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France-Liban : des deux côtés de la Méditerranée, combattre la corruption financière qui tue !

mercredi 29 septembre 2021

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Déclaration conjointe de Bassam El Hachem, sociologue et militant libanais, et de Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès.

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Jacques Cheminade et Bassam El Hachem, lors de la conférence de rentrée de Solidarité & Progrès du 26 septembre 2021 à Paris.

Face aux moments extrêmement difficiles que connaît le peuple libanais et aux difficultés de plus en plus grandes que rencontre le peuple français, nous avons voulu nous exprimer ensemble pour ébaucher une réelle perspective de progrès pour nos deux nations.

La situation est propice : au Liban, un nouveau gouvernement vient d’être formé. C’est Emmanuel Macron qui l’a fait naître, au forceps, lui choisissant même son Premier ministre ! Cependant, un Président français qui, dans son pays, n’arrive pas à trouver les mots et les projets pour projeter son propre peuple vers un avenir meilleur, peut-il dicter aux autres ce qu’ils devraient faire ?

De surcroît, nous constatons que ce gouvernement a aussi le soutien des Etats-Unis, comme de leur principal ennemi dans la région, l’Iran ! Jamais la célèbre phrase de De Gaulle, « à l’Orient compliqué il faut aller avec des idées simples », n’aura été aussi juste.

Vu la terrible crise que connaît le pays du Cèdre, nous sommes, néanmoins, prêts à examiner les mérites de ce nouveau gouvernement.

A sa tête, M. Macron a fait choisir Najib Mikati, qui avait déjà occupé le poste de Premier ministre par deux fois : la première, trois mois après l’assassinat de Rafik Hariri, en 2005, et la deuxième, entre 2011 et 2013, dans un gouvernement où l’alliance entre Michel Aoun et le Hezbollah avait la haute main. Il fut aussi, entre 1998 et 2004, ministre des Travaux publics.

Politiquement, Najib Mikati est un ami personnel de Bachar al-Assad et, sans être proche du Hezbollah, il coopère avec lui sur une base pragmatique. Mikati a également, à l’égard d’Israël, des opinions fortes, qu’il a déjà exprimées le 20 septembre, dans la déclaration ministérielle de son gouvernement : face aux attaques d’Israël, le Liban revendique le droit de riposter. Il fera tout pour récupérer les fermes de Chebaa, territoire libanais occupé par Israël depuis 1967, et obtenir que soient respectées les frontières maritimes libanaises, contestées par Israël, dans une zone potentiellement riche en hydrocarbures.

Du point de vue politique, le statu quo de la Résistance au pouvoir est donc sauvegardé : le Hezbollah, attaché à l’indépendance nationale, pourra peser de tout son poids sur ces questions, et c’est une bonne chose.

Cependant, là où les choses se compliquent, c’est au niveau de l’objectif central de ce gouvernement : sauver le Liban et son peuple, plongé dans une faillite terrifiante - effondrement de la monnaie qui a fait basculer 75 % de la population sous le seuil de pauvreté, pénuries de carburant, coupures de courant jusqu’à 22 h par jour dans certaines régions, restrictions bancaires inédites, pénuries de médicaments et même de produits de consommation de base.

Au cœur de cette faillite, on découvre une corruption financière sans limites : détournement de fonds, blanchiment d’argent, transferts illicites de capitaux à l’étranger par dizaines de milliards de dollars, dette publique se chiffrant à plus de 100 milliards de dollars, etc.

Or Najib Mikati est l’un des hommes les plus riches du Liban, dont la corruption est notoire. Il est même poursuivi par la justice de son pays pour détournement de fonds, initialement destinés au financement de crédits de logement réservés aux gens de condition modeste et moyenne.

C’est là que l’intervention du Président français, ses remontrances contre les élites libanaises accusées de corruption, nous laissent pantois !

Non que cela soit faux, mais parce que, à l’origine de la fuite en avant du Liban dans la corruption, on trouve des projets où la France a eu sa part, notamment lors de la reconstruction du Liban après la guerre civile (1975-1989), organisés par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri avec le soutien du président Chirac.

C’est Jacques Chirac qui organisa les levées de fonds internationales, moyennant les plans Paris I (fév. 2001), Paris II (nov. 2002) et Paris III (jan. 2007), pour le Liban, dont les deux derniers ont rassemblé respectivement 4,2 et 7,6 milliards de dollars.

C’est cet argent qui permit à M. Hariri d’attirer au pays, grâce à des taux d’intérêts et des bénéfices mirobolants, les milliardaires des monarchies du Golfe, venus placer leurs capitaux dans les banques libanaises.

Rien ne fut entrepris, à cette époque, pour moderniser les infrastructures dans le pays. Les taux d’intérêt atteignaient, au début de la période, le niveau mirifique de 43 % du capital déposé à la banque : c’était la mise en place de la pyramide de Ponzi dont le Liban paie aujourd’hui si lourdement le coût.

L’unique chemin de fer, dont certains tronçons avaient été détruits pendant la guerre civile, fut entièrement abandonné au profit d’un commerce de gros de voitures et de la consommation d’essence. Pourtant, ce chemin de fer roulait déjà fort bien avant la fin du XIXe siècle !

En France, M. Macron, dont la candidature présidentielle en 2017 a été fortement appuyée par des financiers de la City de Londres, s’est surtout fait remarquer par ses efforts pour accueillir à Paris les principaux financiers du monde, dont JP Morgan et BlackRock. Les seuls « privilégiés » contre lesquels son action a été dirigée sont les bénéficiaires des aides au logement, de l’assurance chômage et des régimes spéciaux de retraite.

C’est pourquoi, à la veille d’une nécessaire réforme financière au Liban, nous rappelons qu’elle doit se faire, non selon les « principes » du FMI, en avançant d’une main de l’argent qu’elle reprend de l’autre par la privatisation des entreprises et autres avoirs publics des nations, mais au bénéfice de tous ces Libanais que les politiques de corruption financière favorisant les banques ont poussés à l’exil, et de tous ceux dont les maigres économies et les retraites se sont effondrées avec le cours de la monnaie nationale.

Sans préjuger des réformes qui seront propres au Liban, deux modèles de restructuration bancaire réussie peuvent être sources d’inspiration pour tous aujourd’hui.

D’abord, celui de la faillite ordonnée et de la séparation bancaire imposée par Franklin Roosevelt en 1933, suivie de l’injection de capitaux orientés vers le développement de l’industrie, l’instauration de la sécurité sociale et les retraites.

Ensuite, celui de la restructuration bancaire menée par De Gaulle en 1945, avec nationalisation de la Banque de France et de quatre grandes banques de dépôt, ainsi que la mise en place d’un circuit du Trésor, suivie d’une politique de crédit public pour l’investissement productif, et des politiques sociales du Conseil national de la résistance.

Au Liban, la réforme doit soutenir l’audit juricomptable qui vient d’être enfin signé par le président de la République, après plus d’un an et demi de louvoiement de la part du gouverneur de la banque centrale visant à en empêcher le déroulement. Cet audit est censé porter, dans un premier temps, sur les finances de la banque du Liban, puis sur celles de l’ensemble des ministères, institutions et organismes du domaine public, le but étant de faire toute la lumière sur cette catastrophe économique et financière dans laquelle le pays a été plongé, et, à partir de là, paver la voie à ce qui suit :

  1. aider au rapatriement des milliards de dollars illégitimement expatriés du Liban au cours des deux ou trois dernières années, et placés dans différentes banques européennes ;
  2. soutenir les poursuites en justice qui sont d’ores et déjà lancées, pour blanchiment d’argent, extorsion et détournement de fonds et autres pratiques illicites, contre le gouverneur de la banque du Liban, Riad Salameh, et exiger que justice soit faite contre lui et ses compères, avec paiement des réparations qui s’imposent au bénéfice du peuple qui a été volé ;
  3. soutenir une restructuration de la dette publique dans le strict respect d’une règle de justice consistant à déterminer en toute clarté les responsabilités, et faire payer la facture à chaque partie impliquée selon son degré d’implication dans la provocation de la débâcle, et non au commun des mortels, en laissant courir les véritables coupables (politiciens, gouverneur de la banque centrale, banquiers, juges, fonctionnaires, dignitaires religieux, etc.), comme c’est le cas actuellement ;
  4. entreprendre une restructuration du système bancaire dans le pays, de manière à faire payer aux banques leur part (certainement très lourde) de la facture de l’effondrement, à en réduire le nombre par des mesures de liquidation pour certaines et des fusions pour d’autres, bien entendu selon leur capacité ou non à perdurer, avec pour objectif de les mettre au service d’une économie physique, véritablement productive, devant supplanter leurs traditionnelles pratiques rentières qui ont conduit le pays à sa ruine.

M. Mikati a devant lui un choix difficile : soit continuer à appliquer les recettes d’un vieux monde en voie d’effondrement, où l’argent est devenu roi, et sauver, encore une fois, les fraudeurs au détriment des peuples ; soit s’orienter vers ce monde de demain qu’on entrevoie dans le projet des Nouvelles Routes de la soie chinoises, ou dans ceux que la Russie propose au Liban (ports, chemins de fer, électricité, raffineries), en faisant de la monnaie un outil pour l’investissement productif, fondé sur l’innovation et les technologies avancées, les infrastructures modernes, pour le plus grand bonheur du peuple libanais.

Pour notre part, nous jugerons aux actes. L’avenir du Liban appartient à ceux qui se battent pour une réelle république souveraine et représentative de la citoyenneté commune. Pour servir l’intérêt général et reconstruire une nation et une armée, en pensant à un horizon de dizaines d’années et non à celui de la prochaine combinaison politicienne. Cela s’appelle, par delà les factions et les intérêts, une volonté politique portée par un sens de mission.


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