Je ne parlerai pas ici de mallettes ni de valises, qui auraient dû relever d’une justice digne de ce nom, mais du scandale du financement public, affiché, de notre vie politique.
La loi de 1988, modifiée à plusieurs reprises, notamment en 1990, 1993 et 1995, passe pour avoir permis une réelle « moralisation » de la vie politique. Il n’en est rien. Ces textes instituent en fait un privilège financier en faveur du cercle de raison des partis installés et de leurs élus. Si l’on écarte les tirades hypocrites, le financement public aboutit à la mise en place d’un système censitaire avec prime systématique à l’antériorité. L’injustice officielle vient ainsi s’ajouter aux effets de l’argent noir de la République (emplois fictifs plus ou moins tolérés, versements en espèces, « bureaux d’études », enveloppes et valises africaines…) et au détournement de la loi par la création de micropartis satellites permettant à des donateurs de financer à plusieurs reprises une même sensibilité politique.
Le principe est qu’une manne publique d’environ 75 millions d’euros (74 818 078,19 euros en 2008) est versée en deux parts distinctes chaque année pendant cinq ans. La première, d’un peu plus de 34 millions d’euros, est distribuée aux partis ayant dépassé 1 % des voix dans au moins cinquante circonscriptions aux élections législatives. La deuxième part, d’environ 40 millions d’euros, est répartie entre toutes les formations politiques ayant des élus à l’Assemblée nationale, en fonction du nombre de parlementaires se revendiquant du parti.
En fait, cela a abouti en 2009 à verser 46 % de ce financement public à l’UMP, 33 % au PS, 5,33 % au Modem, 4,8 % au PCF, 2,6 % aux Verts, 1 ,7 % à LO-LCR et 1,3 % au MPF. Les micropartis s’arrogent approximativement le reste, dont le parti polynésien Fetia Api, qui a accueilli ses « frères » élus du Nouveau Centre pour leur permettre de bénéficier d’1,3 million d’euros au titre de la deuxième part…
Évidemment, dira-t-on, il est juste que ceux qui ont présenté des candidats « sérieux » et réussi à se faire élire bénéficient de l’aide publique. Le hic est que pour y parvenir, il faut d’abord pouvoir présenter des candidats aux législatives. C’est ici qu’apparaît le mur de l’argent, sous la protection duquel ceux qui sont en place se partagent la manne !
En effet, dans notre système, les candidats doivent financer eux-mêmes l’impression de leurs bulletins de vote, de leurs déclarations de candidature et de leurs affiches, ainsi que leur collage. Le remboursement n’est accordé que si l’on obtient 5 % des voix, ce qui est très difficile pour tout parti émergent. En tout état de cause, il faut faire l’avance des fonds. Si l’on veut présenter cent candidats en espérant que 50 dépasseront 1 % des voix, le coût du simple matériel électoral étant de 6000 euros environ par candidature, il faudra dépenser 6000 euros multiplié par 100 candidats, soit 600 000 euros ! Un droit d’entrée dont le niveau explique que les sortants ou les candidats sponsorisés par les grands partis, financés par l’argent public (cf. ci-dessus), disposent d’un avantage déterminant. D’autant plus déterminant que les imprimeurs, sachant que ceux-là obtiendront de toute évidence plus de 5 %, n’exigeront pas d’être payés d’avance et le plus souvent, accepteront d’être subrogés pour se faire régler directement par l’État !
Mieux encore, la preuve que la loi est faite pour les riches, ou du moins pour les 50 % de Français assujettis à l’impôt sur le revenu, est apportée par la disposition prévoyant que les dons aux partis politiques sont limités pour toute personne physique à 7500 euros par parti, la même personne pouvant en financer autant qu’il y en a d’inscrits, en bénéficiant d’une déductibilité du revenu imposable à hauteur de 66 % des sommes versées dans la limite de 20 % de ce revenu. Ainsi, plus la personne physique est riche et plus l’impôt sur le revenu qu’elle doit régler étant élevé, plus sa capacité de contribution bénéficiant d’une déduction fiscale est élevée. Les plus pauvres, c’est-à-dire les 50 % de Français qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu, ne bénéficient, eux, d’aucune déduction ! La conclusion est simple : formez des micropartis pour détourner une procédure déjà en elle-même inique, et vous recueillerez les contributions des plus fortunés en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Bettencourt, en toute légalité et sans compter ces enveloppes que personne ne saurait voir.
Ce système doit donc de toute évidence être modifié dans son intention même si l’on veut sérieusement songer au renouvellement de notre vie politique, ce qui n’est pas sans avantage en période de crise, du moins si l’on considère que l’argent ne fait pas la démocratie.
En ce qui concerne les élections législatives, l’État devrait imprimer gratuitement un bulletin unique comportant tous les noms des candidats, l’électeur devant mettre une croix devant celui de son choix, ainsi qu’une déclaration de candidature limitée à quelques paragraphes et éventuellement les affiches en nombre limité aux emplacements officiels. Déjà l’on peut entendre les cris émus des bien-pensants : ce serait n’importe quoi, n’importe qui pourrait être candidat, cela coûterait trop cher. Il faut donc de toute évidence une sélection. Cependant, il faudrait substituer à l’actuelle, qui se fait par l’argent, une plus juste et plus démocratique, fondée sur l’aptitude du candidat à réunir des signatures, dûment contrôlées, atteignant au moins 0,5 ou même 1 % des électeurs inscrits. Innovation extraordinaire ? Non, cela se fait en Suisse, et partiellement dans de nombreux autres pays, dont l’Allemagne et les États-Unis.
Pour ce qui est du système de déduction des revenus imposables, il faut d’une part maintenir le système actuel mais en limitant la possibilité de financement à deux partis par personne physique. D’autre part, pour les 50 % des Français dont les revenus sont trop faibles pour être assujettis à l’impôt, qui se trouvent aujourd’hui discriminés, il devra être prévu un remboursement public de 66 % de leurs dons dans la limite de 20 % de leurs revenus. Ainsi un équilibre, au moins partiel, pourrait être rétabli.
Enfin, les déclarations de candidature, avec les bulletins de vote, devraient arriver au domicile des électeurs non pas quelques jours avant la date du scrutin, mais dix à quinze jours auparavant, pour que l’information n’arrive pas quand les jeux sont pratiquement déjà faits.
Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment en matière de recettes. Aujourd’hui, lors de l’élection, un candidat peut verser sans limites des fonds relevant de sa fortune personnelle. Encore un cadeau aux plus aisés ! Il faudrait ici fixer un plafond de 37 500 euros, soit cinq fois le don maximum d’une personne physique à un parti.
De plus, outre la fortune personnelle, seuls les prêts des banques et de partis politiques ouvrent droit au remboursement dans une campagne présidentielle. Les banques peuvent ainsi sélectionner les candidats de leur choix, les grands partis étant, eux, favorisés par le système de financement public actuel. Le jeu politique se trouve ainsi fermé.
Dans les élections autres que les présidentielles, les prêts de personnes physiques ouvrent aussi ce droit, ce qui permet un jeu un peu plus ouvert.
Cependant, la vraie solution serait d’interdire toute forme de financement, sauf celle effectuée sous forme d’une avance de l’État égale pour chaque candidat ayant obtenu les 500 signatures d’élus pour une présidentielle ou les 0,5 % à 1 % requis pour une législative. La campagne se trouvant officiellement ouverte et le versement effectué trois mois avant l’élection, cela mettrait fin à l’hypocrisie d’une campagne durant actuellement vingt-et-un jours mais se déroulant en fait sur trois mois à un an.
Ce système reviendrait, en fin de comptes, moins cher à l’État et préserverait le principe d’égalité devant les dépenses publiques. Il aurait également pour avantage de diminuer la quantité de papier à imprimer, ce qui limiterait d’autant le recours à l’abattage de nos forêts.
Dis-moi comment tu finances ta vie politique, et je te dirai dans quel régime tu vis. Aujourd’hui, c’est un ordre louis-philippard reposant sur un système censitaire de fait. Rétablir l’équité dans le financement de la vie politique est un impératif pour redonner un souffle et une ambition républicaine à notre société.