Les manifestations des bonnets rouges bretons sont la première expression publique d’une colère sourde qui monte dans toute la France. A cette colère, les responsables politiques ne peuvent répondre. Le moment est venu de changer de trajectoire d’ensemble. Chacun d’entre nous doit mesurer l’effet de ce qu’il va faire ou non pour sa région, son pays et l’humanité entière.
Regardons d’abord la racine du mal. Il s’agit d’un cancer financier qui étend ses métastases. La bulle mondiale des produits financiers dérivés est de l’ordre de 700 000 milliards de dollars. Face à cela, le Produit intérieur brut du monde est dix fois inférieur et le renflouement d’un système en perdition a coûté 7000 milliards de dollars (depuis 2008, 4000 milliards d’allègements quantitatifs aux Etats-Unis, 1200 milliards au Royaume-Uni et 2000 milliards au sein de l’Union européenne). Comme ce « bail out » — un renflouement de l’extérieur au détriment des contribuables soumis à ponction et des citoyens livrés à l’austérité – ne suffit pas, le plan est désormais de saisir d’une façon ou d’une autre les dépôts des clients des banques. Depuis qu’on a traité le cobaye chypriote, on appelle ça le « bail in ». Environ 7000 autres milliards pourraient être ainsi mobilisés. En imposant une austérité si draconienne que les moyens de manipulation de nos démocraties dévoyées n’y suffiraient plus. Nous rentrerions alors dans la phase policière que le rapport du 28 mai de la banque JP Morgan de Londres décrit comme une mise en sourdine des Constitutions démocratiques, rédigées « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine ». Refuser de voir que nous en sommes arrivés là revient à collaborer avec une oligarchie financière de plus en plus prédatrice et qui prévoit une dépopulation forcée.
Le peuple est conscient de la situation. Il rejette les médias et les politiques qui la lui cachent. Seules 22 % des personnes interrogées leur font encore confiance. Le moral des Français a brutalement chuté en novembre : 72 % se déclarent pessimistes pour l’avenir du pays, une hausse de dix points par rapport au mois dernier. Selon un sondage IFOP pour Ouest France, les Français sont 76 % à juger certaine ou probable une explosion sociale. Environ 11 milliards d’euros manquent dans les recettes fiscales fin 2013, « en raison de la dégradation du contexte macroéconomique ». C’est dit en langue de bois mais c’est dit.
A « gauche », Guillaume Bachelay et Karine Berger exultent en affirmant que « l’inversion de la courbe du chômage est un signe d’espoir pour le pays… C’est la force du volontarisme déployé par le Président de la République ». Les statistiques ont elles-mêmes répondu : le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) a bien diminué de près de 20 000, mais les catégories B et C ont explosé, avec 60 000 inscrits supplémentaires. Les deux tiers des nouveaux contrats signés sont des CDD de moins d’un mois ! Le reste consiste en ce traitement social du chômage hier dénoncé par ceux qui s’y livrent aujourd’hui. Les agents de Pôle Emploi doivent suivre entre 100 et 200 dossiers chacun.
A droite, Hervé Mariton veut plafonner les dépenses publiques dans la Constitution. D’autres dénoncent le coût trop élevé du travail. Le Figaro surenchérit en appelant à « l’union nationale » pour « réduire massivement la fiscalité et les finances, revoir de fond en comble l’Etat providence… ». C’est le retour des politiques de Laval et de Brüning des années trente du XXe Siècle.
Le dieu des finances rend fous ceux qu’il veut perdre. Notre mission est au contraire de diriger la colère contre les vrais coupables et d’inspirer un projet pour le salut commun.
L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.