Après les attentats de janvier, la frustration des Français et des étrangers de culture musulmane s’est accrue. Ils sont pris en étau entre leur honte que des crimes aient été commis au nom de leur religion et que les victimes l’aient caricaturée. Face à une majorité de Français qui pense que l’islam est incompatible avec les valeurs de notre société, ils éprouvent d’autant plus de désarroi que la majorité d’entre eux s’y sent intégrée.
Le moment est donc venu de respecter quelques principes simples pour éviter que la France entre en état de sécession.
La question déterminante est d’abord politique et sociale. La religion n’envahit le domaine public que par compensation, lorsque notre République, comme aujourd’hui, ne respecte plus sa devise et sa tradition d’accueil. Nous avons besoin de projets communs et de repères qui les rétablissent. Lorsqu’aux Minguettes ou ailleurs dans nos banlieues, le chômage explose, qu’il n’y a pratiquement plus de commerce de proximité ni d’association de quartier pour les jeunes, et que les halls d’immeubles sont trop souvent occupés par des dealers, parler de vouloir vivre en commun ou de laïcité n’a plus aucun sens. Dans le combat essentiel contre la dictature de l’argent, il est d’abord nécessaire de mobiliser ce que le christianisme, le judaïsme, l’islam et l’humanisme laïc ont de commun, l’idée de solidarité et de fraternité sans laquelle la République est un vain mot. Concrètement, cela veut dire rétablir l’autorité d’un Etat citoyen contre les puissances financières qui l’occupent, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Ecoutons donc le hadîth du Prophète : « Il n’a pas foi en moi, celui qui s’endort repu tandis que son voisin, à ses côtés, a le ventre vide. » Ecoutons ensuite Jaurès, dans Le socialisme et la vie : « Tout individu humain a droit à l’entière croissance. Il a donc le droit d’exiger de l’humanité tout ce qui peut seconder son essor. » Si nous suivons cette démarche, nous pourrons, comme à son tour nous le dit le judaïsme, « recevoir tout homme avec un beau visage ».
Ah, me dira-t-on, mais le voile, mais le halal, mais les imams qui viennent de Turquie, d’Algérie et du Maroc et ne peuvent comprendre notre société sécularisée, mais le djihad, mais les croisades ! Toutes ces difficultés peuvent être résolues si nous partons avec l’intention de les résoudre, en excluant le rejet hargneux et la complaisance douteuse. Rappelons que l’article 1 de notre loi du 9 décembre 1905 affirme : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
Alors, bien que personnellement je sois convaincu que les trois versets du Coran faisant allusion au voile sont sujets à différentes interprétations, je ne vois pas au nom de quelle conception de la laïcité vestimentaire on interdirait à une mère ou un père d’accompagner des enfants en sortie scolaire en portant un voile discret ou une kippa. Alors, dans les cas où il est possible de distribuer des plats halal ou casher dans les cantines, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas, bien que ces restrictions alimentaires me paraissent irrationnelles. La formation des imams et des aumôniers de prison ne devrait pas poser problème, à condition qu’elle soit civique et rien que civique. Dans ce contexte, toute expression publique d’antisémitisme, d’islamophobie ou de christianophobie pourra être prévenue et, s’il y a lieu, sévèrement sanctionnée.
Jaurès affirmait que « la laïcité, c’est la fin des réprouvés » . Pour y parvenir, chacun doit penser à l’avantage d’autrui, sans instrumentation et en respectant cette idée qu’est la France, à la fois en l’enrichissant et en la rappelant à elle-même. Ici, nous nous engageons à y apporter notre part.