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La plus grande arnaque de tous les temps ou le cadavre puant du système financier

mardi 16 décembre 2008

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Ajoutant le ridicule à l’ignominie, voici que l’ancien patron du Nasdaq, le marché des valeurs technologiques américaines, se révèle être l’auteur de la plus grande arnaque de tous les temps. Bernard Madoff a trompé ses clients et perdu une somme de plus de 50 milliards de dollars, ce qui ramène Jérôme Kerviel au rang de garçon de courses de province. Le montage était-il particulièrement génial ou sophistiqué ? Le pire c’est que ce n’est pas le cas : il s’agit du bon vieux « schéma de Ponzi », une escroquerie à la pyramide ou à la chaîne. Auquel, et c’est le plus grave, se sont laissé prendre les plus grandes institutions financières de la planète, alléchées par la folle promesse d’un rendement mensuel très élevé, alors que les Bourses, elles, affichent une baisse de 50 % depuis le début de l’année. Mieux ou pire encore, l’organisme de contrôle de la bourse américaine, la Security and Exchange Commission, n’a « rien vu venir », malgré de nombreuses alertes portées à sa connaissance.

Cette « défaillance systémique absolue » des autorités prouve trois choses. La première est que la proverbiale « magie des marchés » n’est qu’une vulgaire croyance à la magie, avec une perte totale des repères réels. La seconde est que l’escroc n’avait que des clients crédules et stupides. La troisième, que ce n’est pas seulement l’affaire de M. Madoff qui se trouve en cause, mais tout le système financier et monétaire qui, techniquement, psychologiquement et moralement, a pu laisser passer un tel « schéma ». Ce système est lui-même fondé sur une multiplication de bulles, dont celle des subprime n’aura été qu’un maillon faible de la chaîne, et il obéit à la même logique et est de même nature, à quelques complications près, que le montage artisanal de M. Madoff. Ce n’est pas son montage qui est la plus grande arnaque de tous les temps, mais l’accumulation globale et vertigineuse de crédits et de dettes : la somme des transactions interbancaires mondiales sur un an dépasse les deux millions de milliards de dollars, et le total des produits financiers dérivés à un moment donné sur les marchés non réglementés s’élève à environ 700 000 milliards de dollars. Or le Produit intérieur brut du monde, y compris les services, n’atteint qu’un peu plus de 50 000 milliards de dollars. Hier on appelait cela un effet de levier, qui permet d’élever magiquement des pyramides virtuelles sans socle, aujourd’hui il s’agit de l’empilement de dettes d’un mort-vivant, qui ne pourront de toute évidence jamais être remboursées. M. Madoff n’est donc lui aussi, comme M. Kerviel, qu’un révélateur du mode d’opérer d’un gang de bien plus haute volée, dont le conglomérat d’intérêts s’étend depuis la City de Londres et Wall Street au monde entier, en passant par les principaux paradis fiscaux qui en sont l’émanation. Il s’agit, car à toute action humaine il y a un élément subjectif, bel et bien d’une conspiration prouvée par les faits, de nouveaux Père Ubu déterminés à confisquer le pouvoir par le recours infini à des pompes à phynance, et même les esprits nourris de conceptions mécanistes commencent à l’admettre en constatant que l’extraction de valeur concerne leur portefeuille.

Le Schéma de Ponzi

L’arnaque est simple : c’est, en mieux enrobé, le principe même de la pyramide des mafieux albanais (1997) et des criminels colombiens (2008). Car la loi de la jungle est partout la même. On fait valoir aux investisseurs que leur argent leur rapportera beaucoup parce qu’on a les bonnes informations, le savoir-faire et un carnet d’adresses. Ils apportent leur argent et au fur et à mesure des nouveaux apports, on sert aux premiers des taux d’intérêt élevés en leur distribuant l’argent des seconds, et ainsi de suite. Les premiers, très satisfaits, font la publicité du système et en attirent d’autres. En même temps, on investit une partie en bourse avec des effets de levier énormes, plusieurs fois la mise ! Et tout va bien tant que le marché monte et que personne ne réclame son argent. La pyramide s’élève. Mais à un moment donné les nouveaux fonds n’arrivent plus, les clients ont des difficultés, surtout si la bourse et les opérations immobilières s’avèrent elles-mêmes désastreuses. Ils réclament alors le retrait de leurs fonds, ceux-ci se sont évaporés et c’est la chute !

La « titrisation » des créances hypothécaires obéit en fait au même principe. On fait des titres avec des paquets de créances plus ou moins douteuses, qu’on revend à d’autres. Les créances se transforment ainsi en actifs qui circulent. Comme on sait qu’il y a risque, on se garantit. Et on crée les fameux credit default swaps, ou contrats d’échange de risques de défaut : dès lors, on fait circuler un titre représentant le risque. On finit ainsi par parier, en empruntant, avec des effets de levier d’au moins cinq fois sa mise, sur la mort prochaine des autres. Et c’est finalement tout le système qui meurt ! Avec la même logique que le schéma de Ponzi, un escroc des années 1920.

On en est là. Et pour sauver le système, on renfloue les banques avec l’argent des contribuables, l’Etat avale leurs effets toxiques en empruntant sur les marchés pour se procurer de quoi le faire. Dans un premier temps les prêteurs sont heureux, car en période de crise, la garantie de l’Etat (bons du Trésor) est précieuse. Ainsi, l’Etat se procure des ressources à faible coût : le 8 décembre, des bons du Trésor américains à trois mois ont même été pris avec un taux légèrement négatif. Puis l’Etat prête à un taux très modéré aux établissements financiers, qui font avec cet argent toutes sortes de choses : prêter à d’autres avec un taux encore plus élevé, nourrir des actionnaires avec des dividendes, boucher les trous qu’ils ont accumulés, mais pas financer l’économie réelle et la production, et surtout pas les PME ! L’arnaque fonctionne à plein, d’autant plus que les Etats demandent aux banques d’affaires, qui « disposent du savoir-faire nécessaire pour jouer cette partie du Monopoly de la finance », de les conseiller… pour sauver les banques ! Les soins financiers de fin de vie deviennent ainsi une bonne affaire… pour les banques. Pas pour les Etats qui, à force d’avaler des effets toxiques, vont se ruiner et ruiner leurs monnaies, ni pour l’économie réelle qui s’effondre, sans parler de l’avenir des êtres humains.

Nouvelle délinquance économique

Dans ce contexte de tricherie et d’escroquerie devenues intrinsèques au système, la morale publique s’effondre et chacun, voyant les arnaqueurs impunis et leurs folles créances défendues par les Etats, cherche à « s’arranger ». Ainsi la criminalité des seniors a doublé en cinq ans au Japon, certains sont des veufs qui commettent des crimes pour aller en prison et manger trois fois par jour, ce qu’ils ne peuvent plus faire avec des retraites en peau de chagrin. La piraterie moderne développe ses bases en Somalie, en Indonésie et au Nigéria. Les pêcheurs ruinés du Putland somalien attaquent les bateaux, et ceux qui ont perdu leurs ressources au Sénégal vendent leurs pirogues à des passeurs qui gèrent le trafic d’êtres humains. En Grande-Bretagne, des gangs de braconniers font la chasse à la viande sauvage et pillent les élevages de moules. Chez nous, des centraux téléphoniques ont été dépecés de leurs fils de cuivre, des rails de chemin de fer déboulonnés et des plaques d’égout volées. A la délinquance des financiers correspond ainsi une délinquance nouvelle des marginalisés, qui n’est pas seulement le trafic de drogue dans les banlieues et le showbiz.

Ici apparaît donc plus crûment la nécessité d’une banqueroute organisée pour dégager le terrain et permettre à des flux d’argent, dans un système de crédit public et non de monétarisme pilleur, d’irriguer de nouveau l’économie réelle et de tarir la délinquance à la source.

Jacques Cheminade

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