééquilibrage en faveur des éleveurs, qui souffrent le plus de la hausse des prix des produits céréaliers avec lesquels ils nourrissent leurs bêtes ou leurs volailles.
      La prime à l’herbe, rebaptisée prime herbagère agri-environnementale (PHAE), peut être accrue à cet effet. Cependant, comme son nom l’indique, elle a un objectif environnemental et n’a donc plus pour but de soutenir le revenu des éleveurs, assuré par une aide du premier pilier de la PAC, la prime au maintien des vaches allaitantes (PMTVA).
      Une prime à l’herbe de caractère réellement compensatoire est nécessaire, bien que la mesure ait été – à tort – retirée du programme cofinancé par l’UE. Je m’engage à ce que le gouvernement français double le montant de cette prime, pour exprimer notre attachement à un secteur en difficulté.
    • la seconde consiste à soutenir la multiplication des circuits courts pour éviter la loi des intermédiaires et surtout le poids de la grande distribution : vente à la ferme, vente directe aux grandes surfaces et aux cantines.
    • le troisième est de pousser les agriculteurs à investir collectivement ou individuellement dans la transformation, la commercialisation et l’amélioration de la qualité et de promouvoir l’organisation économique (groupements de producteurs et coopératives) visant à renforcer leur pouvoir de négociation face à un aval très concentré.
    • la quatrième, à lancer une opération vérité en imposant un étiquetage aux vendeurs portant le prix payé aux producteurs. Les consommateurs pourront ainsi savoir que ce qu’ils payent entre 2 et 3 euros au supermarché a pu être payé 20 centimes au producteur.
    • la cinquième concerne la viticulture, qui depuis 2009, n’a plus d’organisation commune de marché spécifique. Soumise à la réforme de la PAC prévue pour 2014, j’exigerai en sa faveur l’introduction de nouvelles mesures spécifiques, en particulier le maintien des droits de plantation (aujourd’hui voués à disparaître en 2015) et l’aide au stockage, indispensables à la vie de nos producteurs.
  11. Organiser un moratoire sur la dette inéquitable, suivant les parcours individuels, les régions et les domaines de production
  12. Préparer une révolution agrobiophysique : dans le contexte de mon projet, une réforme en profondeur et nécessaire de l’agriculture pourra être entreprise. Il s’agit de passer de l’agriculture actuelle à dominante chimique à une agriculture prenant en compte le sol non comme un support inerte sur lequel on répand des choses pour produire aveuglément, mais comme un processus vivant auquel on fournit les meilleures conditions possibles pour produire rationnellement : une agrobiophysique. La mutation ne peut bien entendu être que progressive et la solution ne peut être trouvée en réprimant, mais avec l’accord de toutes les parties prenantes.
    L’opposition entre le productivisme financier et un écologisme régressif pourra ainsi être surmontée par le haut, sans affrontements stériles. L’adversaire commun doit être le financier qui aujourd’hui exploite les uns et manipule les autres.
    Si l’on examine les sols traités depuis une cinquantaine d’années avec les outils de la microbiologie, on constate que la culture excessive en labours profonds, avec des apports toujours accrus d’engrais chimiques et de pesticides, leur ont fait perdre leurs propriétés microbiennes et fongiques, ce qui a induit une perte de nutriments. Sur ces sols rigides, à biomasse appauvrie, les chutes de pluie lessivent les surfaces et entraînent une érosion. Il est donc nécessaire qu’on aide les agriculteurs à devenir « médecins des sols » pour les restaurer et les préserver par des techniques respectueuses de leur vie et de leur fonctionnement en tant qu’agrosystèmes complexes.
    Cela suppose d’abord ce que je défends : une protection de leurs prix et de leurs conditions de production, car ils ne pourront opérer « le couteau sur la gorge ». Ensuite, il faut engager des formations auxquelles les régions et l’État doivent participer. Enfin, les agriculteurs, convaincus qu’ils pourront obtenir des rendements satisfaisants par une meilleure connaissance et prise en compte du fonctionnement des sols, doivent recevoir des aides plus spécifiques à la reconversion.
    Ainsi, à un retour à la priorité de la production et de la souveraineté alimentaire correspondra le développement progressif d’une agrobiophysique du futur, dont l’accent essentiel mis sur la relation entre l’être humain créateur (noosphère) et son milieu de vie (biosphère et lithosphère) ne sera pas sans rapport avec la relation que les astronautes du futur, eux-mêmes travailleurs intellectuels et manuels comme les agriculteurs, devront avoir avec les milieux nouveaux qu’ils découvriront et, qui sait, les formes de vie nouvelles.

La politique agricole doit devenir ainsi un élément d’une politique d’ensemble courageuse et innovatrice, à l’échelle nationale et internationale. Autrement nous n’aurons que du sparadrap sur un corps malade.

Le but est de redonner aux jeunes l’envie de reprendre la place des vieux qui s’en vont, sans servage financier ni assistanat dépendant, empêchant ainsi que se disloquent la trame sociale de notre pays et la beauté de nos paysages. Sans mélancolie passéiste ni cynisme moderniste.

Ceux qui font partie du système refusent absolument de penser en ces termes, car leur carrière s’est faite au sein du système. La crise n’est pas celle de l’agriculture ; l’agriculture n’est qu’un symptôme. Il y a une crise générale, financière, monétaire et de société. Rendre justice à ceux qui produisent ce que nous mangeons est un devoir si nous voulons changer les choses en général, c’est-à-dire sortir du régime de rente financière qui saccage le travail et la production.