Il est des moments de l’histoire, comme le nôtre, où ce que nous pensons, ce que nous disons et ce que nous faisons doivent obéir à un même impératif. Car face au péril, l’être humain ne peut se segmenter. Il doit agir en se vouant pleinement à l’intérêt général. En lui-même, cette vocation ne doit plus être un devoir imposé de l’extérieur, mais une disposition rendue naturelle par son attachement constant à la création, à la découverte de choses nouvelles, qui est ce qui le définit par rapport aux autres êtres vivants. Dans notre langue, le beau mot d’émancipation traduit cet état d’esprit : rejeter la tutelle d’une autorité illégitime pour servir un bien supérieur. A ne pas confondre, comme on le fait trop souvent, avec le plaisir de s’affranchir pour s’affranchir, qui conduit au chaos. L’enjeu est de prendre l’entière responsabilité du futur.
Si nous examinons de ce point de vue ce qui se passe sur notre scène nationale, l’on ne peut qu’à la fois rire et s’indigner. Rire de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, de leurs contorsions pour feindre un pouvoir qu’ils ont peur d’exercer. S’indigner de leurs manœuvres subalternes face à l’orage qui vient.
Au gouvernement, Valls joue les durs et Hollande le bienheureux. Il recrute à l’Elysée Laurence Boone pour remplacer Emmanuel Macron. Elle considère que « notre système de protection sociale construit dans les années 1950 est devenu trop coûteux ». Son pedigree ? Sept ans passés à la banque Barclays France, où elle a été repérée par son président d’alors, Jean-Pierre Jouyet, qui a lui-même servi sous Sarkozy avant de devenir le secrétaire général de l’Elysée ! Son dernier poste ? Chef économiste depuis 2011 à la Bank of America Merril Lynch. Une proche amie ? Karine Berger, qui a saboté la réforme bancaire. Bref, la principale conseillère économique du Président débarque directement de la City londonienne : mon amie, c’est la finance.
Le but de la politique gouvernementale est donc de mettre bien évidemment fin aux privilèges, comme le dit le Figaro magazine. Ceux des intermittents, des cheminots et des aiguilleurs du ciel aujourd’hui, de la SNCM et des taxis demain, mais jamais, à Dieu ne plaise, ceux des marchés financiers et de leurs collaborateurs.
Quant aux révoltés socialistes, qu’on cherche à ridiculiser en les appelant « frondeurs », comme si Valls pouvait être Mazarin, ils sont « indignés » et « accablés », mais ils cherchent à détricoter la chaussette sans vouloir en changer : ils acceptent le pacte de responsabilité de 50 milliards du gouvernement, en souhaitant faire passer les mesures en faveur des ménages de 5 milliards d’euros à 18,5 milliards d’ici à 2017 et diminuer les baisses d’impôt et de charges des entreprises de 41 milliards à 22,5 milliards. Que ce soit inacceptable par Valls n’empêche pas que le débat ainsi posé passe à côté du vrai sujet, le changement de système !
A l’UMP, le trio est devenu quatuor, sans chef d’orchestre et avec un taureau piaffant aux portes de l’arène. Le Centre s’étripe suivant son habitude. Au Parti radical, la contestation des listes d’adhérents bat son plein. Au Front national, père et fille jouent la énième scène de leur Commedia dell’arte, après avoir transformé l’héritage ultralibéral du père en chevènementisme du pauvre. Les masques grimaçants des uns et des autres dissimulent mal leur commune impuissance, faute de vouloir changer la règle du jeu.
Seul, hélas, le Pape parle haut et clair : « Nous avons abandonné toute une génération pour maintenir en place un système économique qui ne peut plus durer, un système qui pour survivre doit faire la guerre, comme l’ont toujours fait les grands Empires. » C’est le combat contre ce système que nous devons mener, en pensant moins à nous-mêmes et à nos partis ou parti pris et bien plus à la cause commune de l’humanité.
L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.