Nous voici plongés dans un débat de plus en plus absurde sur le « ras-le-bol fiscal ». La question fondamentale de l’imposition dans un Etat de droit républicain se trouve en effet posée comme si elle avait une logique propre, détachée de son contexte politique. M. Ayrault veut entreprendre à juste titre une grande réforme fiscale, indispensable dans notre système injuste et obscur, mais il veut y parvenir dans une France qu’il a, comme ses prédécesseurs, mise en régression économique et sociale. L’opposition pousse des cris d’orfraie mais c’est pour défendre ce qu’elle appelle « les classes moyennes supérieures », c’est-à-dire sa clientèle. Sans plus de projet que la majorité. On comprend que vienne la tentation de se mettre un bonnet rouge sur la tête, puisque tout le monde perd cet appendice pourtant nécessaire à la pensée.
L’impôt, c’est d’abord les moyens financiers que l’on veut trouver pour investir dans l’avenir. Il est, avec le crédit public, le second pilier d’un Etat. Il y a les « bons » impôts, perçus équitablement et qui doivent permettre l’essor d’un service public dynamique, l’éducation, la santé et la recherche fondamentale, et qui, associés au crédit public, financent l’équipement physique des territoires en y créant les conditions propices aux activités productives. En rapportant des plus-values réelles, celles-ci créent les conditions du remboursement. Ce n’est pas une charge, c’est un pari sur l’avenir. Le « mauvais » impôt est celui qui entretient les positions acquises et les clientèles. Il est, lui, tourné vers le passé.
Mais voilà que le gouvernement et son opposition considèrent la « rigueur » comme fatale, le coût salarial comme une référence obligée et la « restauration des marges de compétitivité » comme l’alpha et l’oméga. C’est une approche, comme le dit l’économiste Jacques Généreux, « d’une stupidité crasse » .
Or que faut-il à notre pays ? La solidarité et le progrès en même temps, une politique de développement mutuel, dont l’Etat doit être le chef d’orchestre. Le problème est que la France s’est d’abord soumise aux grandes banques en en faisant ses prêteurs obligés, puis à une Europe fondée sur la libéralisation financière, construite au bénéfice de ce système bancaire « universel ». La solution est une séparation bancaire stricte, à l’opposé de la réforme Moscovici-Berger, une grande politique de crédit public pour investir dans les technologies de pointe et une réforme fiscale digne de ce nom, trois choses formant un tout cohérent. C’est pour le faire que nous devons changer d’Europe, sans accepter l’escroquerie qu’on nous vend aujourd’hui sous ce nom et sans repli national impuissant.
Au nom de qui et de quoi ? Des pauvres, qui sont désormais près de 10 millions de Français, plus d’un sur sept, dont 2,7 millions d’enfants et d’adolescents de moins de 18 ans. Des 5,4 millions d’inscrits à Pôle Emploi, des chômeurs de longue durée et des jeunes dont la substance humaine et productive se perd. Des emplois perdus partout, avec plus de mille plans sociaux depuis un an. Au nom de ceux qui, désespérés, se suicident, comme un agriculteur tous les deux jours, des policiers, des gendarmes et jusqu’aux fonctionnaires de Bercy. Pour arrêter le démantèlement des territoires, comme en Bretagne ou dans le Cotentin.
Contre qui ? Contre le réseau des grandes banques et des entreprises du CAC 40, qui délocalisent et paient moins de 8 % d’impôt, alors que les très petites entreprises en paient 28 % et les PME 23 %.
Impôt ou pas, cette France-là n’est pas « durable ». Nous devons nous battre pour la France que nous aimons et dont le monde à venir a besoin. Celle des « Jours heureux » de 1945, qui s’est faite sans rente, avec peu d’épargne mais contre le féodalisme financier.
L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.