Avec l’accord russo-américain sur le démantèlement des armes chimiques et de leurs sites de production en Syrie, une occasion stratégique se présente au monde. Par delà la Syrie et l’Asie du Sud-Ouest, c’est une chance d’arrêter la machine infernale de destruction économique et de course à la guerre qui s’offre à nous. Malheureusement, parce qu’ils manquent de vision et de sens de l’histoire, nos dirigeants, de droite comme de gauche, sont incapables de mesurer la dimension de la situation.
Ils refusent d’abord de prendre conscience que les négociations de Genève ont été les premières à revêtir une telle ampleur depuis la fin de la guerre froide. Il ne s’agit pas de s’en satisfaire ni d’en sous-estimer les difficultés, mais de voir l’occasion qui se présente, la plateforme qui s’ébauche permettant d’aller plus loin.
Ensuite, par leur affirmation d’un droit de punir qu’ils ne peuvent exercer seuls et d’une responsabilité de protéger dont on peut voir les résultats en Libye, nos dirigeants ont opéré un tournant politique qui les rend plus atlantistes que les responsables américains et britanniques eux-mêmes. Nous perdons ainsi notre crédibilité dans les pays émergents, abandonnant le rôle d’intermédiaire stratégique entre le monde atlantique et la Russie et la Chine que de Gaulle avait défini et ses successeurs, globalement respecté. Nous devenons un pion, avec des Qataris et des Saoudiens dont nous espérons la complaisance financière.
Enfin, croyant que la crise de l’euro est derrière nous et que la reprise est là, M. Hollande et ses ministres se rendent incapables de proposer à l’Europe et au monde la grande transformation qui, seule, permettra de sortir de la dépression actuelle. Surtout, ils ne veulent pas comprendre le lien entre la politique d’austérité de l’oligarchie financière et les pulsions de guerre qui en sont partout la conséquence, y compris au Proche et Moyen-Orient. Sait-on que les pays du golfe Persique et l’Arabie saoudite sont face à des crises humaines, budgétaires et énergétiques, faute de créer la main d’œuvre qualifiée nécessaire à un développement mutuel ? Le prince Bandar peut bien un temps corrompre les élus européens et américains, mais la pompe à phynances de ce nouveau père Ubu aura une fin. Si l’on voit au-delà du bout de son nez carriériste, il faut déjà penser à autre chose.
Cette autre chose, M. Montebourg en annonce l’avènement, en nous montrant nos acquis et nos potentiels, mais il ne se donne ni les moyens de le financer ni ne dénonce les véritables ennemis de nos intérêts nationaux. Il situe la réinvention de la France dans les nuages d’un univers sans stratégie.
Alors, profitons du nouvel esprit de Genève, aussi vulnérable soit-il, pour donner à notre pays un rôle qui ne soit plus défini par la soumission, mais par l’apport de nos capacités au monde, y compris celles qui seront demain les plus déterminantes, dans la fusion thermonucléaire contrôlée.
Libérons-nous du corset financier en coupant les banques en deux et proposons une autre Europe, celle des patries et des peuples, et non celle d’un monétarisme qui ravage l’économie et la société. Alors la France ainsi assainie, avec les autres pays du monde s’accordant aux mêmes dispositions, pourra émettre du crédit public, pariant sur les grands projets qui susciteront la paix par le développement mutuel ; la paix autour d’un Pont terrestre eurasiatique, d’un plan Oasis de développement de toute l’Asie du Sud-Ouest et d’une liaison entre continents à travers le détroit de Béring et le canal de Kra.
La Syrie doit devenir un défi stratégique jeté à la paix par le développement mutuel. Si elle reste un champ de bataille, la contamination de la guerre s’étendra partout.
L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.