L’Europe se désintègre de l’intérieur mais repousse ceux qui, n’ayant pas d’avenir dans leur pays, veulent trouver ici de quoi survivre.
Dans la logique de mon projet, au contraire, nous devons être à la fois capables d’assurer le développement des pays d’où viennent nos immigrés et d’intégrer ceux-ci le mieux que nous pouvons chez nous. Accueil et co-développement devront ainsi définir, comme un tout cohérent, la mission universelle de la France. La vérité est que la nécessaire régulation de l’immigration ne peut être mise en place que de deux façons : en assurant le développement des pays du Sud pour y créer des emplois qualifiés, hors de la tutelle du Fonds monétaire international (FMI) et de l’ordre financier international actuel, et en créant avec eux de vraies formules de co-développement et de partenariat pour la formation et l’intégration.
La solution est de considérer les êtres humains comme des êtres humains, et non des « variables d’ajustement » ou des kleenex à jeter après usage.
1) Développer l’Afrique
Résoudre le problème de l’immigration implique d’abord de jeter la Françafrique à la rivière, avec ses mallettes, ses valises et ses cassettes, et de fournir à l’Afrique les moyens de son développement et de son indépendance réelle, de manière à ce que le capital humain puisse y rester. D’une part en y promouvant l’équipement infrastructurel et social, d’autre part en organisant dans chaque pays un vecteur scientifique « tirant » son économie. C’était le rêve d’un Cheikh Anta Diop et d’un Thomas Sankara, il est temps de le réaliser.
- Il faut d’abord sortir du système d’ajustements structurels du FMI qui détruit l’éducation, la santé et les infrastructures, et du système de l’OMC et des Accords de partenariat avec l’Union européenne qui, dans la logique actuelle de démantèlements tarifaires, porte un coup fatal au développement des pays africains.
- Ensuite, lancer de grands projets infrastructurels à une échelle panafricaine. La revivification du lac Tchad, pour créer un poumon de développement au centre du continent, est une nécessité absolue, de même que la construction du canal de Jonglei au Soudan, la plantation d’une ceinture verte transversale dans le centre de l’Afrique et la remise en eau des chotts algériens et tunisiens. En même temps, il faut créer des chemins de fer et des transports à grande vitesse en général, intérieur-intérieur et côte-côte. Il s’agit de sortir du modèle quasi unique intérieur-côte, organisé le plus souvent pour le pillage de matières premières. L’on pourra ainsi réunifier les marchés entre régions intérieures, en mettant l’accent pour commencer sur la consommation locale de cultures vivrières.
- Pour ces grands projets, des financements à long terme et à faible taux d’intérêt seront nécessaires, l’idée étant que le développement engendré par les projets permette de rembourser les crédits (à l’image des « paiements différés » du plan Marshall en Europe).
- Dans le cadre de projets locaux et régionaux, qui sont indispensables mais n’ont de sens que tractés par de grands projets, le micro-crédit devra être organisé par les Etats en faveur des plus défavorisés pour court-circuiter les usuriers. L’idée est de mettre au travail le plus vite possible, en organisant progressivement des passerelles vers les emplois qualifiés au fur et à mesure du développement des grands projets.
- Les armées africaines, avec l’aide de nos soldats et ingénieurs civils et militaires, devront être mobilisées pour construire des voies ferrées, des ponts, des routes et des ports. C’est ainsi qu’elles trouveront une autre vocation que celle d’armées de répression ou de maintien d’un ordre injuste.
- Nous devons aider les pays africains à produire des médicaments génériques bon marché, en passant par dessus la réticence de nos laboratoires pharmaceutiques.
- Un véritable commerce équitable doit être mis en place, se substituant au libre-échange destructeur.
- La dette des pays appauvris par la politique internationale relayée par des gouvernements corrompus doit être annulée en faveur de leurs peuples. Des commissions d’enquête trancheront sur le caractère illégitime ou légitime des dettes.
Ainsi, les conditions seront créées pour que la vie et la dignité des jeunes Africains soient enfin respectées, sans navires ni avions de l’Union européenne les empêchant de quitter les côtes d’Afrique, sans risque de mourir par noyade ou sur les barbelés de Ceuta et de Melilla, sans aboutir à des camps de travail européens ou dans des logements misérables où leurs enfants sont contaminés par le saturnisme ou infectés par la tuberculose.
Ce développement de l’Afrique ne doit pas se réduire à de belles paroles, sans la substance de ce pourquoi je me bats, ni servir d’excuse à un rejet de l’immigration en France, comme le fait le Front national. Il s’agit d’un ordre de rupture avec la mondialisation financière, non d’effets de manche démagogiques.
2) Concevoir et promouvoir une politique républicaine d’immigration
Notre politique vis-à-vis de l’immigration est révélatrice de ce que nous pensons de nous-mêmes. Elle ne peut d’abord être traitée comme une question du dehors, de flux migratoires ou de sécurité, mais du dedans, comme la question de savoir ce que nous voulons faire de notre société avec eux, avec cet ensemble hétérogène et disparate de « prochains » qui ne peut être défini positivement que par rapport à notre avenir et au sien.
Trois vérités sont bonnes à dire, car sinon, tout le reste devient confus :
- la France, compte tenu de sa situation démographique, ne pourra pas se passer de l’apport de l’immigration au cours de ce XXIe siècle ;
- l’immigration, à condition d’être orientée par un effort d’intégration, a toujours été facteur de dynamisme social ;
- un réel problème se pose lorsque les salaires et les conditions de travail dans le pays d’immigration ne s’améliorent pas et que le communautarisme gagne les milieux qui se sentent et qui sont rejetés.
Par rapport à ce triple constat, nos moyens sont aujourd’hui dérisoires, dispersés et en diminution constante. Il faut donc d’abord rassembler les moyens et créer une structure unique qui les anime :
- l’État doit donner un signe fort en créant un grand ministère de la Coopération, du Co-développement et de l’Immigration, pour réunir les deux aspects intégrés d’une même politique : l’impératif de développement des pays d’origine et celui d’une gestion juste et prospective de l’immigration. Cette administration spécialisée ne doit pas être pléthorique mais instigatrice, avec une poignée de hauts fonctionnaires animateurs de l’ensemble des secteurs intéressés et, auprès d’elle, une Agence de l’intégration chargée de l’accueil des nouveaux arrivants, de l’intégration des immigrés sans limite de durée, de l’apprentissage du français, en relation avec les écoles de parents, et des valeurs de la République ;
- cette agence sera chargée de l’accueil, guichet unique faisant du « cousu main » dans le respect de la dignité de chacun, en partant d’un bilan réel de compétences et de carences. Je ne pense pas qu’une bonne connaissance du français soit un critère déterminant au départ ; l’apprendre dans les six mois après l’arrivée, oui.
- Pour lutter contre l’immigration irrégulière, les entrées et les sorties de bénéficiaires de visas touristiques seront enregistrées par un code-barres.
- En fonction de nos besoins, il faut augmenter le nombre de visas d’entrée pour études ou formation. La possibilité d’allers-retours doit être offerte : les étudiants et les migrants de travail ne doivent pas craindre de perdre à tout moment le droit de revenir en France s’ils retournent chez eux. Je suis donc favorable, pour eux, à l’émission de titres de séjour de 5 ans : le co-développement signifie d’abord pouvoir circuler dans les deux sens. Toutes les dispositions restrictives des lois Sarkozy, notamment en matière d’accès à la nationalité et d’asile politique, seront supprimées.
- Un certain nombre d’efforts devront être immédiatement consentis pour créer un climat nouveau :
- en faveur des vieux immigrés, dont le traitement a trop souvent été inacceptable et indécent. Il faut leur donner au moins, en repérant les aspects les plus choquants de leur sort, l’accès à la santé (ouverture de dispensaires au plus près de leur habitat, dans des locaux accessibles et à des horaires adaptés) et assurer la liquidation effective de leurs retraites, auxquelles souvent ils ne savent pas faire valoir leurs droits ;
- en faveur de ceux qui se sont battus ou engagés pour la France. L’injustice faite aux tirailleurs a été tardivement et partiellement rectifiée. L’alignement des pensions n’a concerné que les anciens combattants ; il faut y ajouter les engagés non combattants, avec bénéfice étendu aux veuves et ayants droit. Un effort particulier doit être fait pour les harkis et leurs enfants : la troisième génération ne doit pas continuer à subir les injustices faites à la première ;
- pour la formation et la scolarité des jeunes (ma section L’éducation, une nouvelle frontière comporte mes engagements à leur égard) ;
- le quatrième effort, bien entendu, doit être effectué en faveur de l’emploi. Seule une politique combinant formation et accompagnement dans l’emploi, mobilisant ensemble administration, syndicats et entreprises, sous l’aiguillon de l’État, permettra de combattre le sur-chômage des immigrés. Le grand service public de l’emploi que je préconise prendra l’initiative et orientera si possible les travailleurs vers des secteurs qui seront à la fois dans notre intérêt et dans celui de leur pays d’origine ;
- pour le logement : il faut non seulement l’assurer (cf. ma section Logement : un toit pour chacun), mais que les quartiers d’immigration deviennent progressivement « comme les autres », sans que l’adresse n’entraîne comme aujourd’hui une exclusion sociale et professionnelle pour celui qui l’habite ;
- pour une présence systématique et coordonnée du service public. Sous la tutelle de la future Agence, des maisons du citoyen offriront un lieu d’intégration en rassemblant dans un même lieu les principaux services : administrations, emploi, santé, allocations familiales, aide juridique, soutien à l’enseignement du français pour les mères de famille, interprétariat. Les immigrés seront associés à leur gestion à travers des « conseils de quartier » élus par tous les habitants, français ou pas, ce qui constituera un passage responsabilisant vers leur droit de vote aux élections locales après cinq ans de séjour ;
- pour désenclaver les quartiers, par des moyens de transport facilitant la circulation vers la ville, tout comme de banlieue à banlieue ;
- enfin, en matière de sécurité, les services de police redéfinis comme je le propose (cf. ma section Pour une sécurité publique sans angélisme ni État policier) devront non seulement être proches et intégrés, mais disponibles à toute heure (commissariats ouverts jour et nuit, sans fermeture en fin de semaine). Les services de police, avec l’aide éventuelle des surveillants des écoles, connaissant bien le milieu de jeunes où ils opéreront, il pourra être mis un terme aux incessants contrôles d’identité actuels.
3) Dialogue culturel et religieux
La question de la culture et de la religion doit être posée sans démagogie ni hostilité. Au contraire, la présence de la culture et de la religion de l’autre doit nourrir le dialogue, à condition que le principe de laïcité (cf. ma section Pour une laïcité solidaire) soit respecté par tous.
Il s’agit simplement d’organiser un échange entre ce que la tradition de l’immigration porte de meilleur et notre culture républicaine. L’on s’apercevra alors que nos points communs sont plus nombreux que nos divergences, et que ces dernières, si elles ne peuvent être résolues par le dogme, pourront l’être par le respect de la vie humaine et de la liberté de conscience que nous avons en partage.
Il est vrai que cela exclut les intégrismes, à l’égard desquels il ne faut faire preuve d’aucune faiblesse. Cependant un discernement sans complaisance est une attitude plus juste qu’une agressivité répondant au même niveau que celui de l’éventuelle agressivité de l’autre. L’apport de la musique arabo-andalouse et notre culture de la Renaissance, sur le fondement d’une économie du développement mutuel, peuvent et doivent renouer avec l’esprit de l’entente de Charlemagne et d’Haroun el Rachid.
L’islam en France doit être traité comme les autres cultes, ni plus ni moins. Au nom de l’exercice de leur liberté de conscience, les fidèles doivent pouvoir disposer d’un lieu de prière, de centres culturels et de lieux de réunion, et construire des mosquées respectant les lois et les principes de l’urbanisme. Les collectivités locales peuvent leur offrir, avec le soutien éventuel de l’État, les moyens de construire des édifices du culte sans changer les lois sur la laïcité (baux emphytéotiques, garantie pour les prêts à la construction...).
En conclusion, la politique d’intégration à l’intérieur de notre pays devra être l’équivalent de notre politique de co-développement à l’extérieur, celle du Nouveau Bretton Woods et du Pont terrestre eurasiatique étendu à l’Afrique : dans les deux cas, l’objectif est une nouvelle donne. J’appelle la diaspora africaine en France, en Europe et dans le monde à se mobiliser pour elle, dans l’intérêt de notre développement mutuel.