Paris, le 21 Octobre 2011 - Un corps ensanglanté que l’on traîne, que l’on tue et que l’on exhibe : Mouammar Kadhafi est mort dans des circonstances encore mal connues, mais de mauvais augure. L’OTAN, la France, les Etats-Unis et les insurgés se félicitent tous de la part qu’ils ont jouée dans cette mort. Je mets cependant une fois de plus en garde, après mes déclarations du 8 juillet et du 22 août, sur les conséquences à venir de ce qui se passe en Libye.
Tout d’abord, il est toujours gênant de voir ceux qui ont été complaisants hier avec un homme et un régime se féliciter aujourd’hui d’avoir éliminé l’un et assassiné l’autre. Après tout, Mouammar Kadhafi campait dans sa tente face à l’Elysée il y a seulement quatre ans. Plutôt que de parler morale, il faut ici constater l’opportunisme politique. Opportunisme d’autant plus flagrant que les mêmes entreprises françaises qui hier se précipitaient pour servir le dictateur débarquent aujourd’hui en Libye auprès des nouvelles autorités en espérant comme hier obtenir de fructueux contrats.
Ensuite, il est clair que nous avons outrepassé les résolutions de l’ONU et les intentions que notre gouvernement affichait au départ. Nous sommes ainsi passés de l’assistance légitime à des populations civiles à des actes de guerre visant à un changement de régime, puis à une logique d’assassinat ciblé, du même ordre que celle pratiquée par l’administration Obama en Afghanistan ou en Irak. Saddam Hussein avait au moins été capturé vivant et traité en prisonnier de guerre, puis jugé, même si les conditions de son jugement ont été contestables au regard des droits de l’homme que l’Occident est censé défendre.
Enfin et surtout, nous n’avons pas mesuré les conséquences des huit mois de conflit en Libye. Une culture de la violence se trouve exacerbée et des armes, celles que nous avions fournies à Kadhafi et celles que nous avons livrées à ses successeurs, circulent partout en Afrique, en particulier au Tchad, au Niger, au Mali et en Mauritanie, sans parler de la Tunisie et de l’Algérie, alors que sévissent la malnutrition et la famine.
Je l’ai dit et je le répète : si nos dirigeants sont incapables de sauver l’Afrique pour des raisons humaines et pour répondre à l’exigence d’une vraie démocratie chez les meilleurs des Africains, au moins qu’ils le fassent pour éviter que le mal, que leur soumission à l’oligarchie financière a semé partout, nous frappe à notre tour. Notre mission est d’offrir la participation à de grands projets de développement mutuel à l’Afrique toute entière, et en particulier au Maghreb et au Machrek, pour y assurer d’abord un essor de productions vivrières et une vie digne, sans laquelle la démocratie dégénèrera fatalement en de nouvelles dictatures.
Le nouveau nom de la paix est le développement économique mutuel. Il serait notamment désastreux que la rente pétrolière libyenne soit détournée de ces projets de développement pour servir de perfusion à une Europe qui creuse elle-même aujourd’hui sa propre tombe, faute d’idéal et de projet.