Monsieur le Président de la République
« Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres ». C’est ce que vous venez de déclarer dans un entretien accordé le 31 octobre au journal Ouest-France, appelant en cette veille de 11 novembre à « un courage de célébration, de mémoire et d’avenir ». Je partage votre sentiment sur le risque qui nous menace mais je ne crois pas que vous mesuriez en même temps l’immense occasion que l’histoire offre à la France.
Ce 11 novembre, en effet, se réuniront à Paris les principaux chefs d’État du monde, en particulier les présidents Trump et Poutine. Ce que nous porte la mémoire des atrocités et de la barbarie d’une Grande Guerre qui devait être la dernière, peut et doit inspirer aujourd’hui une politique de paix par le respect et le développement mutuel des peuples. Il est temps de susciter pour la paix du XXIe siècle bien plus que les ressources mobilisées pour les deux guerres mondiales du XXe. Il vous revient d’être dans ces circonstances l’inspirateur, le catalyseur et le médiateur de cette politique de paix.
Cependant, une telle mission ne va pas sans exigence. La première est de pleinement concevoir cette « certaine idée » que notre pays a représentée dans l’histoire du monde, un « modèle français » qui, contrairement à ce que vous en avez dit un jour, marche encore, pourvu qu’on en adapte les règles à notre temps sans en changer l’esprit.
La seconde est de ne pas considérer l’Europe comme un lieu de souveraineté, car celle-ci ne peut appartenir qu’aux États-nations, mais comme un centre de civilisation dont la France, avec d’autres, doit inspirer la mission. L’Union européenne n’a pas et ne peut avoir, telle qu’elle a été conçue, d’autorité politique. Elle se trouve donc livrée à un fédérateur extérieur, comme le disait le général de Gaulle, qui est le pouvoir d’une dictature financière qui ravage tout. Civilisation ne signifie ni abdication supranationale ni repli national, mais rupture avec ce fédérateur et son bras armé.
La troisième, l’essentielle, la positive, est de se battre pour un grand dessein. C’est la paix par le développement mutuel, un nouvel ordre de crédit international animé par des accords entre États-nations, un Nouveau Bretton Woods portant de grands projets d’infrastructure et donnant priorité absolue au travail et à la créativité humaine. Pour combattre la dictature financière, seule l’union des quatre plus grandes puissances du monde, l’Inde, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, dispose du poids suffisant. La France reconnaît les États et non les régimes. C’est vis-à-vis de ces États que nous devons jouer le rôle d’inspirateur que le général de Gaulle voulut jouer en mai 1960, lors de la Conférence des quatre grands à Paris, que les va-t-en guerre d’alors firent échouer.
A vous de jouer aujourd’hui. Vos cartes ne sont pas de grands atouts mais les tenir fermement en main, face à une opinion mondiale aujourd’hui plus avertie qu’il y a 58 ans, vous donne un pouvoir qui n’est pas négligeable, mais seulement si vous le voulez bien. Dans la situation où nous sommes, pour la paix par le développement mutuel dans le monde, le jeu en vaut la chandelle. « Ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n’être pas fou », comme le disait Pascal, face à une logique « raisonnable » qui nous conduit au chaos économique et à la guerre de tous contre tous.