L’éditorial de Jacques Cheminade paraît chaque mois dans Nouvelle Solidarité. Pour s’abonner, c’est par ICI.
« On ne rase pas gratis. » « Il faut payer ses dettes. » C’est l’éternel refrain des oligarchies de l’argent. Elles évaluent leurs créances en monnaie et les font passer avant la justice sociale et les investissements pour le futur. Leur dette est odieuse car elle rogne puis détruit les fondements mêmes de la société. Certes, il y a bien une dette qui est due, une dette légitime. Elle n’est pas exprimée en monnaie mais en bien commun. C’est la dette envers ceux qui travaillent, ou ont travaillé, et envers les générations futures. Les manifestations pour nos retraites se situent dans ce combat politique : dette légitime contre dette odieuse, dette envers le travail humain contre dette envers les possédants qui ont confisqué un système sous perfusion financière.
L’exigence d’une juste retraite signifie respect du travail humain. Or, le principe même de la retraite par points va à son encontre. C’est un schéma simpliste qui considère les travailleurs comme des pions interchangeables et non comme des sujets de droit.
Bien sûr, on dit qu’on va aménager, corriger les injustices créées par le système. La logique est cependant là : bloquer à 14 % du Produit intérieur brut le montant total des retraites et faire porter leur calcul sur les revenus de toute la carrière professionnelle, non sur les 25 meilleures années dans le privé et les 6 derniers mois dans le public. Résultat : une multiplication des inégalités dans le contexte d’un blocage global ! L’exemple suédois est clair : le taux de remplacement (le pourcentage du salaire que l’on perçoit à sa retraite) y est de 53 % contre 74 % chez nous. Laurent Berger proteste et manifeste, mais il se satisferait d’un retrait de l’âge d’équilibre, les fameux 64 ans exigés pour toucher une retraite pleine, et de la prise en compte des 4 critères de pénibilité exclus en 2017 sous la pression du Medef. Cela améliorerait les conditions d’application du système mais n’en changerait pas la logique d’austérité sociale.
Les preuves ? La pension minimum de 1000 euros par mois pour une carrière complète au SMIC était déjà prévue en 2003 et n’a jamais été appliquée aux exploitants agricoles. Elle se trouve, pour eux, repoussée à 2025. Or ces 1000 euros sont inférieurs au seuil de pauvreté (1041 euros) et, en attendant 2025, les pensions agricoles ne seront pas revalorisées (mesure repoussée en 2018 par Edouard Philippe, alors que leur moyenne en France est de 930 euros pour les hommes et 670 euros pour les femmes). Quant aux femmes, sous les éléments de langage de Mme Schiappa, la disparition des 8 ou 4 trimestres pénalisera 4 mères sur 5, sauf à acquérir des points supplémentaires. En tous cas, les mères de 3 enfants et les femmes les mieux payées seront perdantes. Les enseignants verront leur retraite réduite de 30 % à cause de l’application mécanique des salaires de toute la carrière et non des meilleures années, même si le gouvernement prévoie de leur octroyer une aumône d’au mieux 60 euros par tête.
Quant au personnel hospitalier, infirmiers et aides-soignants, leurs salaires insuffisants et leurs carrières souvent hachées les lèseront. Les 300 millions accordés par Bercy-Buzyn à l’hôpital pour 2020 correspondent pratiquement à des dépenses déjà votées en 2018 mais en réalité non attribuées ! Ce n’est pas un cadeau.
Les bénéficiaires des salaires les plus élevés auront, eux, intérêt à sortir du système et donc à le tarir, en laissant à BlackRock le soin de les servir, son PDG Larry Fink encaissant les bénéfices de son investissement pour Macron.
Les élites arrogantes bafouent ce que nous vivons, pensons et éprouvons. Il est urgent de donner un projet politique à la colère : rouvrir le robinet de l’emploi qualifié, sans souffrance au travail. En nous battant pour que le peuple contrôle ce « crédit public démocratique » que réclamait Jaurès et qu’esquissa le programme du Conseil national de la Résistance.