Une femme interpelle François Hollande à Carmaux : « Vous êtes venu ici il y a deux ans et depuis vous ne tenez pas vos promesses. Jaurès, il ne parlait pas comme vous ! » La réponse, dans le discours que prononça ensuite le chef de l’Etat, mesure le gouffre séparant les deux voix : « On m’avait dit : si vous voulez gagner l’élection présidentielle, vous devriez venir à Carmaux. Je n’avais pas le choix. » Tout devient clair : Jaurès, lui, savait que le chemin de la raison passe toujours par le cœur. Il n’aurait jamais imaginé se présenter en « malgré moi » pitoyable.
Plus près de nous, ce 4 mai, dans Le Journal du dimanche, Hollande « dessine les trois prochaines années de son quinquennat » : « Le redressement n’est pas terminé mais le retournement économique arrive… Ce que j’ai appris, c’est que la France compte si elle a de bons comptes. » Le comble est ici atteint. Après avoir nommé Premier ministre un social-libéral aux convictions proches d’un Tony Blair, le Président se fait le comptable satisfait des avantages accordés au système financier. Il espère que la magie du marché nous fera retrouver le bon bout d’un cycle de croissance, grâce à l’arrosage des mégabanques et à l’austérité infligée au peuple pour abaisser le « coût du travail ». Sans voir que le problème en Europe est que tout le monde fait cela en même temps, conduisant le navire commun contre les récifs du Charybde inflationniste et du Scylla déflationniste. Comme Brüning et Laval pendant les années trente, avec le résultat que l’on sait. Aujourd’hui, déjà, le système de l’Union européenne tue en Grèce, est plus que bienveillant avec des fascistes en Ukraine et fait monter chez nous une colère sourde et désespérée.
« Les europhobes à l’assaut de l’Europe » s’écrient les tièdes. Mais qui donc en est responsable depuis plus de trente ans ? Qui nous fait croire aujourd’hui que nous voterons pour un Parlement européen qui « élira le président de la Commission », alors que tous les « experts » savent que sa nomination demeurera une prérogative du Conseil européen ? Ce Parlement-là est un parlement croupion, qui n’a pas l’initiative législative et ne fera qu’approuver le candidat qui lui sera présenté.
La réalité est le « Pacte de responsabilité et de solidarité » qui va nous infliger, au nom de l’Europe, 15 milliards d’économies en 2014, 21 milliards en 2015, 16 milliards en 2016 et 13 milliards en 2017. C’est-à-dire 50 milliards entre fin 2014 et 2017. En principe, car déjà des voix s’élèvent à droite pour dire que pour parvenir à suivre la « trajectoire de réduction du déficit », il faudrait arriver à 70 ou 80 milliards, ce qui fait 4 % du PIB. Une rigueur folle et destructrice. En même temps, les entreprises recevront 41 milliards d’euros (cf. Le Monde). Les ménages modestes ou pauvres devront, eux, se contenter de 5 milliards de miettes.
Alain Minc dit crûment, dans L’Express du 29 janvier : « Au fond Mitterrand nous avait débarrassés du communisme, Hollande nous débarrasse du socialisme. » Il noie aussi la République avec l’eau du bain européen, en livrant nos décisions à des experts non élus et cernés par les lobbys de la finance.
Notre peuple a pourtant, depuis trente ans, donné à chaque échéance des signes d’alerte : le choc de la présidentielle d’avril 2002, le rejet de la Constitution européenne en 2005, une abstention grandissante à chaque élection et la dérive rageuse vers un Front national dont il sait le programme truqué, mais qu’il jette à la figure des autres.
« Un chef d’œuvre est diminué de n’être possédé que par quelques-uns. » Ainsi parlait Jean Jaurès. Aujourd’hui, le gouvernement sert les « quelques-uns » et l’opposition en redemande. Il est temps d’écouter la femme de Carmaux, de redonner une voix de proximité et d’amitié à la République. Avec un projet positif.
L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.