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En finir avec les « emprunts toxiques »

mardi 24 février 2015

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Déclaration de Jacques Cheminade

Paris, le 24 février 2015 — La décision prise par la Banque nationale suisse (BNS), le 15 janvier, d’abolir le cours plancher de la devise helvétique (1 euro = 1,20 franc suisse), fait exploser chez nous, après la première flambée en 2013, les taux d’intérêts des emprunts « toxiques » auxquelles des centaines de collectivités territoriales ont souscrit à partir de 2005. Il est scandaleux, ainsi qu’en ont d’ailleurs jugé certains tribunaux, qu’un prêt ait été indexé sur un cours de change sans lien entre cette indexation et l’activité des parties ou l’objet même du prêt.

Communes, villes, intercommunalités, départements, régions, mais aussi syndicats intercommunaux et hôpitaux se retrouvent ainsi, du jour au lendemain, dans l’impossibilité de pouvoir, en même temps, fonctionner normalement et honorer leurs engagements financiers. Sans intervention immédiate de l’État pour changer la donne, ils risquent soit d’être mis sous tutelle, soit de devoir cesser leurs activités. Cette perspective est pour moi inadmissible.

Dès mars 2011, j’avais mis en garde contre le danger des emprunts toxiques et le système financier actuel qui les engendre. Pour y faire face, j’avais souligné l’impérative nécessité de « couper les banques en deux », tout en appelant à créer une Commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles les dettes des collectivités ont été contractées.

Au lieu d’en finir avec ces pratiques criminelles, les gouvernements successifs, ainsi que le Conseil constitutionnel, se sont contentés de « mieux les encadrer » en précisant qu’« il n’y avait pas d’alternative ». Alors que les banques ont été amnistiées, les victimes sont sommées de payer et se voient obligées de faire appel devant les tribunaux européens.

Aujourd’hui, si l’Association des maires de France (AMF) réclame plus d’aide pour faire face, en attendant naïvement que les taux « se stabilisent », la Fédération des hôpitaux de France (FHF) voit l’équivalent de son budget d’investissement annuel broyé dans la tourmente. Comme le dénonce à juste titre son délégué général, Gérard Vincent, « non seulement le fonds de soutien mis en place l’an dernier [pour les hôpitaux qui renoncent à poursuivre les banques] n’est que de 100 millions d’euros, alors que l’encours de dette concerné avoisine au moins 1,5 milliard d’euros, mais ces sommes sont prélevées sur le budget de la Sécurité sociale, et pas sur celui des banques ou de l’État » (entretien accordé au Parisien du 30 janvier 2015).

Autant je soutiens les revendications du gouvernement Tsipras pour annuler une partie de la dette « toxique » de la Grèce, autant je soutiens le principe, validé par le conseil de la FHF, d’« une cessation concertée des paiements des échéances des intérêts astronomiques exigés par les banques », comme première étape permettant d’amorcer un changement radical du système financier actuel.

Cependant, pour aller plus loin, je préconise deux types de mesures :

Mesures défensives :

  • Annulation, après un audit au cas par cas, des surcoûts toxiques. Les collectivités s’engagent à rembourser le principal du capital emprunté selon l’échéancier initial, majoré d’un nouveau taux établi en prenant pour référence le taux d’intérêt légal (0,04 en 2014 et 0,94 % pour le premier trimestre de 2015).
  • Interdiction immédiate de la vente d’emprunts structurés, jusqu’ici autorisés par la législation européenne (Directive MIF) au nom de la « liberté de contracter ».
  • Annulation des garanties apportées à Dexia par les États français (38,7), belge (43,7) et luxembourgeois (2,55 milliards d’euros). L’État ne doit plus, en tout état de cause, reprendre les procédés de Dexia au sein de la Société de financement local (SFIL) et renoncer ainsi à imposer aux collectivités les règles toxiques d’un marché financier dévoyé.

Mesures offensives :

  • Les pouvoirs publics doivent créer une vraie commission d’enquête sur la crise financière et les emprunts toxiques, disposant d’une indépendance suffisante et de pouvoirs d’instruction et de réquisition.
  • L’État français, en s’appuyant sur le rapport de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) d’avril 2010, doit poursuivre les banques d’investissement qui sont contreparties des emprunts toxiques sur les marchés financiers : BNP Paribas, Société générale, UBS, Goldman Sachs, JP Morgan, Deutsche Bank, etc. Car, d’après le rapport, elles n’ont jamais informé la banque Dexia de la véritable valeur des produits financiers que cette dernière leur achetait, ce qui expliquerait en grande partie sa faillite.
  • On doit mettre en œuvre une vraie séparation stricte des banques. Cette mesure doit s’inspirer de la loi 45-15 du 2 décembre 1945 dans l’esprit du Glass-Steagall Act, comme le stipule la proposition de loi de Solidarité & Progrès.
  • Ce dispositif sera complété par la création d’une « Banque de la nation » sous contrôle public, capable d’alimenter la Société de financement local (SFIL) en crédit à long terme et à faible taux d’intérêt au service des collectivités.
  • Cette démarche doit être bien entendu discutée avec les États membres de l’Eurogroupe. Cependant, s’ils refusent de la prendre en considération dans des délais aussi rapides que l’exige la situation financière de l’Europe et de la France, nous nous réservons d’en tirer les conséquences qui s’imposent.

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