Passant devant les militants de Solidarité et Progrès à l’Université d’été de La Rochelle, Manuel Valls leur a lancé : « Ça va les dingos, tout va bien ? » Son accompagnatrice faire-valoir, Najat Vallaud-Belkacem, en a pouffé d’un rire complaisant. Nous laisserons aux lecteurs le soin de juger si ce comportement est celui d’un Premier ministre et d’un ministre de l’Éducation nationale « normaux », pour tenter de comprendre ce que révèle cette réaction de nos deux éminences.
Tout d’abord, pour elles, est fou tout ce qui brise la règle du jeu de l’ordre qui a permis leur ascension. En l’espèce, nos militants exprimaient leur conviction que sortir de l’Otan, de l’euro et de l’Union européenne est nécessaire pour que notre pays retrouve son indépendance et renoue son pacte avec la liberté du monde. Évidemment, pour qui pratique une politique d’adaptation au libéralisme financier, c’est un signe de folie. Dire qu’aujourd’hui il serait impossible de réaliser un programme de type Front populaire ou Conseil national de la Résistance, à cause des principes imposés par une Europe dévoyée et une Otan réintégrée, révélerait un dangereux déséquilibre mental. Affirmer que l’économie doit être animée par la puissance publique et que l’État doit être non seulement stratège mais investisseur relèverait d’une névrose passéiste. Protester contre une scission de la France en trois mondes, celui des grandes métropoles, des zones périurbaines et de l’espace rural, et réclamer un retour à un vrai aménagement du territoire, indiqueraient une propension au délire dirigiste.
L’un de nos militants à La Rochelle s’était déguisé en Docteur Jaurès et, muni d’un stéthoscope, proposait d’ausculter les intervenants et leurs amis pour savoir s’ils avaient encore le cœur à gauche. Farce bien évidemment idiote puisque, pour M. Valls, l’amour qu’il manifeste tour à tour aux entrepreneurs et aux socialistes s’est substitué au sens de l’orientation politique. Au cœur d’un monde sans cœur, ces éminences exercent le pouvoir comme Tony Blair, pour le conserver au sein du système tel que leurs sens le perçoivent. Fleur Pellerin, elle, notre ministre de la Culture, n’apprécie-t-elle pas les séries américaines ou anglaises ? Chacun cherche ainsi à trouver place sur son petit trône de fer.
La triste réalité est que ceux-là sont devenus les serviteurs de la mauvaise finance, qui chasse toujours la bonne et opprime les peuples. L’austérité, c’est pour les autres, quand on ne va pas jusqu’à prétendre qu’en France il n’y en a pas ! Comme le dit justement un Mehdi Ouraoui, ce sont eux qui ont mis le pied du Front national à l’étrier, tout en se lançant dans des tirades hypocrites contre telle ou telle de ses émanations.
Ce qu’ils ont fait, dans le désordre : une réforme bancaire qui sert l’oligarchie financière, une réforme territoriale absurde qui renforcerait les barons régionaux tout en étouffant la capacité de résistance des communes à l’austérité, un mariage pour tous conçu comme un enfumage du chômage non résolu, une armée réduite à son art du système D, l’école livrée aux rapports de force et les enseignants à la violence quotidienne. Le dire serait être fou ? Oui, répondront les éminences, car on ne peut faire autrement. Le « il n’y a pas d’alternative » de Margaret Thatcher serait-il, lui, devenu « de gauche » ?
Alors que l’alternance est là. Les BRICS ouvrent la voie à un autre ordre que celui de Wall Street, de la City – dont Marc Roche vient de très bien démontrer les méfaits – et du FMI. Notre avenir est dans la fusion thermonucléaire, la robotique, les nanotechnologies et le 3D, dans la production de plus et mieux avec moins, engendrant un travail nouveau, inédit, sollicitant davantage la création humaine et exigeant la justice sociale. Les dingos l’ont compris. Les êtres pratiques servent la finance, rampant sur ses sables mouvants.