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De quoi Bolsonaro est-il le nom ?

Déclaration de Jacques Cheminade

La réponse vient immédiatement sur le clavier de l’ordinateur pour quiconque a examiné la marchandise : Pinochet 3.0. Même combinaison d’une dictature politique, plus grave cette fois car obtenue par adhésion électorale et recours aux réseaux sociaux, et d’une dictature financière, habillée de libéralisme économique, servant les riches, privatisant, appauvrissant les autres et gelant les investissements dans les secteurs de la santé et de l’éducation pour les vingt prochaines années. Se proposant de chasser tout ce qui s’opposera à elle en le qualifiant de « rouge », proclamant son admiration pour des militaires tortionnaires, y compris ceux de l’ancienne présidente, Dilma Roussef, et livrant les homosexuels aux nervis.

La vraie question cependant est : comment cela a-t-il été possible au Brésil ?

La première réponse est que les Brésiliens ont tous souffert d’une insécurité et d’une corruption endémiques et qu’un peuple est prêt à sacrifier sa liberté pour celui qui promet de les combattre, sans être regardant sur les moyens. Cette explication cependant ne concerne que les effets et non les causes.

La cause principale est l’abandon dans lequel ce peuple a été laissé : les quelque cinquante millions de personnes sorties de la pauvreté sous la présidence de Lula y sont retombées plus vite encore au cours d’une terrible récession économique.

Les responsables et les coupables sont donc ceux qui ont provoqué cette récession – en clair, le système financier et monétaire de la City et de Wall Street et ses collaborateurs locaux. Ceux-ci ont porté au pouvoir les pires corrompus, dans l’appareil judiciaire, le Parlement et la Cour Suprême, afin d’accuser de corruption Lula et de le jeter en prison pour l’empêcher d’être candidat et s’efforcer de détruire sa réputation. Certes, Lula et Dilma Roussef ont été eux-mêmes plongés dans les réseaux de la corruption inhérents à la politique brésilienne, mais ce sont leurs ennemis qui ont été les corrupteurs, sans apporter aucune preuve d’enrichissement personnel des deux dirigeants du PT.

Le principal accusateur de Lula et de Dilma Roussef, le président Michel Temer, est un des hommes politiques les plus corrompus du pays et qui s’est, lui, personnellement enrichi. Le juge chargé de l’enquête du Lava Jato (opération kärcher de la classe politique brésilienne), Sergio Moro, a mené son enquête avec la collaboration avérée du FBI et sur la base d’écoutes des services américains.

L’on sait depuis toujours que les intérêts anglo-américains n’ont jamais toléré qu’une force politique se dresse contre eux en Amérique latine. C’est ainsi qu’ils s’efforcent d’éliminer tous leurs adversaires dans l’ensemble du continent, depuis le Rio Grande jusqu’à la Terre de Feu, mettant à profit les faiblesses d’un système qu’ils ont eux-mêmes porté sur les fonts baptismaux.

On peut épiloguer sur le reste. Il est clair que c’est la volonté du Vatican de mettre à la raison les propagateurs de la Théologie de la libération au sein de l’Eglise catholique et par extension les « curés sociaux », qui permit aux sectes évangéliques de s’étendre dans tout le pays. Bolsonaro s’est converti à leur culte irrationnel tout en demeurant « fidèle catholique ». Il a reçu le soutien de l’Eglise universelle du royaume de Dieu, la plus importante église évangélique du pays. Il semble que le « en même temps » soit ici interprété comme le service rendu à deux maîtres, Dieu et Mammon.

Le « mauvais exemple » donné par le Venezuela de Maduro, où toute la population est soumise à des conditions de vie intolérables et dont une partie a fui au Brésil en y provoquant des affrontements aggravés par des provocateurs, a aussi contribué à l’élection d’un « national-populiste » reprenant les recettes éculées du mussolinisme avec les moyens de communication d’une économie 3.0.

Il y a cependant une erreur à ne pas commettre : ce serait de penser que certaines caractéristiques spécifiquement brésiliennes de cette horreur politique en font un phénomène spécifiquement brésilien. La source du mal, un libéralisme qui est en fait la dictature du monde de l’argent, est la même dans tous nos pays occidentaux et constitue le fourrier du « nationalisme ». Il faut être clair : ce nationalisme-là est un culte du sol, de la race, du sang et du repli sur soi, comme le manifestent les discours de Bolsonaro, et non un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Il faut même être plus clair : comme le montre la personnalité de Paulo Guedes, le principal conseiller économique de Bolsonaro, ce nationalisme est l’ultime recours des milieux financiers dominants. Examiner à qui profite le crime permet de comprendre la nature du criminel. Les libéraux « démocrates » occidentaux, qui ont créé les conditions sociales de la montée au pouvoir des Bolsonaro, même s’ils prétendent promouvoir des « sociétés ouvertes », s’en font les accoucheurs.

Car si ces sociétés sont ouvertes, elles le sont aux forces financières des marchés, qui portent en elles le fascisme comme les nuées portent l’orage. On me pardonnera ici de reprendre la si célèbre phrase de Jaurès, mais elle est parfaitement appropriée dans ce contexte pas si nouveau mais bien plus général. J’ajouterai, examinant la contre-culture au Brésil comme chez nous, que la dérégulation dans le domaine des mœurs accompagnant celle du domaine de la finance, est un facteur déterminant pour désorienter les résistances.

Partout, des castes coupées de la réalité, des hommes de caoutchouc servant les rentes et les spéculations sur les marchés des actions comme sur ceux de l’art, nous mènent vers le pire, faute d’offrir un avenir meilleur au plus grand nombre. Une « société prostitutionnelle », comme Péguy qualifiait la sienne à l’orée du XXe siècle, ne peut conduire qu’à la boucherie d’une guerre de tous contre tous.

Les pistes tracées par les Nouvelles Routes de la soie chinoises ne sont pas l’ultime perfection, mais un espoir qu’un ordre gagnant-gagnant pourra se substituer à un système où les vainqueurs s’efforcent de rafler toute la mise, et qu’on doit bien appeler une géopolitique fasciste, même si elle porte des habits neufs. Or le candidat Bolsonaro s’en est pris à plusieurs reprises au gouvernement chinois, le décrivant comme un « prédateur » cherchant à s’emparer du Brésil. Il a lui-même visité Taïwan en février 2018.

Steve Bannon, qui met toute son énergie à combattre le gouvernement chinois et à se faire le promoteur universel de « l’Alt-right », a soutenu sa candidature. Après avoir rencontré Bannon, Eduardo Bolsonaro, le fils du candidat, a déclaré : « Nous avons eu un excellent entretien et nous partageons la même vision du monde. »

Je dirai pour finir que les violences de la rue et les violences scolaires sont un signe de cette marche vers un nouveau Léviathan et de bien pires violences. L’éducation des capacités créatrices de tous, commencée dès l’enfance et basée sur le meilleur de l’art et de la science dans toutes les cultures, est le plus solide des boucliers contre ce qui nous menace. L’économie est l’engagement que doit nous inspirer cette éducation dans notre intervention au sein de l’univers physique, pour accroître la capacité d’accueil et le développement mutuel qui excluent la violence.

Le nom de Bolsonaro est le sursaut que nous devons inspirer.


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