Une monnaie qui n’est pas adossée à une souveraineté politique ne peut exister durablement. L’euro est ainsi devenu non un instrument pour servir l’intérêt général des nations européennes, mais la référence d’une Banque centrale européenne (BCE) vouée par nature à défendre le conglomérat d’intérêts financiers européens ayant la City pour épicentre. L’euro s’est donc détruit lui-même et menace d’entraîner dans sa chute les économies européennes. Il n’est pas un pare-chocs, mais une cause de l’accident. C’est pourquoi il faut en sortir. On ne peut pas transformer d’un coup de baguette magique fédérale une mauvaise monnaie en une bonne.
J’en défendrai une sortie si possible ordonnée, dans le cadre d’une refondation de l’Europe et du passage à un système international fondé sur le crédit et non sur la monnaie. J’ai décrit (cf. ma section L’euro est mort, vive l’Europe des patries et des grands projets) comment on pourrait, au cours du processus, adjoindre à « euro » les diverses dénominations nationales, chaque pays disposant ainsi de son euro autonome, l’euro global ne devenant alors qu’une monnaie de compte, un instrument pour les opérations entre États membres, jouant le rôle que jouait l’écu.
J’appellerai notre euro-franc « euro-franc polytechnique », si les négociations évoluent dans l’intérêt mutuel et suffisamment rapidement avec nos partenaires, et sinon, « franc polytechnique » . Par référence à la conception de l’économie physique des fondateurs de l’École (Gaspard Monge, Lazare Carnot et Prieur de la Côte d’Or) et pour bien montrer qu’il ne s’agit pas avec cette monnaie d’un retour au passé financier national, inspiré par une démarche défensive, mais du nécessaire tremplin vers un avenir productif national et international.
Ce franc polytechnique, soutenu par une banque nationale audacieuse et non par une banque centrale abandonnant l’émission de monnaie aux établissements financiers, sera un levier pour faire de la France et de l’Europe un laboratoire du futur.
Il représentera, de par son intention offensive dans l’ordre national et international et de par sa nature d’instrument de financement de grands projets, la meilleure arme pour défendre « par le haut » nos conquêtes sociales et politiques et la création d’emplois motivants, qualifiés et justement rémunérés.
C’est grâce à la logique de son fonctionnement que je serai en mesure de prendre les initiatives suivantes :
- le rétablissement de nos services publics, sans qu’il puisse y avoir de confusion avec les services d’intérêt économique général (SIEG) définis à Bruxelles. Pour promouvoir ceux-ci, la Commission européenne a adopté, en juillet 2005, un train de mesures permettant aux sociétés privées de recevoir un financement public pour couvrir l’ensemble des coûts supportés pour réaliser des missions de service public telles qu’elles ont été définies par les pouvoirs publics qui les leur ont confiées, y compris avec un « profit raisonnable ». Je dis non. L’on ne peut admettre, par exemple, qu’une commune doive financer une école privée sous prétexte qu’une suppression de la carte scolaire « pour promouvoir la libre concurrence entre établissements » ne lui laisse aucune autre possibilité. Les partenariats public-privé doivent être également bannis pour les constructions publiques d’intérêt général : il est invraisemblable qu’une collectivité territoriale confie les travaux à une société privée et la rémunère sous forme de péages annuels ! L’hôpital sud-francilien d’Evry-Corbeil est un exemple de l’échec patent de cette démarche, imposée par le système de l’euro et l’idéologie néo-libérale de l’UE auxquels les gouvernements français se sont soumis ;
- le retour à un monopole public de La Poste, la constitution d’un pôle financier de l’énergie GDF-EDF, le retour de l’hôpital public comme centre de soins, de chirurgie, d’urgences et de formation et non son fonctionnement comme un établissement rentable à court terme, mis en concurrence avec des cliniques privées ;
- la restauration des services de proximité et des mesures de protection sociale que l’idéologie et la logique de fonctionnement de l’UE ont conduit à remettre en cause ;
- le rétablissement de systèmes de régies municipales pour le service de l’eau, permettant d’abaisser les coûts pour le consommateur. Par-delà, j’engagerai le combat pour que l’eau ne soit plus considérée comme une source de profit, mais comme un bien commun de l’humanité.
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la mise en place d’un plan de rattrapage et de renouvellement du réseau ferré national, notamment en faveur des lignes transversales. En même temps, la remise à l’étude de l’aérotrain de l’ingénieur Bertin, avec les moteurs à propulsion électromagnétique performants dont on ne disposait pas à l’époque et qui aujourd’hui feront valoir tous les avantages du dispositif ;
- la mise au grand gabarit de certaines voies navigables pour le transport de marchandises, en particulier l’interconnexion du bassin Sud avec celui de l’Est et du Nord, la « patte d’oie française » ;
- l’intervention publique pour arrêter les fermetures d’usine et les licenciements injustifiés et sauver les exploitations agricoles et viticoles par une nouvelle politique agricole (cf. ma section Agriculture : organiser les marchés contre la mondialisation prédatrice) refondée sur un juste prix et non sur des rentes de situation.
Ces initiatives s’inscrivent dans la logique de la connexion de la France avec les branches Sud (Kiev) et Nord (Minsk-Moscou) du Pont terrestre eurasiatique. Le franc polytechnique, géré par notre banque nationale en association avec les autres banques nationales européennes, au sein d’un système de crédit productif public commun, sera le levier qui permettra de le construire. Alors que l’euro aura été une peau de chagrin économique, qui a empêché de faire dans l’économie réelle et créé les conditions pour réduire l’UE à une vaste bad bank ou dépotoir financier des réseaux de la City.