Nous savons tous que la France est une démocratie républicaine à reconstruire. Le RIC est le pouvoir des citoyens de participer directement et légitimement aux affaires de notre pays. Il est donc nécessaire et logique qu’il soit un pilier de cette reconstruction. Cependant, il ne s’agit pas d’une formule magique.
Dans un système où le président de la République est élu au suffrage universel direct et où les Français tiennent à ce mode d’élection, qui assure ou devrait assurer une direction ferme, la participation citoyenne doit en être l’indispensable complément. Si le pilote ne conduit à son bord que des passagers passifs, il sera condamné à ignorer leurs intentions et leurs souffrances, qui ne pourront dès lors s’exprimer, comme aujourd’hui, que par la colère. Il continuera à les trahir au profit de l’oligarchie, avec la complicité d’une démocratie représentative et d’une haute administration dévoyées par l’argent et le carriérisme. Le général De Gaulle l’avait intuitivement compris dans les circonstances de l’après-Mai 1968, mais pas son entourage ni son opposition.
Dans les circonstances de 2018, et avec le pillage éhonté de l’Etat par les pouvoirs financiers, il est bien plus impératif encore de mettre en œuvre des moyens nouveaux de participation. C’est ce que j’ai indiqué constamment dans mon projet présidentiel de 2017, en réponse à cette légitime colère que j’ai vue monter depuis 2009 et à laquelle je me suis alors adressé.
Ceux qui restent paralysés face au tsunami financier qui vient le sont également face au tsunami politique. Je ne l’ai jamais été, c’est pourquoi je juge nécessaire d’intervenir ici, d’autant plus qu’en dehors des périodes électorales, les médias se sont efforcés de me rendre invisible et l’oligarchie dominante de me discréditer. C’est pourquoi je me considère par nature comme un « gilet jaune » politique, au moment où se libère une parole nouvelle et où vient l’heure des projets. Sans intention de récupération de mouvement ou de label, mais en espérant pouvoir contribuer à l’accouchement d’un monde meilleur.
I – La République a besoin du RIC
Comme pour la réforme bancaire de 2013, la réforme constitutionnelle de 2008 a fait pire que ne rien faire, en instituant un faux référendum « d’initiative partagée ». Mentionné dans l’article 11 de notre Constitution, il est parfaitement inutilisable. Il repose sur l’initiative de 20 % des parlementaires et le soutien de 10 % des électeurs inscrits (soit environ 4,5 millions de personnes) ! On s’est donc moqué du monde, comme on s’est moqué du monde en contournant et, de fait, en annulant le vote populaire sur la Constitution européenne de 2005.
Or, s’il est une chose que les gilets jaunes – et les trois quarts des Français qui les soutiennent ou les ont soutenus – ne peuvent accepter, c’est que l’on triche en se moquant d’eux. Le RIC, c’est la volonté affichée qu’on arrête de tricher et que le peuple impose le respect en tenant le gouvernail. Ce n’est pas « moins d’Etat » ou « plus d’Etat et moins de taxes » que veulent dans leur grande majorité les gilets jaunes, mais ils revendiquent l’autorité d’un Etat juste auquel ils participent et qui leur explique où va leur argent.
Les arguments qui sont opposés au RIC relèvent tous d’une peur ou d’un mépris du peuple. Non pas que le peuple soit parfait par nature, mais le Titre 1, article 2 de notre Constitution proclame bien que le principe de notre République est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Quiconque méprise, rejette ou ignore le peuple ne respecte donc pas le principe de notre Constitution.
Ecoutons la grande peur que le RIC inspire aux bien-pensants :
- Il accentuerait les divisions entre majorité et minorités et en leur sein même, comme le prouveraient, soi-disant, les référendums de 1992 et 2005. Ils ont en effet exacerbé ces divisions mais elles existaient déjà, et c’est pour maintenir l’ordre établi que le régime des partis a ensuite fait comme si ces lignes de partage étaient immuables, chacun trichant avec « son » électorat et pratiquant de fait la même politique, à quelques nuances près. Lorsque les résultats des référendums déplaisaient aux « élites » dominantes, celles-ci se sont toujours efforcées de les annuler au nom d’arguments « supérieurs » à la volonté du peuple et généralement contraires à ses intérêts. Aujourd’hui, l’« en même temps » ne fait que traduire leur volonté de tout contrôler à leur avantage, en démantelant la résistance des corps intermédiaires.
- En contraignant à répondre par « oui » ou par « non », il simplifierait trop des questions dont les « sachants » comprendraient mieux les réponses « nuancées ». L’Etat ne pourrait plus « forger des compromis douloureux et nécessaires », mais douloureux pour qui et pour quoi ? MM. Juncker, Gérald Darmanin et leurs semblables ont parfois exprimé sans trop s’en cacher que cette douleur serait en fin de comptes ressentie... par la démocratie elle-même !
- Une fois le vote du référendum proclamé, dit-on encore, il n’y aurait plus personne pour rendre des comptes, car on peut dégager les gouvernants, pas les citoyens ! Ceux-ci sont décidément bien embarrassants pour les pouvoirs en place !
Les citoyens sont décidément bien embarrassants pour les pouvoirs en place !Bref, l’enjeu du RIC est de donner directement la parole au peuple pour empêcher qu’une caste ne confisque la démocratie et de rendre au politique le pouvoir que sert aujourd’hui cette caste, celui de l’oligarchie financière et de sa bureaucratie. Les arguments soulevés contre lui sont les mêmes, dans leur logique, que ceux invoqués en leur temps contre le suffrage universel et le vote des femmes. Leurs bénéficiaires seraient trop ignorants pour participer aux décisions et il serait avisé de les tenir à l’écart car ils pourraient « mal voter ».
Le RIC doit également permettre d’échapper à la tournure plébiscitaire du référendum qu’il a toujours prise en France, où il est convoqué par le pouvoir lorsque celui-ci veut se légitimer. Le RIC, c’est une conception du référendum opposée à celle de Napoléon III ou du général Boulanger. De par sa nature, et le champ de discussion qu’il ouvre, le RIC ne peut pas être utilisé par les gouvernements pour masquer les problèmes économiques et sociaux et réduire les discussions aux impératifs d’ordre et de sécurité publique comme des choses en soi.
II – Organiser le RIC pour sortir d’un système pyramidal de servitude
1. L’on a vu, au cours des manifestations de gilets jaunes, des femmes et des hommes qui n’avaient jamais manifesté auparavant, des hommes et des femmes que d’habitude on n’entend pas, venir exercer leur droit à la citoyenneté. En découvrant le bonheur d’être ensemble, de servir une juste cause.
Toute participation à un mouvement social de ce type transforme ceux qui y participent, élève leur conscience sociale. Dans les années 1960, dans le village d’Auvergne où j’étais, lorsque la température le permettait, les gens sortaient leurs chaises devant chez eux et la soirée bruissait de causeries. Qu’on l’aime ou pas, aujourd’hui c’est sur les réseaux sociaux que l’on cause. Puis c’est physiquement, en gilet jaune, que se sont connus ceux qui y causaient.
Peu à peu apparaît la nécessité d’un projet, pour le meilleur, une dynamique d’éducation mutuelle. C’est ce processus d’éducation mutuelle que doit porter le RIC, un accès nouveau à la politique par delà la société des écrans. Ce n’est pas forcément gagné, mais c’est l’occasion à saisir pour sortir de l’hypnose des médias (« Débranche ta télé, enfile ton gilet ») et du système politique devenu pyramidal, l’un entretenant l’autre et écartant du débat les questions fondamentales. Le RIC devra être un moyen de poser les questions déterminant l’avenir de chacune et chacun, et notamment comment reprendre le contrôle de l’émission d’argent et de crédit pour créer de bons emplois.
Ainsi pourrait être construit le « rond-point national » d’un civisme où chacun pourrait mesurer ses capacités et ses limites en participant. Le but est cette sortie de l’entre-soi, qui est la plus grande crainte des élites, libérales en paroles et de fait au service d’une dictature financière et d’une culture du flash et de l’abêtissement mutuel assurant une servitude volontaire.
2. Cette démocratie plus participative doit être organisée pour répondre sans contestation à la voix légitime du peuple. Le RIC, convoqué à l’initiative des citoyens, doit réunir un certain nombre de signatures identifiables. Le chiffre doit correspondre à une proportion d’électeurs de l’ordre de 1 % des inscrits (soit environ 500 000).
On sait qu’il n’est pas facile de réunir des signatures : la loi en exigeant 10 000 pour qu’un parti politique puisse bénéficier d’une aide publique avait dû être retirée, faute de candidats ayant réussi à passer l’épreuve... Aujourd’hui, cependant, le recours aux technologies du numérique rend plus faciles la présentation des signatures et leur contrôle (par exemple, en faisant confirmer par email que l’adresse saisie correspond bien à l’adresse du signataire).
La méthode doit être techniquement impartiale et le site internet rassemblant les signatures ne doit pas être hébergé par les organisateurs du référendum. Ceux-ci doivent présenter par ailleurs un site d’information lisible et efficace. On empêchera ainsi les manipulations du nombre de signatures ou leur caractère « involontaire », contrairement à ceux qui affirment par principe que c’est impossible.
3. Avant chaque vote, le texte serait soumis à un jury citoyen tiré au sort et au cas par cas, qui n’aurait aucun pouvoir de décision mais examinerait le pour et le contre sur la base d’informations fournies par les experts du sujet et les administrations compétentes. Les conclusions de ce jury seraient ensuite envoyées aux citoyens en même temps que l’argumentaire des auteurs de l’initiative et des autorités en place, le tout dans un même document papier et sur internet.
Les expériences suisse et d’Etats américains montrent que c’est possible. Les débats au sein des jurys tirés au sort, lorsque cette procédure existe, volent généralement plus haut que dans les « talk shows » organisés par des journalistes souvent débordés par le sujet ou leurs préjugés. Les discussions peuvent y être plus impartiales, soulever des sujets nouveaux et se tourner davantage vers l’intérêt général au fur et à mesure que progresse l’expérience politique des participants.
4. Un seuil minimal de participation serait fixé afin d’assurer que la volonté populaire soit réellement respectée.
5. Le Conseil constitutionnel examinerait bien entendu la constitutionnalité du texte, sauf dans le cas d’une remise en cause explicite de telle ou telle disposition constitutionnelle, auquel cas il expliquerait la portée de cette révision et ses conséquences. Dans tous les cas, les textes devront être conformes aux principes fondamentaux du droit et à la Déclaration des droits de l’homme.
6. Un montant maximal de dépenses sera fixé pour la campagne, afin d’éviter les abus.
7. L’Assemblée nationale pourrait discuter l’initiative et présenter son point de vue dans le document adressé aux électeurs, voire, comme en Suisse, soumettre une contre-proposition à la votation, parallèlement au texte de l’initiative. Cependant, il ne pourrait en aucun cas y avoir manœuvre pour retarder la présentation de l’initiative, ni amendement de la proposition elle-même. En tout état de cause, l’initiative devrait être soumise au vote populaire dans les plus brefs délais, au plus tard six mois après avoir récolté le nombre de signatures requis.
III – Par delà et en complément du RIC
Pour représenter un réel changement et échapper aux manipulations démagogiques, le RIC doit être entouré d’un certain nombre d’initiatives :
- Une Assemblée permanente de citoyens tirés au sort, comme celle que je proposais dans ma campagne, pour réfléchir, assistée d’experts, aux propositions de référendums et au recours aux technologies du futur, permettant une continuité dans le rapport entre élus et citoyens. Cette Assemblée examinerait les sujets d’intérêt national, sans exclusive, pour créer les conditions d’une prise de conscience de l’intérêt et des conséquences des décisions à prendre.
Le but est de parvenir à une appropriation citoyenne de la « révolution technologique et informationnelle » pour accompagner et orienter les élus, les assister et, au besoin, sanctionner leurs écarts.
Reflétant la diversité des populations qui la composeraient, cette Assemblée permettrait de confronter, comme sur un rond-point, des points de vue bien plus divers que ceux des technocrates et des couches privilégiées qui dominent aujourd’hui la prise de décision et qui, consciemment ou pas, sont associés au monde de l’argent.
L’objectif est aussi de former et de promouvoir ce renouveau du civisme dont les gilets jaunes sont collectivement demandeurs. Les citoyens de cette Assemblée de réflexion, tirés au sort comme en Islande, se verraient proposer une formation sur les sujets de société, en confrontant les experts. Ils seraient rémunérés pendant les périodes où ils siégeraient.
- Cette Assemblée permanente, ainsi que les commissions parlementaires, devraient étudier ensemble la mise en œuvre de nouveaux modes de scrutin pour aboutir à une meilleure prise en compte des réalités et des nuances de convictions, comme la notation de 0 à 20 des candidates et des candidats. La note totale établie pour chacune et chacun d’entre eux, en additionnant l’ensemble des notes individuelles, permettrait de proclamer élu celui ou celle ayant obtenu le plus de points (ou éventuellement, l’accès à un second tour pour les deux premiers).
Cela pourrait valoir tant pour les élections législatives que pour les présidentielles.
A l’heure d’ordinateurs ultra-rapides pour effectuer les calculs et le traitement des données, cette approche devient possible. De plus, chaque candidat ou candidate devrait établir un programme d’heures de permanence internet pour répondre à toutes les questions posées par les électeurs.
Une proximité pourrait être ainsi rétablie entre électrices et électeurs d’une part, élus de l’autre, proximité qui trop souvent ne subsiste aujourd’hui que pour les maires. Je trouve globalement encourageant, dans cet esprit, le recours massif et sans gêne des gilets jaunes à Facebook pour organiser leur mouvement.
- Les formations minoritaires, à l’encontre desquelles s’exerce une sorte d’arrogance des plus forts qui verrouille notre vie politique, doivent pouvoir accéder à une représentation au sein de l’Assemblée nationale. L’élection à la proportionnelle absolue sur une liste nationale doit être ainsi prévue pour 25 % des élus (c’est-à-dire 100 si leur nombre est fixé à 400), le principe étant que pour 1 % des voix, chaque parti ait un élu. L’Assemblée a besoin de cette bouffée d’oxygène et de représentativité, sans porter atteinte à la possibilité d’y constituer des majorités.
- Enfin, les textes organisant l’accès à notre vie politique instituent en fait un privilège financier en faveur du « cercle de raison » des partis installés.
Dans Le Prix de la Démocratie, Julia Cagé a bien établi qu’il existe une corrélation entre les victoires électorales et les moyens financiers dont disposent les candidats. En outre, la manne publique est distribuée en proportion de leur nombre d’élus à l’Assemblée nationale et du nombre de voix obtenu aux législatives précédentes. Une telle répartition à partir de critères passés n’invite pas au renouvellement. D’autres critères plus équitables doivent être très rapidement examinés et appliqués.
En tous cas, l’Etat devrait immédiatement, pour toute élection, y compris la présidentielle, établir un bulletin de vote unique comportant les noms de tous les candidats, chaque électrice ou électeur devant désigner par un signe (une croix, par exemple) le candidat de son choix. L’économie réalisée serait non négligeable et les critères d’égalité mieux respectés. L’accès à une législative, comportant ce droit à l’inscription sur un bulletin unique, une déclaration de candidature limitée à quelques paragraphes et l’impression des affiches destinées aux emplacements officiels, serait fondé sur l’aptitude du candidat à réunir des signatures de présentation d’électeurs de sa circonscription. Un chiffre de 0,5 % à 1 % des électeurs inscrits et dûment contrôlés paraît raisonnable.
Faute de prendre des mesures de cette nature, c’est la loi de l’argent qui continuera à prévaloir et les mêmes candidats ou leurs affidés continueront à revenir sur nos écrans. Ici, la reconstitution d’une priorité à l’ouverture citoyenne rejoint l’esprit du RIC.
IV – Une logique de coopération et non de conflit
Nous sommes soumis à un système qui diabolise de plus en plus les voix discordantes, menant à une logique de conflit. Le fossé s’élargit entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. L’initiative, l’imagination et la responsabilité sont de moins en moins présentes. Le chef de l’Etat se trouve seul, avec ses serviteurs issus du même monde, devant le peuple, sans articulation avec lui, dans une société de l’immédiateté et de la fuite en avant, quand ce n’est pas en arrière. Le RIC n’est évidemment pas, répétons-le, la solution miracle à ce mal devenu de plus en plus visible et perçu de tous.
Il est cependant un mode d’expression et de participation qui, en situant les rapports humains par delà une urgence intéressée, par delà une logique financière qui considère l’homme comme une valeur cotée, doit aider à extraire notre société de l’analyse des effets et de la réactivité pour passer au traitement des causes. En ouvrant les portes du débat, il offre l’horizon d’un ordre gagnant-gagnant. Dans un pays occupé, financièrement et culturellement, il est de nature à devenir un instrument de libération en confiant au peuple l’accès au pouvoir.
Bien entendu, il faut que le peuple puisse se poser les bonnes questions. C’est notre devoir de participer à ses interrogations et de les enrichir pour parvenir à un projet mobilisateur.
Face à la crise que nous vivons, le RIC est un recours. Il est précieux. Car mieux vaut une lucidité qui se cherche à tâtons, plutôt que les certitudes autodestructrices d’une caste de fabricants d’opinion qui prétendent gérer un monde sans cœur dont ils sont devenus serviteurs.