La question des retraites, qui s’est focalisée sur l’âge légal et uniforme de départ, désormais fixé à 62 ans, est traitée dans un contexte de contre-vérités et d’approximations qui masquent les vrais sujets. Il est donc nécessaire de remettre le débat sur les rails de la justice sociale et du choix de société vers lequel nous devons aller pour nous donner un avenir.
I - Les vrais sujets
- L’on se sert de l’argument de l’augmentation fatale du nombre des retraités par rapport à celui des actifs pour en conclure qu’il faut allonger l’âge de départ légal et accroître le montant des cotisations. Il est vrai qu’il y avait en 1960 quatre cotisants actifs pour un retraité, qu’il y en a aujourd’hui un peu moins de deux et qu’il y en aura un seul vers 2050, en extrapolant les données démographiques et en considérant l’allongement de la durée de vie. Cependant, ce raisonnement repose sur une conception statique de l’économie et de la société. Il est donc faux. D’une part, l’argent des retraités n’est pas stérilisé ; les retraités consomment et épargnent, ils contribuent donc à la croissance et, en principe, au financement de l’économie. De plus, en soutenant leurs enfants, ils infusent du pouvoir d’achat supplémentaire. D’autre part, les découvertes et les innovations technologiques, en particulier l’automatisation des tâches, que mon projet vise à très rapidement développer, permettront d’accroître la productivité du travail et donc, notamment, de rendre un actif capable de financer beaucoup plus de retraités qu’il ne parvenait à le faire auparavant.
Le vrai problème est que depuis une quarantaine d’années, la France s’est désindustrialisée et que la productivité dans les services ne peut croître au même rythme que dans la production de biens. En même temps, le capital a accaparé les fruits de cette hausse ralentie de la productivité réelle, ce qui a conduit à la situation actuelle.
Isoler le régime des retraites du contexte général et en conclure qu’il manquera plusieurs dizaines de milliards à la Caisse nationale d’assurance vieillesse de la Sécurité sociale en 2020/2050, relève de la pétition de principe. En augmentant d’un point la CSG pour combler en partie ce déficit, comme je le préconise à court terme, on prendra d’un côté ce qu’on récupérera de l’autre : il y aura transfert, et non stérilisation.
La réforme du gouvernement Sarkozy/Fillon repose donc sur un raisonnement abusif et a mis en place l’un des systèmes les plus durs d’Europe en combinant des durées de cotisation (41 ans en 2012, 41,5 ans en 2018) et des limites d’âge élevées (62 et 67 ans dans les années qui viennent). Le tort des syndicats et des partis de gauche a été de se battre sur le terrain de l’adversaire, c’est-à-dire l’âge légal, au lieu de contester le raisonnement économique du gouvernement à sa base et de se battre en faisant ressortir l’inégalité fondamentale. - Le débat sur les retraites n’est en réalité que la partie émergée de l’iceberg de la question fondamentale : l’insupportable injustice que constitue le partage actuel des richesses. Ce qui se passe depuis environ quarante ans est que les gains de productivité réalisés par le travail ont été accaparés par le capital, dans un système de priorité financière et de passage à une économie de services. En 1982, selon la Commission européenne, salariés et chômeurs constituaient 84 % de la population active et se partageaient 66,5 % de la richesse nationale ; aujourd’hui, ils représentent 92 % des actifs et ne perçoivent plus que 57 % des richesses. Dans un contexte où l’on n’investit pas. En 1990, les trois-quarts de la part du capital étaient destinés aux investissements ; en 2007, ce chiffre est tombé à 57 %. C’est dans ce cadre que s’inscrit la question des retraites, non dans leur examen comptable comme une chose en soi ! La colère des salariés, en particulier les plus modestes, lorsqu’il s’agit de leur retraite est donc tout à fait justifiée : ils subissent une discrimination négative qui profite aux plus aisés.
- L’autre vrai sujet est la souffrance au travail. Les ouvriers, victimes de la pénibilité physique, sont les premiers touchés. A 35 ans, leur espérance de vie est inférieure de six ans à celle des cadres et même de dix si l’on considère l’espérance de vie sans handicaps. Dans le secteur tertiaire, la pénibilité psychologique s’est fortement accrue avec le règne du juste-à-temps, des cadences de plus en plus infernales et du contrôle individuel et quasi constant des travailleurs rendu possible par le développement de l’informatique. Un véritable harcèlement s’est souvent mis en place, comme à France Télécom ou dans une police sous la contrainte du chiffre. Les méthodes modernes de management mal ou trop bien maîtrisées aggravent la situation : les performances de chacun sont passées au crible d’une batterie d’indicateurs parfois contradictoires qui exigent à la fois d’être ultra-productif et soucieux de la qualité du service, et la concurrence sur fond de chômage menaçant détruit les solidarités ! Ainsi les salariés disent se trouver seuls face au stress, privés du soutien de leur hiérarchie (41 %) et de l’aide de leurs collègues (33 %). Globalement, près d’un quart des travailleurs actifs occupés se disent gênés dans leur vie quotidienne par un problème chronique de santé causé ou aggravé par le travail.
L’on comprend que tous ceux-là veuillent partir dès que possible en retraite.
La réalité est que si l’on veut allonger la vie de travail compte tenu de l’accroissement de l’espérance de vie, ce qui paraîtrait à première vue légitime, il faudra améliorer nettement les conditions de travail, ce qui suppose un changement radical des priorités économiques et sociales de toute la société, comme mon projet le préconise. - Au regard de ces éléments fondamentaux, qui posent la question des retraites dans toute son ampleur économique et sociale, il reste de nombreux problèmes de rééquilibrage dans une société française où la crainte sociale et l’injustice de fond paralysent les nécessaires changements. Par exemple, les privilèges des salariés d’EDF, de la SNCF ou des douaniers, des agents des travaux publics ou des aiguilleurs du ciel sont de l’aveu général excessifs. L’âge de la retraite est souvent inversement proportionnel à la pénibilité réelle du travail. Je suis convaincu que l’on pourra parvenir à une juste réforme dans ce domaine dans une société où un sens général de la justice et un enthousiasme de faire seront rétablis.
- Trois autres inégalités bien plus graves demandent à être très vite corrigées :
- inégalités hommes/femmes : reflétant la discrimination des sexes, les salaires et les retraites des femmes sont plus de 20 % inférieurs à ceux des hommes ; la moitié d’entre elles partent avec moins de 850 euros par mois et les pensions de réversion sont insuffisantes ;
- inégalités suivant l’âge d’entrée dans la vie active : ceux qui sont entrés tôt dans la vie active et ont fait des études courtes sont ceux qui devront le plus attendre pour toucher leur retraite : c’était déjà vrai à 60 ans, ce sera bien pire à 62 ;
- inégalités entre chômeurs indemnisés et chômeurs en fin de droits : les seconds seront pénalisés au moment de leur retraite, compte tenu du nombre de trimestres où ils n’auront rien touché.
- inégalités hommes/femmes : reflétant la discrimination des sexes, les salaires et les retraites des femmes sont plus de 20 % inférieurs à ceux des hommes ; la moitié d’entre elles partent avec moins de 850 euros par mois et les pensions de réversion sont insuffisantes ;
II - Mes propositions
C’est en tenant compte de cette situation d’ensemble que je formule mes propositions sur les retraites, en fonction de la dynamique générale de mon projet et non en partant de ce que le gouvernement Sarkozy/Fillon considère comme une fatalité financière.
- La première question à traiter est celle de la qualité du travail humain et du rééquilibrage de la répartition de la richesse en France et dans l’ensemble des sociétés occidentales.
Pour assurer le respect du travail, qui incite les êtres humains à y participer du mieux qu’ils peuvent et aussi longtemps qu’ils y trouvent une dignité et un intérêt, il faut réorienter la société vers la recherche, l’équipement de l’homme et de la nature et les activités productives.
Alors la question de l’âge de départ à la retraite se posera différemment, puisque l’on ne cherchera pas à quitter une activité perçue comme subie et dégradante, mais qu’au contraire on y sera attaché dans un environnement coopératif et solidaire autour de projets communs, et non dans une guerre de tous contre tous.
Pour cela, substituer la priorité du travail humain, avec un horizon à moyen et long terme, à la priorité du gain financier à court terme dans une société de l’usure et de l’avoir, permettra de reposer la question des retraites dans un contexte totalement différent.
Pour assurer une transition rapide, je m’engage à multiplier le nombre de postes d’inspecteurs et de médecins du travail, qui permettront de mieux contrôler la situation et d’établir des constats justifiés de pénibilité. Le nombre des inspecteurs du travail doit être progressivement doublé, avec un appui des autorités publiques plus constant et mieux attaché à une transformation des relations sociales. - Il est clair que dans ce contexte, une revalorisation immédiate de toutes les retraites et pensions s’impose ; le minimum doit être fixé au niveau du SMIC et les pensions de réversion relevées à 75 %.
- Il faudra rétablir la revalorisation des retraites en fonction des salaires et, s’ils baissent ou sont bloqués, en fonction d’un indice des prix traduisant plus fidèlement la réalité que l’actuel, dont la sous-évaluation est de notoriété publique au regard des besoins réels d’un ménage moyen.
- L’élément à considérer est l’âge effectif de départ à la retraite. La moyenne dans l’Union européenne est de 61,4 ans. Aussi, un âge légal moyen de 62 ans en France ne me paraît pas le problème réel, car il correspondrait à peu près à la moyenne européenne, si le cadre de travail est amélioré comme je me bats pour qu’il le soit, et si la répartition de la richesse se trouve profondément modifiée.
Cependant, cet âge doit être différencié en fonction de deux critères : la durée réelle des cotisations et l’espérance de vie correspondant à l’emploi occupé. Il doit être rétabli à 60 ans pour ceux qui ont travaillé durement et longtemps et ont 41 ans et demi de cotisations. Il ne faut pas de double peine combinant exigence de durée de cotisations et âge légal de départ. Ceux qui ont commencé très tôt, avant 20 ans, devront pouvoir partir avant 60 ans en fonction de leur nombre d’années de cotisations. En outre, une commission tripartite État/salariés/employeurs devra examiner métier par métier ceux qui justifient, notamment en fonction de l’espérance de vie qui leur est attachée, un départ anticipé. Il faudra en ajouter mais aussi en retrancher par rapport à la situation actuelle, les décisions relevant d’un accord entre partenaires sociaux. - La situation des chômeurs en fin de droits et des femmes doit être réexaminée pour corriger les injustices. Un système de bonus/malus sera mis en place pour susciter le relèvement des salaires féminins, conduisant à une revalorisation des pensions des retraitées. Les périodes d’inactivité forcée, même sans perception d’allocations de chômage, devront être prises en compte.
- Je prévois un plafonnement des retraites à 10 fois le SMIC. Par rapport au minimum fixé au niveau du SMIC, l’écart le plus grand ne pourra donc pas dépasser 1 à 10. Les riches, qui ont déjà accumulé un patrimoine dont ils peuvent par ailleurs jouir, ne pourront pas protester de bonne foi contre une telle limite.
- La solution de la capitalisation doit être rejetée une fois pour toutes. La désintégration financière est, contre elle, un argument imparable et, de toutes façons, demander aux actifs de capitaliser pour préparer leurs retraites revient en fait à ponctionner la consommation, avec un choc en retour sur la croissance réelle, au seul profit des banques, des sociétés d’assurance et de leurs parrains de l’oligarchie financière.
Une économie organisée de plein emploi est le but de mon projet et c’est elle qui permettra de servir des retraites dignes. Bien entendu, l’espérance sociale qu’elle fera naître, et une politique soutenue d’allocations familiales, de financement de crèches et d’aides en faveur des défavorisés créeront les conditions pour une forte hausse des naissances, impossible dans le système ultra-libéral actuel qui entretient le pessimisme et l’hédonisme à courte vue. Ces nouvelles générations seront le soutien des anciennes, en disposant de technologies bien plus productives. Le problème des retraites pose donc celui de l’avenir de notre société. Il faut y répondre en créateur, avec les yeux du futur, et non avec ceux d’un passé figé ou d’un présent devenu destructeur.