Pour approvisionner son industrie, la Chine importe de plus en plus de bois. Alors que ses premiers fournisseurs, États-Unis et Russie, y exportent majoritairement des sciages, la France, troisième fournisseur de feuillus tempérés, y exporte très majoritairement des grumes (troncs entiers), tout en lui rachetant des planches originaires de ces mêmes arbres !
Un maire d’une petite commune de l’Oise (60) nous a fait part de ses réflexions et de ses propositions pour nous tirer de ce piège.
Parole de maire
Relancer la filière bois, une proposition concrète
Le premier constat que partagent tous les populiculteurs est simple : faute d’investir dans des scieries modernes, la France a creusé sa propre tombe. La priorité est donc d’installer des usines de transformation du bois à proximité de la source de matières premières. C’est d’autant plus important que les entrepreneurs du bois rechignent à faire des kilomètres pour se procurer leur matière première. Différents éléments expliquent ce changement de mentalité, notamment la perspective d’une écotaxe et l’augmentation des tarifs autoroutiers.
Pour l’instant, les grumes sont de gros voyageurs. Par exemple, une fois leurs marchandises déchargées au Havre ou ailleurs en Europe, les bateaux chinois doivent repartir avec de nouvelles cargaisons. Pour eux, retourner en Chine avec du bois est toujours rentable. A cet enjeu économique s’ajoute que le bois sert également à caler les charges à bord des navires, surtout lorsqu’ils repartent à moitié vide. Au final, ces bois finissent en Chine où ils sont transformés en planches ou en meubles qui nous reviennent sur les marchés européens.
Autre exemple, les peupliers. Si l’on utilise le bois de peuplier pour fabriquer des boîtes à fromage, du contreplaqué de construction et de la pâte à papier, il faut savoir que les peupliers que l’on trouve actuellement entre Rouen et Compiègne sont majoritairement utilisés pour faire des cagettes pour légumes en Bretagne (principal client : Prince de Bretagne). Après un voyage de près de 600 km, c’est une dizaine d’entreprises sur place, en Bretagne, qui se charge de transformer les grumes en cagettes.
Ces deux exemples démontrent clairement l’importance des transports, en particulier l’utilité de disposer d’un réseau dense de canaux et notamment du canal Seine-Nord-Europe, le fluvial étant de loin le mode de transport le plus économe en carburant et donc le moins onéreux pour transporter des pondéreux facilement stockables.
Il faut rappeler que le peuplier, qui consomme beaucoup d’eau, joue un rôle très utile pour la gestion de cette ressource en Picardie, notamment dans la Somme. Quant à son utilisation industrielle, il faut faire l’effort de le regarder avec « les yeux du futur ». Car l’usage de ce bois vient de changer de registre. Jusqu’ici, le peuplier n’était pas considéré comme un bois noble. Il était presqu’exclusivement utilisé pour les cagettes, des caisses pour les maraîchers, ou encore pour de simples palettes. Or, depuis quelques années, de nouvelles techniques d’effilage et de découpe permettent d’utiliser le bois de peuplier pour fabriquer des meubles et comme bois d’habillage, notamment pour l’isolation extérieure de logements tel que les chalets. Son coût est inférieur au chêne, aux bois venus d’Allemagne et aux résineux en général. Enfin, une fois traité, le peuplier s’est révélé être un bois extrêmement stable dans le temps. Il y a donc là un atout pour la France.
On l’a déjà compris puisque la France est le deuxième exploitant de peuplier dans le monde après la Chine.
En 2015, alors que la demande ne cesse d’augmenter, on n’a planté que 600 000 peupliers en France, contre 750 000 en 2014. Lorsqu’on sait que ce dernier chiffre représente la moitié des besoins du marché français, il apparaît clairement qu’on pourrait sans problème doubler le nombre d’arbres plantés chaque année pour satisfaire les besoins du marché français.
Mais la mondialisation financière nous fait marcher sur la tête ! Utilisé pendant de longues années comme du bois de moindre qualité, le prix de la tonne de peuplier est resté très bas pendant quarante ans, ce qui veut dire offrant une faible marge. Ajoutons que jusqu’ici, 70 % d’un tronc de peuplier finissait à la chaufferie (sous forme de granulés), et seulement 30 % allait à une utilisation plus noble (meubles, cagettes ou bois d’habillage).
Pourquoi ? Parce que les technologies existantes ne permettaient pas de séparer efficacement la partie potentiellement noble lors de l’effilage. Avec un rendement pauvre (70 % qui partent en granulés !), pas étonnant que les transformateurs aient progressivement abandonné ce type de bois pour s’approvisionner en d’autres essences et le plus souvent, à l’étranger.
Cette dépendance à l’international (alors que les prix bas du peuplier n’incitent pas à replanter) nous met aujourd’hui dans une situation compliquée et absurde. A l’international, la production de peupliers recule fortement, et d’ici cinq ans, la pénurie de peupliers pour l’industrie nationale est à prévoir.
C’est d’une vision sur le moyen et long terme qu’on a besoin si l’on veut redonner un avenir au secteur sylvicole, qui emploie aujourd’hui 550 000 personnes. Pour monter en gamme, l’heure est donc venue d’investir dans des équipements modernes et performants permettant la meilleure utilisation possible du peuplier, un bois que nous pouvons produire et transformer en France, ce qui implique plus-value, développement local, aménagement du territoire et création d’emplois.