Retraites : NON à la contre-réforme de l’oligarchie
Par Jacques Cheminade.
Par delà les contorsions hypocrites du gouvernement et ses éléments de langage sortis tout droit des cabinets de conseil américains, la contre-réforme des retraites pose une question essentielle : vers quel type de société voulons-nous aller ? Car ce qui nous est proposé est bien une contre-réforme qui vise d’abord à « rassurer les marchés financiers » et à se soumettre aux conditions d’une Union européenne qui en est le relais.
A l’opposé, chez Solidarité & Progrès, le fondement de notre engagement est le respect du travail effectué, et non la réduction de l’être humain à un pion affecté de chiffres comptables.
Le débat est focalisé sur la fixation à 65 ou 64 ans de l’âge légal de départ à taux plein et sur le fait qu’il ne serait financièrement pas possible d’en rester à 62 ans, car le nombre d’actifs ne cesse de diminuer par rapport à celui des retraités. C’est là que se trouve l’escroquerie mentale de départ.
On nous dit que la charge financière d’un retraité pèsera bientôt sur les épaules de 1,5 actif, contre 4 en 1980, et que nous consacrons aux retraites 13,8 % des richesses créées, que cela atteindra 13,9 % en 2027 et, à l’horizon 2032, entre 14,2 % et 14,7 %. Il faudrait économiser tout de suite 20 milliards et 25 ans de déficit coûteraient entre 600 et 900 milliards d’euros. Ces chiffres en eux-mêmes ne sont pas faux, mais c’est dans la façon de les choisir et de les présenter que se trouve l’escroquerie.
Tout d’abord le Conseil d’orientation des retraites (COR) reconnaît lui-même que cette hausse « résulterait pour une grande partie du ralentissement économique lié à la remontée du taux de chômage ». Fatalitas ? Bien entendu non, résultat de mauvais choix politiques ! De plus, c’est la baisse des naissances, due à une société perdant son espérance dans un meilleur avenir, qui entraîne la baisse du nombre d’actifs. Ici encore le résultat du malthusianisme financier dominant !
Cependant, il y a bien plus. Ce sont le dynamisme et la productivité d’une société qui sont déterminants pour le niveau des retraites, et non le seul rapport entre actifs et retraités. Un actif plus productif peut servir plus de retraités ! Penser statiquement revient au contraire à accepter une société économiquement et socialement bloquée : les découvertes et les innovations technologiques (automatisation, numérique, IA, etc.) permettront d’accroître la productivité du travail.
De plus, les retraités ne sont pas une charge financière. En consommant et en épargnant, ils contribuent à la croissance et au financement de l’économie et, en soutenant leurs enfants, ils infusent du pouvoir d’achat supplémentaire. Ils participent à des activités associatives ou de bénévolat, ce qui constitue un précieux apport à une économie sociale et solidaire.
Le vrai problème est que depuis plus de quarante ans, les gouvernements successifs ont laissé la France se désindustrialiser au sein d’une Europe statique, et qu’ils ont agi en fossoyeurs de notre secteur nucléaire et de notre politique de recherche et d’innovation dans des secteurs-clés pour la productivité (aérospatial, lasers, métallurgie fine, chimie, etc.). Il est donc socialement et économiquement obscène de faire porter le poids de ces dramatiques errements sur les retraites de ceux qui en ont déjà souffert au cours de leur vie active !
Pire encore, comme en font le constat un Thomas Piketty et un Philippe Aghion, les 20 milliards d’économies annoncées pèseraient sur les plus modestes. Repousser l’âge de départ à 64 ou 65 ans n’aura aucun impact sur les personnes les plus diplômées, qui partent déjà à cet âge et contribueront de 0 centime. Les milliards seront, par construction du système, prélevés sur le reste de la population, ouvriers ou employés, qui eux partent aujourd’hui plus tôt, dont l’espérance de vie est la plus faible et qui souffrent déjà d’un système injuste, puisque leurs cotisations financent de fait les retraites des cadres à haute espérance de vie.
Pour finir, le système garderait donc la décote avant 67 ans, un abattement très injuste pour toutes les carrières incomplètes et particulièrement pour les femmes, dont 37 % de la génération née en 1950 n’avaient plus d’emploi l’année précédant leur retraite, et qui ont des salaires inférieurs de 22 % en moyenne à celui des hommes.
Cette contre-réforme est donc socialement injuste, économiquement inefficace et présentée sans concertation réelle sur le fond. Comme le souligne une syndicaliste, « la première ministre fait des annonces à la radio et nous reçoit ensuite ».
Il est temps de poser politiquement la question de la productivité et du respect du travail humain, tant de ces conditions, de ce qu’il peut apporter, que de sa finalité, qui est la vraie question.
Il faut arrêter de faire peser sur le régime des retraites ce qui est la conséquence d’une soumission politique à une oligarchie financière destructrice, et le repenser en le situant dans le contexte général d’une politique de développement mutuel, en se concentrant sur les petites et moyennes pensions, avec un service public de la dépendance qui permette à chacun de finir sa vie dignement. L’on doit acquitter envers les générations âgées la dette sur ce qu’a représenté leur travail.