Voici la déclaration (sous forme pdf) rédigée par Jacques Cheminade en soutien aux revendications des Mahorais, dont certains, très engagés à nos côtés, nous ont récemment fait part.
Mayotte, qui se débat dans un sous-développement économique tragique, est un miroir grossissant de la situation explosive de l’ensemble des Outre-mer, toujours soumis à une logique néocoloniale inacceptable en ce XXIe siècle. Le nouveau paradigme « gagnant-gagnant » des Nouvelles Routes de la soie pourra contribuer à sortir par le haut de cette situation devenue « perdant-perdant » ; et ce pour le bénéfice de tous, pourvu que la France décide réellement de s’y engager.
Égalité républicaine : en soutien aux revendications des Mahorais
Déclaration de Jacques Cheminade
« La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion. »
Préambule de la Constitution d’octobre 1946, repris dans celle de 1958.
En 2011, Mayotte a acquis le statut de région et département français (DROM). Pourtant, là où 80 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté, ni le droit à la vie et la citoyenneté, ni le droit à l’instruction, qui constituent le socle de l’égalité républicaine et de la fameuse « égalité réelle » promise depuis la présidence Hollande, n’y sont garantis.
I. Instruction
L’enseignement est réduit à des bricolages quotidiens inadmissibles, dans des conditions parfois insalubres. Dans ce territoire français où jusque dans les années 1990, on entendait encore certains enseignants dire qu’il n’y avait pas nécessité à amener les Mahorais jusqu’au niveau BAC+4, on est loin, très loin des critères hexagonaux.
Ainsi, en métropole, qui supporterait d’infliger à ses enfants – avec un effectif moyen de 35 à 40 élèves par classe sous une chaleur torride – des salles insuffisamment équipées, sans service de restauration ni toilettes propres, ni même de toilettes tout court ?
Le principe d’accès de tous à l’instruction prévoit que chaque enfant présent sur le territoire, qu’il soit natif, étranger ou clandestin, soit scolarisé. Mais à quel prix cela peut-il se faire à Mayotte, qui subit une pression démographique ingérable en raison de l’immigration, et dont les immigrés, en majeure partie irréguliers, ne parlent bien souvent pas français ?
Les réformes décidées à Paris dans ce contexte sont la plupart du temps inapplicables. Là où les services périscolaires et les personnels de surveillance sont quasi inexistants, où les enfants doivent étudier par rotation de demi-journées faute de place, impossible d’imaginer une quelconque réforme du rythme scolaire, et encore moins une activité sportive ou culturelle extrascolaire. Si la responsabilité des salles de classes en primaire incombe aux mairies depuis la décentralisation, comment celles qui, sur l’île, n’ont jamais eu – ni avant ni après – aucune ressource digne de ce nom, peuvent-elles assumer quoi que ce soit ?
2. Citoyenneté et administration
L’Académie de Mayotte – et donc les décisions qui la concernent – dépend de La Réunion, alors qu’il s’agit de deux régions distinctes, caractérisées par un différentiel de niveau de vie et donc de besoins. Il en est de même dans certains domaines administratifs, notamment celui de l’état civil. Ainsi, alors que les moyens ne sont même pas réunis pour soigner les natifs mahorais – dont certains parfois meurent faute de pouvoir financer un voyage en métropole pour une intervention chirurgicale – ni les protéger sur le plan judiciaire suite aux violences quotidiennes dues à la délinquance, on délivre à tour de bras des cartes de séjour aux clandestins ; mais les papiers d’identité concernant les Mahorais eux-mêmes sont faits à La Réunion ! Imaginerait-on en métropole devoir s’adresser aux services de Normandie quand on réside en Bretagne ? Au lieu de régler le problème par le haut en augmentant les moyens humains, matériels et financiers, on étouffe pour mieux régner, en attisant les rancœurs et les frustrations.
Pour la période de 2014 à 2020, l’Europe a affecté environ 340 millions d’euros au développement socio-économique de Mayotte. Aujourd’hui pourtant, les habitants n’en voient toujours pas les effets. Le Secrétariat général pour les Affaires régionales, le SGAR, est la cellule préfectorale qui dirige les négociations avec le Conseil régional pour la répartition de ces fonds. Pourquoi cette mission n’est-elle pas directement confiée au Conseil régional élu, censé connaître le terrain et ses besoins ?
Dans ces conditions où rien ne change et où les autochtones sont souvent lésés concernant l’accession aux postes, il est difficile pour les Mahorais de ne pas soupçonner certains préfets et fonctionnaires métropolitains d’être venus pour profiter des primes et autres avantages de carrière. Quant aux natifs qui ont pu accéder à ces emplois, la mise aux normes de leur statut s’est faite sans reconstitution de carrière lors de la départementalisation : ils se sont donc vus privés de leurs points d’ancienneté et donc de leurs avancements.
L’État doit mettre fin à cette situation ambiguë vis-vis des Mahorais, ce « deux poids deux mesures » qui fait que tout en exigeant d’eux, sur un principe légitime mais dans un contexte socio-économique totalement différent, les mêmes contraintes et les mêmes devoirs (fiscalité, etc.), on refuse en revanche de leur offrir les mêmes droits. Nous exigeons donc, dans les domaines cités plus haut, et en vertu d’une pleine reconnaissance de l’accession de Mayotte au statut de région et département français :
- La régularisation des conditions matérielles d’enseignement. Une pédagogie spécifique est par ailleurs nécessaire pour rattraper les retards, notamment en français. Un coup de pouce doit être donné à l’enseignement technique et supérieur. Dans le domaine de la formation professionnelle, nous proposons notamment, pour combler les besoins urgents en infrastructures et intégrer en priorité les Mahorais au monde du travail, de promouvoir des fédérations de type Compagnons du devoir pour former rapidement maçons, charpentiers, etc.
- Une reconnaissance, de manière rétroactive avant 2009, de l’ancienneté des fonctionnaires afin qu’ils récupèrent leurs avancements, ainsi qu’une augmentation des minima sociaux (aujourd’hui moins élevés qu’en métropole, malgré un coût de la vie bien plus important). De manière générale, toute fonction que l’autochtone peut exercer doit lui être attribuée en priorité, sauf quand un domaine vraiment technique ne le permet pas à ce stade.
- Une pleine reconnaissance du statut de Mayotte, afin qu’elle puisse dignement gérer son développement socio-économique et exercer ses prérogatives sur le plan administratif. Enfin nous demandons à porter à la connaissance des Mahorais le véritable contenu de la feuille de route discutée à Moroni par les diplomaties française et comorienne fin 2017.
Nous déplorons que soient restés sans suite les nombreux courriers des Mahorais qui se sont mobilisés pour alerter les pouvoirs publics à Paris et les ministères – qui de ce fait ne peuvent ignorer la situation.
Cette situation explosive ne sera jamais résolue tant que l’État français ne lancera pas à Mayotte un grand plan de développement (dont le financement ne pourra être permis que par une reprise en main du secteur bancaire – séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires et retour au crédit productif public à l’échelle nationale) et de codéveloppement vis-à-vis des Comores. Dans l’immédiat, cette nouvelle donne devra s’accompagner d’une suspension provisoire du droit du sol, le temps d’endiguer l’hémorragie migratoire à laquelle Mayotte ne peut, dans les conditions actuelles, faire face.
La Réunion, Mayotte et les Comores sont de nature à jouer un rôle dans les Nouvelles Routes de la soie maritimes tracées par la Chine. En y participant, la France pourra fournir une nécessaire intégration économique gagnant-gagnant, sans complaisance ni réticence.