Paris, le 22 octobre 2011 — Depuis le 5 octobre, Dexia est en voie de démantèlement dans des conditions scandaleuses. Avec 520 milliards d’euros inscrits à son bilan, la chute de cette méga banque franco-belge, née en 1996 du mariage entre le Crédit local de France et le Crédit communal de Belgique, révèle de façon spectaculaire le caractère néfaste et suicidaire d’une finance devenue folle. L’environnement propice à cette folie a été créé par l’abrogation du Glass-Steagall Act , un vide qui a autorisé et autorise encore toutes les dérives : confusion des missions, conflits d’intérêt systématiques, délits d’initiés, bonus exorbitants, prises de risque inconsidérées, etc.
Pierre Mariani, l’administrateur délégué de Dexia, est l’ami intime et l’ancien chef de cabinet de Nicolas Sarkozy. A la tête d’une banque considérée comme « trop grande pour sombrer » , l’homme sait jouer son rôle de preneur d’otages. Le 20 octobre, dans les pages du quotidien flamand De Standaard, il s’affirme très heureux que la Caisse des dépôts (c’est-à-dire le bras financier armé de l’Etat français) reprenne à son compte un certain nombre d’actifs toxiques pour soulager Dexia.
Indéboulonnable, celui que Sarkozy appelle son « petit Pierrot » se vante qu’ « heureusement, on a pu régler cette affaire d’une façon ordonnée sans provoquer une catastrophe pour le secteur bancaire européen. Dexia était le Lehman Brothers de l’Europe. La taille du bilan et la nature des risques étaient semblables. Une faillite de Dexia aurait été incontrôlable et aurait provoqué une catastrophe tout aussi grande que Lehman à l’époque. Ceci étant donné la taille du portefeuille obligataire et l’énorme portefeuille des swaps. Il ne faut pas l’oublier : pas moins de 1500 milliards d’euros ! »
Devant l’énormité d’un tel aveu, on se demande si l’incompétence est l’unique défaut dont souffrent nos dirigeants. Surtout que de nouvelles révélations démontrent maintenant qu’un rapport confidentiel d’avril 2010, établi par les inspecteurs de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), organisme public chargé de réguler le secteur bancaire, tient la direction de Dexia pour directement responsable d’avoir donné de fausses informations financières au marché et d’avoir manqué gravement aux règlements de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Banque de France. L’ACP avait alors envisagé de mettre Dexia « sous surveillance spéciale » , en nommant à cet effet un contrôleur ad hoc .
Rien n’explique la non transmission du dossier à la justice. Le rapport fut enterré au plus vite par le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, dirigeant de l’ACP et ennemi acharné de tout retour à Glass-Steagall. Ajoutons qu’il semble également fort improbable que le contenu du rapport ait échappé à Christine Lagarde, à l’époque ministre de l’Economie.
Ainsi, par son caractère désormais délictuel, l’affaire Dexia confirme la pertinence des mesures que nous préconisions en 2009 dans notre « Appel à constituer sans délai une Commission d’enquête parlementaire sur la crise financière » , signé alors par 4527 pétitionnaires, dont 84 élus et personnalités :
« 1) La constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les agissements de ces établissements financiers et l’état de leurs comptes. Le moment est en effet venu de faire comparaître devant les représentants du peuple ceux qui ont abusé de leurs pouvoirs et de déterminer comment ils ont pu procéder et avec qui, en France ou ailleurs dans le monde. Cet examen a pour objet de déterminer ce qui est viable et nécessaire à un fonctionnement légitime du système bancaire, qui doit être maintenu et aidé, et ce qui relève de l’imprudence irresponsable ou d’opérations exotiques, qui doit être soumis à des procédures de banqueroute organisée. L’Etat ne doit pas faire payer les citoyens en absorbant les créances douteuses de ceux qui se sont égarés, mais faire constater leur absence de valeur et les éliminer dans l’intérêt général.
« 2) La réquisition temporaire des banques afin d’assurer qu’elles alimentent réellement l’économie en faisant leur métier légitime et qu’elles donnent accès en toute transparence à leurs comptes, parallèlement aux travaux de la commission d’enquête et dans la logique de son fonctionnement.
Notre appel se concluait ainsi :
« La raison d’être d’un pays, qui est de faire prévaloir le bien commun, prime sur tout. Nous sommes conscients que nos exigences sont exceptionnelles, mais elles sont rendues nécessaires par des circonstances exceptionnelles. Des précédents existent. La Commission Pecora, la commission bancaire et monétaire du Sénat des Etats-Unis dans les années 1933-1934, en faisant connaître au peuple américain les pratiques de ses banquiers et l’étendue de leurs pouvoirs, créa la base politique pour les mesures de redressement et de relance de l’Administration Roosevelt (notamment pour la Loi Glass-Steagall). Les réquisitions, dans notre pays, découlent de l’état d’esprit du Programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944 et du Préambule de notre Constitution, et ont été appliquées par l’ordonnance de 1945 en matière de logement et dans diverses entreprises à la Libération. »
L’affaire Dexia n’est que le cas extrême d’un système fondé sur la spéculation et des prises de risque insensées. Au moment où la crise devient systémique, en Europe et dans le monde, il est d’une urgence absolue de rétablir la séparation entre les banques de dépôt et de crédit, qui servent l’économie et les ménages, d’une part, et les banques opérant sur les marchés, d’autre part, qui sont des banques d’affaires que l’Etat ne doit en aucun cas renflouer. Le reste relève de la justice.