Nous étions la semaine dernière au Festival off d’Avignon pour y introduire la dimension morale du théâtre. La scène est en effet le lieu où l’art rencontre la vie de la société et où un spectacle, par les questions qu’il pose et la réflexion qu’il inspire, stimule la créativité humaine et élève le caractère.
Nous y avons fait circuler un fascicule prenant l’œuvre de Friedrich Schiller sur « l’éducation esthétique de l’homme » comme référence pour dialoguer sans filet avec la population. Pour chacun d’entre nous, les questions des passants et les pièces de théâtre que nous avons vues – Eiffel, Germinal, Les guérisseurs... – furent autant d’occasions d’un enrichissement et d’une incitation politique à agir. L’art vrai a pour but de contribuer à nous rendre responsables du futur, par choix assumé et non par devoir imposé de l’extérieur.
Notre intervention dans les rues de la ville avait lieu en même temps que la Coupe du monde de football et la rencontre entre les présidents Trump et Poutine. Les mondes parallèles du théâtre culturel, du théâtre sportif et du théâtre politique se rencontraient ainsi devant nos yeux. Ce qui leur est évidemment commun est que dans tous les cas, on ne peut demeurer simple spectateur. Voir un match sur un grand ou un petit écran n’a de sens que si l’on a soi-même joué en amateur, sinon il s’agit de voyeurisme, d’une vie vécue à travers des avatars comme dans un jeu vidéo. Il en est de même dans le théâtre politique. On ne peut mesurer l’enjeu de la rencontre entre Trump et Poutine que si l’on se met soi-même face aux responsabilités que doivent assumer ces deux hommes dans la tragédie d’un monde à construire.
Pour qui s’en tient à nos médias, Poutine a hypnotisé Trump et récolté tout ce qu’il voulait sans rien céder. Pourquoi ? « Parce que Trump est en train de saper 70 ans d’architecture de sécurité impulsée par les Etats-Unis », comme le dit Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin.
En un sens, oui. Car cette rencontre est un premier pas hors de la géopolitique et vers un nouvel ordre international fondé sur un développement mutuel et une stabilité stratégique.
Maintenant, relisons la presse française et comparons-la aux médias anglais et américains dominants. C’est du copier-coller. Les va-t-en guerre républicains et démocrates américains et britanniques hurlent à la trahison de Trump car ils veulent à tout prix maintenir l’ordre anglo-américain de l’après-guerre, fondé sur la dictature financière mondialisée et le libre-échange. Pour eux, le Rideau de fer ne devrait jamais être relevé et le FBI est voué au bien commun.
Or le président américain a exprimé à plusieurs reprises sa volonté d’aboutir à un accord avec la Russie et la Chine. Il a dit à Helsinki qu’il entendait « prendre un risque politique à la recherche de la paix plutôt que de menacer la paix en recherchant des avantages politiques ». Poutine a déclaré, quant à lui, que « la guerre froide appartient au passé ».
Les deux présidents envisagent un accord de paix en Syrie, la création d’un groupe permanent d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires russo-américain et d’un conseil d’experts composé de politiques, de diplomates et de militaires en retraite pour réfléchir à des domaines de coopération et à la mise en place d’un groupe de travail sur la cybersécurité. Le président russe a offert non seulement d’interroger les membres des services de renseignement russes, accusés par Robert Muller d’être impliqués dans le Russiagate, mais il a convié des officiels américains à assister aux interrogatoires sous condition de réciprocité vis-à-vis de ressortissants américains ayant nui aux intérêts russes.
Sur tout cela, nos médias ont été fort discrets... Au lecteur donc de juger et d’intervenir en montant sur la scène politique. Une bonne pièce de théâtre a une trame. Le dénouement dépend des acteurs, c’est-à-dire de chacun d’entre nous. Car la paix suppose bien entendu d’aller bien plus loin.