La majeure partie des Français n’est pas consciente de la vulnérabilité de ses enfants et de ses adolescents à l’univers créé par Internet, de l’extension des fichages et des conséquences de la privatisation des fonctions régaliennes de l’État, en particulier des fonctions de maintien de l’ordre public. Le dénominateur commun de ces trois choses est une dérive du contrôle social et la difficulté de faire face à ses excès : par exemple, les informations fournies sur Internet sont conservées pendant plusieurs années dans des serveurs étrangers qui ne dépendent pas de la loi française et où la protection des données personnelles laisse à désirer.
Dans ces conditions, je me battrai pour le retour d’un État assurant d’abord la sécurité économique, sociale et territoriale, en vue d’un épanouissement de la personne humaine, et non un État sécuritaire attaché d’abord aux sanctions et ayant, qui plus est, délégué une partie de ses fonctions à des sociétés privées.
I - Exploitation de la vulnérabilité des enfants et des adolescents
Aujourd’hui, plus des deux tiers des 7-14 ans possèdent une télévision dans leur chambre et près de 60 % un ordinateur. Ils obtiennent leur premier portable vers 12 ans. Les deux tiers, à peine moins qu’aux États-Unis, ont désormais un profil sur un ou plusieurs réseaux sociaux.
Les enfants et les adolescents entrés dans cette société de consommation de la communication sont dans un présent continu dominé par l’émotion. Ils peuvent regarder la télévision tout en envoyant un texto et en surfant sur le Web.
Leur capacité de socialisation se trouve dans ces conditions affectée, et passant de plus en plus de temps devant les écrans, ils sont en manque chronique de sommeil : lors de ces trente-deux dernières années, les adolescents ont perdu en moyenne deux heures de sommeil par nuit.
Il en découle trois conséquences. La première est un défaut d’attention et de concentration dû aux couchers tardifs. La seconde est une vulnérabilité accrue aux publicités et aux incitations à donner le maximum d’informations personnelles aux réseaux sociaux, qui les vendent à des utilisateurs commerciaux. Enfin, la troisième est une exposition à des jeux vidéo dont la violence est faite pour attirer des jeunes par ailleurs blasés. Quiconque a vu Grand Theft Auto, Manhunt, Six days in Fallujah ou les boucheries de Mad World et de son héros Jack Cayman peut comprendre quel type d’accoutumance se trouve ainsi créé.
Il faut ajouter que les services de police et les agences de recrutement se servent de l’historique de ceux qu’ils examinent depuis l’adolescence.
C’est ainsi que l’on aboutit à une société où la différence entre virtuel et réel est devenue difficile à discerner et où la violence est un fait de nature.
Pour les plus vulnérables, le passage à des actes délictuels devient de plus en plus précoce, ce qui justifie la mise en cause des principes et des lois sur la protection de la jeunesse : l’engrenage est déjà en place.
II - Extension des fichages et de la surveillance de masse
« Les gens ne s’imaginent pas à quel point ils sont surveillés, profilés, leurs goûts analysés, leurs habitudes disséquées », comme nous le dit Alex Türk, ancien président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) entre 2004 et 2011 et auteur de La Vie privée en péril. Des citoyens sous contrôle . Les fichiers policiers se multiplient. De 33 en 2006 ils sont passés aujourd’hui à plus de soixante. Le fichage des populations les plus fragiles s’étend encore plus rapidement : dans le champ social (le Répertoire national commun de la protection sociale et le fichier RSA), pour les soins psychiatriques (le Recueil d’informations médicalisées en psychiatrie et le Dossier patient informatisé), en général (avec l’extension de la communication des dossiers médicaux) et à l’école (fichier base élèves). Restent encore les fichiers ADN et la multiplication de la vidéo-surveillance.
Certes, la CNIL est parvenue à faire condamner Google à 100 000 euros d’amende pour avoir collecté des données sur les réseaux Wi-Fi via ses systèmes de géolocalisation. Outre que cette somme est plus que modeste pour un géant comme Google, cela faisait plusieurs années qu’il recueillait ces informations privées (emails, historiques de navigation...) !
Bref, la notion d’intimité est en train de devenir un lointain souvenir, et déjà certains services de police, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, essayent de prévoir des crimes ou des délits avant qu’ils n’arrivent, en soumettant leurs données géographiques et humaines à des calculs de fréquence d’actes et de lieux de délinquance et de crime sur plusieurs années. Nous ne sommes pas loin de Minority report et des romans de Philip K. Dick.
III - Privatisation croissante de la sécurité publique
Dans le contexte de l’appauvrissement de l’État dû aux « contraintes des marchés » et de la réduction de ses dépenses en personnel, ses fonctions régaliennes ont de plus en plus tendance à être privatisées. A la croissance de sociétés privées et de leurs mercenaires associés aux activités de défense, correspondent non seulement la privatisation partielle ou totale de missions de sécurité publique, mais la commercialisation plus ou moins dissimulée des données rassemblées par l’État.
Ainsi, Bouygues construit des prisons que l’État lui loue en lui versant des « péages » annuels et Taser France occupe le marché de la punition. Le traitement des fichiers ADN nécessaire aux enquêtes ainsi que les écoutes téléphoniques font l’objet d’une sous-traitance.
Pire encore, l’État vend officiellement certains de ses fichiers, comme celui des cartes grises, à des sociétés commerciales et plus officieusement ferme un peu les yeux sur les anciens policiers à la retraite ayant constitué des sociétés privées dans lesquelles ils vendent à des entreprises des informations sur les personnes en provenance des systèmes officiels STIC ou JUDEX, qu’ils ont obtenues de leurs anciens collègues moyennant une rétribution de la main à la main.
IV - Ce que je propose
Il est clair que ce qui précède est la conséquence d’une évolution générale de la société. Aussi, c’est seulement dans le contexte d’un changement comme celui défini par mon projet que l’on pourra mettre fin à tous ces excès devenant de plus en plus des habitudes.
Cependant, un certain nombre de mesures peuvent et doivent être prises tout de suite pour arrêter une dérive qui accompagne la désintégration de la société.
- Organiser une campagne de mise en garde de grande ampleur sur les effets d’addiction à internet et l’utilisation des données personnelles qui peut être faite sur la Toile, en particulier par les réseaux sociaux comme Facebook, qui vivent de leur commerce.
- Interdire les jeux vidéo violents impliquant la multiplication des crimes et des abus sexuels.
- Doubler les moyens de la CNIL pour qu’elle puisse étendre son service d’expertise technologique, en le finançant par une taxe de 100 euros sur les entreprises et de 50 euros sur les collectivités locales, qui ont leur propre intérêt à un meilleur fonctionnement de ce service de détection et d’intervention.
- Consacrer le droit à l’oubli numérique en limitant à deux ans la conservation dans des fichiers de toutes les données personnelles.
- Accroître les moyens juridiques de faire respecter le principe de protection des données personnelles.
- Réunir des spécialistes des médias et des nouvelles technologies, des sociologues, des juristes, des représentants de la CNIL, des professionnels de l’information et des économistes pour créer un habeas corpus des données numériques, tel que l’a proposé le site de Protection des données personnelles (Prodoper). Il s’agit de mettre en place une centralisation sécurisée des données personnelles, pour permettre de saisir un juge, qui devra pouvoir communiquer à tout intéressé le contenu de tous les fichiers le concernant dans les quarante-huit heures. Aujourd’hui, la centralisation des données existe déjà mais sous des formes opaques, non réglementées et relevant du pouvoir d’acteurs suffisamment riches et puissants pour capitaliser et croiser nos traces numériques. Bref, si on doit le dire brutalement, il s’agit pour moi de reprendre un privilège à l’oligarchie.
- Créer une commission d’enquête et imposer un bilan parlementaire sur le coût et l’efficacité de la vidéo-surveillance et du fichage, comme le propose la Fondation Copernic.
- Constituer un Conseil national des libertés, chargé de défendre nos libertés publiques face aux dangers d’un État de non droit, issu du Parlement et ayant pour arme la CNIL renforcée, publiant un rapport annuel avec des propositions précises d’initiatives à prendre dans les domaines national, européen et international. Comme il convient évidemment que la législation soit mondiale, l’action du Conseil serait liée à la nouvelle orientation de notre politique étrangère (cf. ma section Ma politique étrangère pour le grand chantier de demain).
- Lancer le pays dans une stratégie du logiciel libre. En effet, Microsoft exerce un monopole coûteux sur les systèmes d’exploitation et les logiciels, responsable en grande partie des problèmes de sécurité, de piratage et d’espionnage informatique. A l’image de la politique menée progressivement par la Gendarmerie nationale depuis 2002, les services de l’État devront migrer au fur et à mesure des renouvellements informatiques vers des versions libres des logiciels qu’elles utilisent, ainsi, au final, que de leurs systèmes d’exploitation. En se basant sur l’exemple de la gendarmerie, pour 1 euro investi sur le développement de l’« open source », environ 100 euros seront économisés en frais de licence. En investissant ainsi dans le développement libre, l’État impulsera un mouvement fondamental pour l’indépendance du pays et la liberté des citoyens.
Il est temps de réagir, non en considérant le sujet comme une chose en soi, mais comme un pan de l’ensemble : voulons-nous une société respectant le libre arbitre ou une dictature abusant de nos traces pour nous mettre dans une cage numérique et nous mener à la guerre de tous contre tous ? Lorsqu’un Alex Türk, ancien membre du RPR aujourd’hui étiqueté divers droite et réélu sénateur du Nord, nous dit que « ce qui nous attend est bien pire que Big Brother » , il faut rapidement en tirer les conséquences.