La France avec les yeux du futur

On a besoin de dirigeants qui font ce qu’ils ont dit qu’ils feraient

mardi 20 décembre 2022

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Propos recueillis par Şafak Erdem*

Source : United World International, 16 décembre 2022.

Şafak Erdem : La récente visite du président français Emmanuel Macron aux États-Unis a fait apparaître des divergences entre les puissances transatlantiques en ce qui concerne la politique à suivre vis-à-vis de la Russie et de la crise ukrainienne. Entre autres, la quête d’un nouvel ordre international. Dans le même temps, les forces centrifuges au sein de l’Union européenne gagnent en force.

Nous avons discuté de ces questions et d’autres avec Jacques Cheminade, président du parti politique français, Solidarité & Progrès.

Şafak Erdem : Lors de sa visite aux États-Unis, le président Emmanuel Macron a fait la déclaration suivante :

Nous devons aborder certains points essentiels concernant la guerre en Ukraine. Comme le président Vladimir Poutine l’a toujours dit, ces points sont la crainte que l’OTAN vienne jusqu’à ses portes et le déploiement d’armes qui pourraient menacer la Russie. (...) Nous devons réfléchir à la manière de donner des garanties à la Russie, le jour où elle reviendra à la table des négociations.

Ces paroles ont suscité de nombreuses critiques et réponses, notamment de la part de l’Ukraine. Comment évaluez-vous cette déclaration du président Macron sur la Russie ? Pensez-vous qu’elle signifie un réel écart par rapport à la compréhension globale qu’a l’OTAN de la situation en Ukraine ?

Jacques Cheminade : Permettez-moi d’être un peu long dans ma réponse car c’est une question très délicate. La déclaration de Macron est, sans aucun doute, utile. L’accent mis sur la nécessité de négociations de paix pour mettre fin à la guerre ukrainienne, prenant en compte l’intérêt général de la Russie, est très important. Il est utile de mentionner qu’on doit tenir compte des préoccupations de sécurité de la Russie, en raison de ce qu’elle a exigé pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Ce que nous n’avons pas fait jusqu’ici, nous devrions le faire maintenant. Je pense que c’est le fait que l’OTAN n’ait pas répondu à Poutine qui a déclenché les conditions de la guerre.

La déclaration de Macron est appropriée et intéressante. D’autant plus qu’il l’a faite pendant son voyage aux Etats-Unis. Néanmoins, elle doit être suivie d’actions. Or, il y a une limite à la liberté d’action de la France et du gouvernement français, qui est sous la domination de l’OTAN et de l’UE, elle-même de plus en plus associée à l’OTAN. En outre, le lobby de la Silicon Valley aux États-Unis contrôle les données militaires et civiles françaises. Par exemple, le ministère de la Défense a passé un accord avec Microsoft et le ministère de l’Intérieur avec Palantir, une société lancée par la CIA en 2004. Il reste donc à voir si Macron et nos institutions auront le courage de briser leurs chaînes. Tel est l’enjeu pour notre pays à l’avenir.

Nous, le parti Solidarité & Progrès, participons aux rencontres internationales organisées par l’Institut Schiller pour un nouvel ordre mondial basé sur la sécurité, la stabilité et le développement des nations existantes. C’est « la paix et le développement mutuel », comme le disait Charles De Gaulle. 

Helga Zepp-LaRouche, présidente internationale de l’Institut Schiller, a proposé 10 principes à prendre en compte pour la sécurité et le développement de tous les pays, en s’inspirant d’exemples tels que la paix de Westphalie, la Conférence de Bandung et la Charte des Nations unies.

Dans ce contexte, Sergey Glazyev, ministre de l’Intégration et de la Macroéconomie au sein de la Commission économique de l’Union économique eurasiatique (UEEA), a retweeté ces excellentes suggestions d’Helga Zepp-LaRouche, s’efforçant ainsi de donner au monde une orientation différente en lui apportant la compréhension de la paix, du développement commun et du système gagnant-gagnant.

Si, pour nous, il est bon et nécessaire de lutter contre la guerre, nous devons en même temps consacrer tous nos efforts à établir les conditions de la paix, de la justice et d’un avenir commun pour tous les peuples. Bâtir des relations amicales entre toutes les parties engagées dans le travail et la créativité humaine se situe dans l’esprit du meilleur pour nos pays.

Durant des années, j’ai été très impressionné en lisant la dernière déclaration de Mustafa Kemal Atatürk : « Mes principes sont la raison, la science et la patrie. » Cela signifie que tous les peuples du monde devraient penser en termes de principes et non de géopolitique, où chacun veut prendre le meilleur pour lui-même sans tenir compte des autres. Le traité de Westphalie soulignait également que tous ont un intérêt commun à faire mieux et à faire de leur mieux.

Şafak Erdem : En Europe, la montée des partis et mouvements de droite est un sujet brûlant depuis des années. Dans quelle mesure pensez-vous que les partis de droite tels que le Rassemblement national en France et celui de Meloni en Italie, dont la popularité et le score aux dernières élections ont fortement augmenté, soient des opposants cohérents et de long terme à l’hégémonie du dollar et à l’OTAN, ou sont-ils des opposants à court terme et donc, relativement inoffensifs pour l’impérialisme ?

J’ai beaucoup de respect et d’espoir pour les gens qui ont voté pour eux. Y compris pour Le Pen et Meloni elles-mêmes. Elles disent maintenant qu’elles continueront à faire partie de l’UE, de l’euro et de l’OTAN. Comme le dit un dicton français, « elles ont mis beaucoup d’eau dans leur vin »… et dans leur engagement.

A gauche aussi. Mélenchon fait parfois de très bonnes déclarations sur les relations avec la Chine et la Russie, mais ensuite, il ne fait pas du tout ce qu’il avait dit auparavant.

Nous avons un manque de principes chez tous les dirigeants occidentaux. La meilleure façon de le comprendre est de citer François Mitterrand, qui a dit un jour :

Je ne peux pas appliquer mon programme ; je ne peux pas faire ce que je veux parce que le monde est contrôlé par le système financier et chaque pays, par une oligarchie.

Même si cette déclaration est vraie, il est faux de dire qu’on ne peut rien y faire. Nous pouvons tous faire quelque chose. Ce qui compte, c’est de s’y engager.

Je vois cet engagement chez les électeurs de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, mais pas aussi puissant et avancé (et plutôt moins d’ailleurs) chez ces dirigeants eux-mêmes. Le Rassemblement national ne représente pas ce que les Français verraient comme vraiment nécessaire aujourd’hui. Rappelons, dans ce contexte, qu’environ deux tiers des électeurs ont voté pour des partis qui ont déclaré leur engagement à quitter l’OTAN, mais ils ne le font pas et ne font pas non plus pression pour cela.

Nous avons à l’Assemblée nationale française des discussions sur ceci ou cela, mais pas sur les questions principales, qui sont la paix et la guerre, le nouvel ordre économique permettant de garantir la paix et le meilleur de l’histoire que partagent nos pays. C’est pourquoi la seule chose à laquelle je crois, c’est la pression, que nous nous efforçons de mobiliser dans la population, afin d’avoir des dirigeants qui fassent ce qu’ils ont dit qu’ils feraient. François Mitterrand disait encore :

Ce que je pense, ce que je dis et ce que je fais sont trois choses différentes..

C’est l’état d’esprit de nos dirigeants occidentaux et nous devons le changer. C’est notre engagement.

Şafak Erdem : L’Europe va-t-elle vers une indépendance vis-à-vis du dollar et de l’hégémonie de l’OTAN au sein de l’UE, ou contre elle ?

L’Union européenne a trahi l’Europe et le meilleur de la civilisation européenne. C’est ainsi parce qu’à Bruxelles, on a une bureaucratie qui contrôle l’UE, au service de l’oligarchie internationale.

On voit des réactions contre cela dans plusieurs pays, notamment en France. J’espère que notre pays retrouvera sa souveraineté, afin d’être en mesure d’œuvrer dans l’intérêt de l’humanité et de la population mondiale.

Dans notre parti, nous reprenons l’héritage de Jaurès et de De Gaulle, et aussi le meilleur de notre culture, Rabelais. J’espère que nous pourrons susciter un nouvel engagement envers l’histoire de la France, qui a été une histoire de science, de raison, de poésie, de philosophie, et aussi d’une population qui a placé l’éducation et la santé publique comme deux points clés de ses engagements.

Il manque quelque chose au monde, et c’est la France…

En 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, De Gaulle a dit un jour, en Algérie :

Il manque quelque chose au monde et c’est la France. Mais il manque à la France le meilleur du monde.

La France doit apporter le meilleur au monde et prendre le meilleur du monde en son sein. Je pense que c’est exactement cette idée qu’avait Atatürk d’apporter le meilleur des valeurs occidentales en Turquie en tant que partie de l’Asie du Sud-Ouest.

Observations sur le congrès du parti Vatan

Şafak Erdem : Vous étiez en Turquie il y a deux semaines en tant qu’invité du parti Vatan et vous avez assisté à son congrès. Quelles sont vos observations ? Pensez-vous que les deux partis puissent coopérer dans un avenir proche ?

Ce qui m’a le plus impressionné, c’est de voir qu’il y avait 11 000 personnes et 700 délégués. Et aussi, la minute de silence pour les héros du Parti : honorer le passé est quelque chose de frappant et d’inspirant pour l’avenir. J’ai également été impressionné d’entendre les gens proclamer ensemble : « Nous sommes les soldats de Mustafa Kemal », tout en arborant ce slogan : « La jeunesse travaille, la Turquie produit ».

Voir un parti qui met l’accent sur le travail et la production est extrêmement important dans la situation actuelle en Turquie, mais aussi dans le monde entier.

Je pense que nous avons établi une proximité d’engagement entre le parti Vatan et Solidarité & Progrès.

J’étais tout à fait d’accord avec le discours de Doğu Perinçek, le président du parti Vatan. « La Turquie se dirige vers une révolution », a-t-il affirmé. Il est important d’y réfléchir dans le contexte du changement qui s’opère dans le monde.

Nous sommes coincés entre deux processus. Le premier est un processus à court terme, qui mène le monde vers la guerre et l’affrontement. Le second, à long terme, va dans le sens de la coopération et d’un nouvel ordre économique mondial. Ces deux processus s’affrontent aujourd’hui et nous devons évidemment aller dans le sens de ce que De Gaulle appelait « la détente, l’entente et la coopération ».

La paix, c’est aussi l’esprit de la paix de Westphalie, de la Charte des Nations unies et des principes établis par le Mouvement des non-alignés à la conférence de Bandung, en 1955. C’est tout cela que nous partageons.

Lorsque le président Doğu Perinçek a déclaré : « Dans le prochain gouvernement national, des mains se lèveront pour l’Iran, la Russie, la Chine, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine », c’est exactement notre engagement à voir le monde prendre une autre direction. La direction actuelle est celle d’une oligarchie financière contre toutes les nations du monde, y compris les peuples des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Europe.

Nous devons faire basculer le monde de l’esprit impérialiste et colonialiste du passé, vers le monde de l’avenir, pour un développement commun et la justice pour tous.

Ce qu’a dit Doğu Perinçek à propos de l’OTAN est également très important : « La seule place de l’OTAN en Turquie est dans la tombe. » En Turquie, le parti Vatan est le seul à se battre pour la quitter.


*Şafak Erdem est né à Istanbul en 1993. Il a fait ses études primaires et secondaires à Istanbul avant d’étudier la philosophie et la sociologie en premier cycle à l’université de Boğaziçi. Il fait actuellement un master en philosophie.


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