Le réactionnaire sert un ordre dominant et s’efforce de conserver le pouvoir qu’il exerce. Il est possédé par les objets ou les avantages qu’il possède. Le progressiste, au contraire, ne pense et n’agit jamais en termes de possession ou d’avantages, pour lui-même, son parti ou sa classe sociale. Il se bat pour le salut commun.
Il est donc bon que le gouvernement se soit retrouvé le 19 août à l’Elysée pour un séminaire sur la France de 2025. Mesurer les grands défis à long terme, établir les objectifs à atteindre et les articuler sur le quotidien est la démarche progressiste qui, par sa nature même, s’oppose à celle des oligarchies. Cependant, prétendre construire une vision stratégique sans réellement dire comment elle sera alimentée en carburant financier revient à se vouer à l’échec. Dire qu’il faut « utiliser pleinement notre avantage démographique » , « gagner la bataille de la mondialisation » , « réussir la transition énergétique et écologique » , « faire de notre territoire un levier de développement » et « inclure tous les citoyens dans la République » est agréable à entendre mais ne constitue pas un ordre de bataille. Il est de même utile de réunir des organes de réflexion, mais malgré les qualités du commissariat aux investissements d’avenir, du commissariat général à la stratégie et la prospective et de la commission innovation 2030, leurs rapports reviendront à moudre du vent si l’on ne mesure pas d’abord les résistances politiques nationales, européennes et mondiales.
Une politique progressiste identifie la nature de son ennemi et crée les conditions pour le vaincre. Or la réforme bancaire de Pierre Moscovici est un trompe-l’œil qui, d’avance, ruine les bonnes intentions affichées par le gouvernement. Car nous avons face à nous, progressistes, le système de la City de Londres, de Wall Street et de leurs paradis fiscaux, avec ses collaborateurs au sommet des grandes banques françaises. La réforme bancaire de M. Moscovici revient à leur dire : « Messieurs, on vous donne une petite tape sur la main, mais vous pouvez continuer vos activités. » Elle ne permet pas à la France de ressaisir le gouvernail économique.
Alors, que faire ? D’abord une vraie réforme bancaire, la séparation stricte, sous des toits différents. Cela seul permettra d’assainir le terrain. Oui, disent des experts comme Louis Gallois, mais alors nos grandes banques délocaliseraient leurs activités de marché à Londres. Eh bien, on ne peut déterminer sa politique par rapport aux nouveaux émigrés de Coblence ! Il faut d’abord défendre le peuple contre leurs politiques d’austérité – c’est de l’austérité, même si on l’appelle « sérieux budgétaire » – puis arrêter notre hémorragie industrielle par une politique de crédit public, avec une banque nationale nous délivrant du garrot financier. Le système de l’euro l’interdit ? Le repli national est impossible ? La réponse est qu’il faut refonder l’Europe, et que la France doit prendre la tête de cette refondation autour de grands projets qui seront le « levier du futur ». Avec un nucléaire du futur, qui ne soit plus entre les mains de nucléocrates, mais de chercheurs comme l’étaient Irène et Frédéric Joliot-Curie. Dans ce contexte, le gouvernement doit défendre les collectivités territoriales victimes d’emprunts toxiques, et non le poison de Dexia. Contre l’espionnage généralisé, il doit lancer une initiative de grande ampleur pour que soit élaborée une charte mondiale informatique et libertés.
Utopies ? Non, car cela forme un tout. Non, car ce sont les enjeux de notre époque. L’on ne peut continuer à présenter des projets, aussi estimables soient-ils, en se mettant la tête dans le sable financier. La France ne peut pas tout faire seule, mais elle doit donner l’exemple. Si François Hollande ne le fait pas, il sera rejeté après usage par le monde de l’argent. Et nous avec.
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L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.