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Ce que Sivens veut dire, à qui ne veut pas l’entendre

lundi 17 novembre 2014

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Déclaration de Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès

Ma déclaration, « Sivens, simple retenue collinaire devenue enjeu national », a provoqué des réactions qui montrent bien que ce qui se passe là-bas concerne des questions politiques fondamentales. Elles sont déterminantes pour l’avenir de notre pays et de notre démocratie républicaine. Il est donc nécessaire que je précise ici ma réflexion pour tenter d’élever un débat qui, à son niveau actuel, resterait un dialogue de sourds conduisant inéluctablement à la guerre de tous contre tous.

  1. Ce que Sivens veut d’abord dire, c’est que nous entrons dans un monde qui a perdu le respect. Au nom de leurs frustrations et de leurs colères, des mouvements de protestation veulent toujours tout remettre en cause, sans tenir compte des décisions d’élus et des processus juridiques. Ils recourent pour cela à la violence, passive ou active. A Sivens, un groupe minoritaire extrêmement violent a jeté dans la nuit des pierres et des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre, voire même des bouteilles d’acide et d’urine. Cette violence a suscité une réplique des gendarmes, dont le jet d’une grenade offensive a entraîné la mort de Rémi Fraisse. Le maréchal des logis qui l’a lancée a été obligé de la jeter « en cloche », par-dessus le grillage qui protégeait son groupe des manifestants, ce qui est contraire aux directives sur l’utilisation de ces engins. Ainsi une logique de l’escalade s’est mise en place, aboutissant à une mort érigée en martyre et à une remise en cause du principe de dialogue républicain.
  2. On a pu entendre à plusieurs reprises des manifestants qui étaient, eux, pacifiques crier « non violence, non violence ! ». Ils ne peuvent être confondus avec une minorité de groupes vivant dans une forme de quasi clandestinité propice à une paranoïa destructrice. Ces groupes, dont le niveau de culture politique est généralement faible, rêvent d’en découdre et publient sur internet le récit de leurs affrontements avec l’autorité. Ils y proclament leur désir de vengeance en s’auto-radicalisant. Ils affirment soutenir les zadistes, qui ont défini des zones à défendre, locales ou régionales, tout en organisant leurs opérations à une échelle nationale, voire européenne. Devenus des sortes d’agitateurs itinérants, ils vont de Notre-Dame des Landes à Sivens, de Sivens à la ferme des Mille vaches en Picardie et bientôt à Bure, futur point chaud de leur « mobilisation anti-nucléaire ».
  3. Ce qui se répand ainsi est une sous-culture de la violence, conçue comme ayant en elle-même une valeur. Il faut lire et subir ce que propage cette soi-disant « ultra gauche » pour mesurer les conséquences de ses actes. C’est en cela qu’elle partage la fascination d’un Alain Soral pour la « violence régénératrice » de Georges Sorel et du mouvement anarchiste dans sa forme violente de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, à ne pas confondre avec celui de Kropotkine, Makhno ou Durruti. L’on sait par ailleurs qu’au cours des années trente du XXe siècle, des militants d’extrême gauche peu formés politiquement ont basculé dans la violence nazie, comme lors de la grève des trolleybus de Berlin, en 1932. Le dénominateur commun était la fascination de la violence. Il est parfois très utile de connaître les évènements du passé pour comprendre son temps et, par exemple, décrypter ce dont certains éléments du NPA sont porteurs.
  4. Manifestants pacifiques, zadistes et groupes ultraviolents diffèrent par leur manière d’exprimer leurs convictions ou leurs frustrations. Les premiers le font en demeurant au sein de la légitimité républicaine, les autres en multipliant les provocations physiques. Cependant, ils partagent tous le rejet de ce que la fédération des Amis de la Terre appelle les « grands projets inutiles imposés » (GPII), au nom de la protection de l’homme, de l’environnement et de la biodiversité.
    Leur conception de l’homme est celle d’un intrus perturbant un « équilibre naturel », comme si la Nature irait mieux sans lui. Ils refusent de savoir qu’il ne reste pas en France un seul paysage naturel, que tout y est le produit de la main et de l’esprit de l’homme. Combattant à juste titre la politique anti-immigration du Front national, ils pensent comme lui lorsqu’il s’agit de considérer les espèces. Pour eux, toute introduction d’une espèce étrangère, tout acte humain détruirait un ordre établi. Ils seraient prêts à dire : « Espèces étrangères, vos papiers ! » L’Union européenne a consacré cette idéologie sous l’appellation de « bon état écologique ». Ils sont ainsi, au sens réel du terme, des contre-révolutionnaires qui s’opposent au progrès et promeuvent la fiction d’un équilibre, alors que toute l’histoire de la Terre et de l’humanité a été celle d’un changement continu et de la prise de responsabilité par les êtres humains de ce changement.
  5. Preuve de cet engagement contre la création humaine est l’engagement anti-nucléaire de tous. Les manifestants pacifiques de Sivens portaient bel et bien des panneaux proclamant : « Fermons Golfech ! » L’on comprendrait qu’ils s’opposent, comme je le fais moi-même, à la manière dont le nucléaire a été contrôlé par des priorités militaires et l’action de nucléocrates convaincus de détenir la science infuse sans avoir à s’expliquer. Cependant, refuser le nucléaire par principe est une aberration de la pensée : les réactions nucléaires existent dans la nature, l’homme lui-même est porteur de radioactivité. En maîtriser le principe pour le bien commun est donc porteur de progrès pour l’humanité, à condition de ne pas s’en tenir à une technique donnée, mais d’adopter une dynamique de recherche et d’application des découvertes successives. C’est sur ce que l’on veut en faire que se pose la question politique, et non sur le fait de son existence.
  6. Revenons maintenant à Sivens. Comme je le disais dans ma déclaration précédente, les procédures démocratiques ont été respectées. Cependant, tout le monde peut se tromper sur tel ou tel point. C’est sur le fond ce qu’a dit Ségolène Royal, en décidant un supplément d’enquête. Il ne doit pas remettre en cause la construction de la retenue collinaire, mais en étudier tel ou tel point, comme sa dimension. Sans ralentir la mise en place d’un projet conçu depuis trente ans. L’eau est nécessaire aux exploitations agricoles ; son prix est une autre question et son montant est discutable en déterminant quel type d’exploitation l’on veut favoriser et dans quel but.
  7. Revenons ensuite aux forces de l’ordre. Ce qui s’est passé est une tragédie, mais le gendarme qui a lancé la grenade ne voulait la mort de personne. Il ne s’agit donc pas ici de vengeance, mais de réexaminer les conditions de maintien de l’ordre, sans encourager les casseurs et en procédant à l’interpellation des seuls éléments pratiquant une violence inadmissible. L’on peut prévoir, dans la situation actuelle, la multiplication des provocations, comme on l’a vu à Paris, à Toulouse ou en Seine-Saint-Denis. La mise en place d’une commission d’enquête émanant de la société civile pour « créer un débat dans la société » en forme de « complément civique au travail de la justice » est bienvenue, à condition qu’elle procède sans préjugé idéologique.
  8. Concluons enfin par l’essentiel. Sortir du dilemme provocation/répression ne peut se faire que par des politiques courageuses qui mettent fin à une austérité économique et sociale destructrice, non seulement des emplois mais des valeurs fondatrices de notre société. La réalité ne se trouve pas dans l’affrontement avec les forces de l’ordre autour d’une retenue collinaire, mais dans le combat contre l’oligarchie financière de la City et de Wall Street qui, avec ses complices français, crée les conditions d’un monde sans cœur et sans futur. Toute diversion en fait le jeu, en lançant les uns contre les autres des femmes et des hommes qui auraient tous intérêt à les combattre.
  9. Il est temps de voir avec les yeux du futur, en maîtrisant ses émotions immédiates pour leur donner un sens plus élevé dans le combat républicain de la raison créatrice contre la déraison destructrice. En renouant avec la responsabilité individuelle de la conséquence de ses actes et en les mettant au service du bien commun. Quand cet effort sera fait et qu’il deviendra naturel, nous deviendrons réellement républicains.

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