Notre espoir après les régionales
Déclaration de Jacques Cheminade.
Clichy, 23 juin 2021 — Le résultat des élections régionales est sans ambigüité : plus des deux tiers des Français se sont abstenus (contre 50,1 % en 2015) et si l’on ajoute les votes blancs ou nuls, on arrive à près de 70 %. C’est leur analyse qui semble prêter à confusion. Je n’ai donc pas voulu réagir à chaud, pour me donner un temps de réflexion.
Ceux qui ne se sont pas donné ce temps débordent d’explications plus ou moins intéressées, blâmant les « circonstances » : sécession ou désengagement démocratiques, effet post-covid, campagne trop courte, premières grosses chaleurs…
Rien de ces effets qui puisse masquer la réalité : il s’est agi d’une abstention-sanction pénalisant toutes les formations politiques établies.
LREM a subi une déroute, le Rassemblement national a obtenu, en pourcentage et au total, beaucoup moins de voix qu’en 2015, la France insoumise sombre, le reste de la gauche surnage dans les basses eaux et la « victoire » des candidats LR n’est due qu’à leur implantation locale et au vote des personnes âgées, diplômées et riches, qui sont souvent allées voter par réflexe conservateur plutôt que par conviction. 87 % des 18-24 ans ne se sont pas rendus aux bureaux de vote. Pour plus de 40 % des abstentionnistes, ce vote n’aurait rien changé à leur vie personnelle.
Plus précisément, une récente enquête de Fondapol montre que pour la grande majorité des interrogés (67 % des peu ou non diplômés, 64 % des ouvriers et 63 % des classes moyennes), les médias parlent de sujets qui ne les concernent pas. Or, ce sont bien les élus qui parlent de ces sujets avec les éditorialistes, dans un entre-soi de plus en plus politiquement incestueux.
Plus intéressant, voilà que Libération et Le Figaro s’interrogent : « Et si ce n’était pas eux ? » C’est en effet la première conclusion à tirer concernant la présidentielle : Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont d’une part trop usés et d’autre part trop dépendants l’un de l’autre pour ne pas se tirer mutuellement par le bas, comme l’ont montré ces élections. La volonté du premier de se distancer de LREM en prétendant prendre de la hauteur et la manière hautaine dont la seconde s’est adressée à ses partisans – devoir « se battre contre des gens qui ne veulent pas être sauvés » – sont autant d’aveux de faiblesse et de frustration. Les excités de l’équipe B – Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez – n’apportent aucune idée nouvelle et sont donc une sorte de synthèse des deux précédents. Les « écologistes », eux, sont en réalité des Verts culpabilisateurs d’humains pollueurs et prédateurs, qui ne font pas souffler d’air nouveau, sinon celui d’un capital financier se parant des plumes du « renouvelable ».
Il n’est pas surprenant que dans cette petite classe, dissipée et sans enseignant motivé par une réelle volonté, les électeurs cherchent la sécurité et les candidats viennent flatter cette recherche. Comme si la sécurité publique était une chose en soi, et non la mise en œuvre d’une politique d’ensemble qui permette d’y parvenir : sécurité d’aller et de venir, sécurité sociale, sécurité de l’emploi, sécurité nationale, sécurité d’une éducation développant le capacités créatrices de chacun – bref, l’incarnation politique de notre devise nationale, coïncidence des opposés entre liberté, égalité et fraternité, qui ne peut être atteinte que par un grand dessein échappant aux contradictions des petitesses apparentes. Si celles-ci définissent au contraire les ambitions des uns et des autres, il ne peut y avoir ni République ni démocratie et l’on peut comprendre que ceux qui en ont été spoliés s’abstiennent contre leurs détrousseurs.
Là est la cause profonde de ce vote du 20 juin. Il nous lance bien entendu un grand défi, celui de sortir des commodités de l’indifférence et du pessimisme. Par delà un « ni Marine ni Manu » qui en soi deviendrait caricatural, il exige de susciter un projet créateur, qui rétablisse le rôle historique de notre pays vis-à-vis de ses citoyens et de l’humanité. Sans hypocrisie ni roulements de mécaniques.
Cela signifie mobiliser les passionnés de justice et de connaissance, pour rendre au peuple le pouvoir et les moyens d’y parvenir : l’art, la science, l’emploi productif et une prospérité digne de ce nom.
Soyons clairs : le monde (à l’exception de l’Afrique) et la France sont entrés dans un hiver démographique qui, à terme, condamne à un univers de sépulcres blanchis. L’émission de monnaie est aux mains de grands managers de fortune et de mégabanques qui asservissent les êtres humains par la dette, et des accapareurs de données qui les manipulent. Leur obsession du profit immédiat les rend incapables, justement, de créer les ressources physiques nécessaires à la vie des générations futures.
Dans ce contexte, notre Conseil d’analyse économique entend « doper la relance » par de la « monnaie hélicoptère », à l’américaine (un chèque de 800 euros remis à chaque citoyen, contre 1500 dollars là-bas, il faut bien tenir compte des proportions…).
Evidemment, dans un tel univers de servitude, volontaire ou pas, pollué par les images violentes ou infantilisantes des écrans, on ne voit qu’avec les yeux du présent pour gagner des positions, en se condamnant à l’impuissance.
La réponse à l’abstention est donc une feuille de route contre l’oligarchie – pour réparer, reconstruire et refonder – où chacun, au sein de notre pays, puisse apporter le meilleur de soi, de même qu’à l’échelle du monde chaque nation apporte le meilleur d’elle-même pour le développement mutuel. C’est l’engagement de Solidarité & Progrès.
Dans l’une de mes lointaines affiches électorales, ulcéré par la médiocrité des débats, je me tenais devant le Concorde en appelant à « penser plus grand que De Gaulle ». Prétention ridicule, orgueil mal placé, infatuation, suffisance ? Non, appel, car je ne m’adressais pas à moi-même mais à notre capacité à tous. Je le réitère aujourd’hui, en appelant à une vraie souveraineté, nationale et individuelle, qui commence par la bienveillance et l’altruisme, exigence qui est, j’en suis convaincu, au cœur de nos concitoyens, dans une société où notre mission est de combattre le nombrilisme et l’arrivisme. Vaste mais nécessaire programme ! « Lorsque l’avenir est sans espoir, le présent prend une amertume ignoble », nous rappelle celui qui écrivit J’accuse. Il y a devant nous des jours heureux, pourvu que nous soyons ouvriers de leur renaissance.