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Formation professionnelle : relever le défi des injustices sociales et des mutations économiques

Le défi à relever par la formation professionnelle est double : fournir une seconde chance à ceux qui ont manqué la première et fournir en même temps les emplois qualifiés nécessaires aux nécessaires mutations économiques. Aujourd’hui, il faut en corriger les insuffisances pour que la formation devienne réellement un droit universel reconnu à chacun, rendu exerçable et préparant à l’exercice des métiers de l’avenir. La formation doit répondre aux besoins des personnes, de l’économie et de la nation.

Les insuffisances à corriger sont les suivantes :

  • la durée des formations : elle ne cesse de baisser bien que le nombre de salariés entrant en formation chaque année augmente ;
  • les inégalités d’accès : ce sont trop souvent les travailleurs déjà bien formés qui bénéficient le plus des actions de formation. Pour deux raisons : d’une part, les donneurs d’ordre que sont les entreprises forment ceux dont elles ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux qui sont déjà formés et qu’elles entendent ou sont en mesure de perfectionner ; d’autre part, les travailleurs déjà qualifiés sont mieux au courant des formations et ont plus d’appétence pour en bénéficier. Les exclus de fait sont ceux dont les niveaux de qualification sont les plus faibles, très souvent ceux des TPE et PME ainsi que les femmes ou les salariés âgés ;
  • des formations trop axées sur des logiques de branche et non interprofessionnelles.
  • des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), organisés par branche, qui servent trop souvent de moyen pour obtenir la bienveillance des syndicats du fait de l’insuffisance du système « officiel » de financement de la vie syndicale (cf. ce que je préconise à ce sujet dans ma section Rétablir le droit au travail et à l’emploi qualifié).

La formation relève principalement des régions, qui disposent de divers instruments à cet effet : plans régionaux de développement des formations, fonds paritaires de sécurisation des emplois professionnels, groupements d’intérêt public emploi-formation, maisons de la formation professionnelle, etc. Au niveau global, la France se situe au second rang des pays industrialisés en matière de dépenses pour la formation et l’apprentissage. Celles-ci représentent près de 1,50 % de notre Produit intérieur brut et environ 40 % des dépenses de l’Éducation nationale pour l’enseignement scolaire. Les premiers financeurs sont l’État (42 %), les entreprises (41 %), les régions (9 %), l’UNEDIC (5 %) et les ménages (3 %). Nous sommes le seul pays à avoir fait de la formation professionnelle une obligation légale, en exigeant que les entreprises y consacrent un pourcentage de la masse salariale. Alors, d’où viennent les insuffisances, si ce n’est des moyens et des financements ?

Essentiellement de l’opacité du système, à la fois historique et voulue par ses acteurs : le « marché » de la formation est très complexe, touffu et peu transparent. En tout, près de 10 000 organismes dispensent une formation à titre principal en France et plus de 25 000 autres en annexe à d’autres activités. Pour inspecter le tout, il n’existe que 150 agents environ à l’échelle nationale, qui ne peuvent contrôler qu’à peine plus de 2 % des dépenses. Les excès les plus connus et les plus tolérés concernent le fonctionnement des OPCA, dans un système qui profite à tous les initiés, tant du patronat que du monde syndical. Tout cela est si confus et si biaisé qu’aucun acteur politique ne peut avoir la vision des données nécessaires pour agir, et ne le veut d’ailleurs pas.

Je m’engage à redonner un sens de mission et de pilotage à ce qui coûte chaque année plus de 23 milliards d’euros et constitue un des piliers de notre système social.

  1. Un engagement politique fondamental : faire accéder à la formation ceux qui en ont le plus besoin. Ce sont les jeunes insuffisamment qualifiés, les salariés en difficulté de réinsertion et les chômeurs de longue durée, les femmes cherchant un emploi après une maternité, les handicapés et les salariés de TPE et PME. La lutte contre l’illettrisme, qui affecte aujourd’hui 9 % de la population âgée de 18 à 65 ans, doit aussi être menée dans le cadre de la formation, dans un objectif de sécurisation professionnelle et accompagnant des actions pour la maîtrise des outils informatiques et l’aptitude au travail en équipe.
    Enfin, je ferai entreprendre un grand effort de formation professionnelle dans les prisons, meilleur moyen pour assurer la réintégration sociale et prévenir la récidive.
  2. Un engagement technologique : les secteurs prioritaires devront être les métiers associés aux technologies de pointe que je préconise pour le grand chantier de demain (transports à grande vitesse, voitures électriques et à hydrogène, nucléaire de quatrième génération, agrobiophysique, etc.). La « croissance verte » comme le développement par les services sont pour moi deux voies sans issue, du moins pour tracter une économie du futur. Un vecteur scientifique réel et de grands chantiers doivent en être la fusée et la locomotive.
  3. Une intervention à court terme sur quatre points de redressement du système :
    • soumettre les organismes de formation à un réel contrôle des compétences et des parcours. Le simple enregistrement d’activité aujourd’hui exigé des organismes de formation ne suffit pas. Dans un premier temps, une vérification du parcours et de la compétence de l’organisme après deux ans d’activité est indispensable. Dans un second temps, la déclaration devra être suivie, dès le départ, d’un examen de la situation et de la qualification du formateur. Cela permettrait au moins d’éliminer les sectes, les organismes farfelus et les copinages excessifs ;
    • quadrupler au moins le nombre d’agents de contrôle à l’échelon national, pour passer des 150 actuels à 600. Ceux-ci pourront, avec les régions, s’appuyer sur l’Organisme professionnel de qualification des organismes de formation (OPFQ) ;
    • ne plus prélever des centaines de millions d’euros sur le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) comme l’a fait la loi de finances 2011, en prélevant 300 millions sur ses ressources pour des affectations éloignées de ce que sont de réelles actions de formation. Ce qui a été fait est très grave, car le FPSPP s’est vu confier deux types de missions par la loi du 24 novembre 2009, qui sont la péréquation ainsi que la qualification et la requalification des salariés et des demandeurs d’emploi, deux missions qui doivent être remplies en toute priorité ;
    • faire en sorte que, conformément aux orientations définies par les Ateliers de la formation professionnelle, la formation soit organisée sur une base « interprofessionnelle ouverte » et non plus strictement par branches.
  4. A moyen terme, créer un vrai droit à la formation tout au long d’une vie, avec un grand service public de l’emploi et de la formation, éclaireur et garant collectif, et un droit à la formation attaché à la personne.
    Le grand service public de l’emploi et de la formation à guichet unique devra définir les priorités des formations en coordination avec les entreprises et avec la participation des salariés bénéficiaires.
    Ces salariés pourront se voir ouvrir des comptes de formation individuels, qu’ils soient ou non chômeurs. Ce sera, au-delà des belles paroles, la mise en application pratique de la « formation tout au long d’une vie », à un moment de l’histoire où chaque salarié n’est plus fixé à un emploi mais appelé à changer plusieurs fois d’employeur et même de métier. Dans la logique de ce droit attaché à la personne, le compte épargne-formation, abondé par les entreprises et les pouvoirs publics, sera géré par le bénéficiaire lui-même. Une obligation de former, remplaçant l’actuelle obligation de dépense de formation, devra être intégrée dans le contrat de travail.
    Ainsi, dans un contexte de « veille » d’emplois assurée par les services du Plan, en coordination avec les Agences économiques régionales, et d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), scolarisation et formation professionnelle pourront se renforcer mutuellement en anticipant ensemble l’avenir. Les diagnostics de gestion prévisionnelle accompagneront les plans de formation, assureront une meilleure préparation aux mutations et permettront d’établir une carte des métiers et de leur évolution prévisible, suivant les grandes lignes du passage de l’économie financière prédatrice actuelle à une économie fondée sur la création humaine.

Les régions, en application de la loi sur le service civique, organiseront des centres de formation professionnelle pour le service civique, recevant les jeunes en grande difficulté d’insertion ou victimes d’addictions incapacitantes. Ces centres, dont les Epide seront l’une des composantes, constitueront pour les jeunes un milieu à l’écart de leur environnement habituel, dans lequel ils bénéficieront d’un suivi spécifique, point de départ pour leur réintégration. Ils devront être coordonnés avec l’action des Écoles de la deuxième chance (cf. ma section Une mobilisation générale pour la jeunesse).

Dans un monde qui change et qui changera très vite, si un changement de métier ne devait se produire qu’une seule fois au cours de la carrière de chacun des quelque 20 millions de salariés, chaque année dans notre pays il faudrait envisager au moins 500 000 formations longues et qualifiantes. Voilà mon but.

Les plus jeunes et les « vieux » de 45/50 à 60 ans sont la ressource laissée en jachère ou injustement exclue. L’éducation et la formation professionnelle doivent mettre un terme à cette situation. Je ne la tolérerai plus.