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Encore un effort pour devenir le nouveau Roosevelt européen

lundi 14 mai 2012

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Déclaration de Jacques Cheminade

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Reconnaître l’extrême gravité de la crise que nous vivons sans désigner le visage de l’adversaire revient à se condamner à l’impuissance et à tromper ceux qui veulent agir pour le salut commun. Franklin Delano Roosevelt, en affrontant les «  monarchistes de l’économie » de Wall Street et de la City de Londres tout en préparant la guerre contre le nazisme, avait clairement défini contre qui il devait se battre. C’est la première raison pour laquelle il remporta la victoire contre le fascisme militaire et financier.

François Hollande, dans son discours du Bourget, a bien désigné « le monde de la finance » comme son principal adversaire. Cependant, il a non seulement dit que celui-ci n’avait pas de visage, mais il a déclaré à Londres, face à la City, qu’il n’était pas « un homme dangereux ». Ce n’est pas une manière de se faire respecter et ce n’est pas un moyen de préparer la victoire.

Oui, nous avons besoin d’un homme de caractère pour inspirer la France et l’Europe, nous espérons qu’apparaisse un nouveau Roosevelt, un Roosevelt européen. Oui, nous ferons tout ce que nous pourrons pour que François Hollande se hausse à cette dimension. Pour cela, nous devons agir et commencer par dire la vérité en face, même si elle choque, car dans la tempête politique que nous allons vivre, toute complaisance deviendrait mortelle.

Il faut d’abord refuser le chantage de la Commission européenne, qui nous impartit de tailler dans nos dépenses. C’est la politique menée par le Chancelier allemand Brüning et par le gouvernement Laval dans les années trente du XXe siècle, qui conduisit l’Europe au désastre. Une politique opposée à celle de Roosevelt. Pour la même raison, il faut rejeter les conditions d’austérité inacceptables du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), qui imposent le blocage des investissements publics et des dépenses sociales en plafonnant le déficit structurel des Etats à 0,5% en pleine période de crise ! C’est la condition mise pour bénéficier du Mécanisme européen de stabilité (MES), mais celui-ci non seulement impose aux Etats des conditions d’austérité draconiennes et donc une perte de leur souveraineté budgétaire, mais se trouvera sous la coupe d’un Comité directeur d’experts financiers qui n’aura de compte à rendre à personne ! Certes, nous avons déjà voté le MES, grâce à l’abstention des députés socialistes. Mais en refusant d’adopter le TSCG, nous pouvons mettre en échec l’ensemble et dire à l’Europe qu’elle fait fausse route. Il faut que les grands projets, la justice sociale et les investissements productifs passent avant la rigueur, la « discipline budgétaire » et la destruction du droit du travail !

Nous provoquerons ainsi une crise en Europe. Elle est inévitable et mieux vaut le faire tout de suite que de continuer comme on va, en obtenant quelques miettes supposées assurer la croissance contre la « modération salariale » et le démantèlement progressif des CDI. Le système qui a conduit à la chute de la Grèce nous y entraîne aussi. Comme nous le dira la Cour des comptes fin juin, la situation est bien plus grave qu’on veut bien le reconnaître. Ce n’est pas une raison pour renier ses promesses en restant dans un système qui détruit tout, y compris lui-même ; il faut au contraire en sortir en lançant le défi d’un horizon nouveau. C’est redonner à l’Europe sa raison d’être en la refondant.

Pour commencer, il est vrai que sans révision des traités, la Banque centrale européenne pourrait théoriquement refinancer la vieille dette de nos Etats à des taux proches de 0% et fournir à la Banque européenne d’investissement (BEI) ou aux organismes publics nationaux (Caisse des dépôts ou FSI chez nous, Kreditanstalt en Allemagne) des prêts à 0,01%, qui prêteraient à leur tour à 0,02% aux Etats qui doivent s’endetter pour rembourser leurs vieilles dettes.

Cependant, cela ne va pas au fond des choses. C’est un mécanisme technique qui ne prend pas en compte le fond politique des choses. Les dirigeants actuels de la BCE, comme un Mario Draghi, soit ont travaillé directement pour les établissements de la City, soit en portent l’idéologie. Le fond des choses est que le système financier et monétaire international se désintègre, et que la fausse Europe de la BCE et de l’euro en fait partie !

Alors, deux choses sont nécessaires pour reconstruire. La première, comme le dit le collectif Roosevelt 2012 , et comme je n’ai cessé de le dire pendant toute ma campagne présidentielle, est de séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires, pour interdire aux banques de spéculer avec notre argent. Cependant, il ne faut pas s’y tromper. Le principe d’une séparation stricte entre banques de dépôt et banques d’affaires n’a jamais été acté en Grande Bretagne. C’est une simple séparation des activités sous le même toit qui est envisagée pour… 2019. Quand on parle de Roosevelt, il faut savoir de quoi on parle ! Ajoutons que mettre en œuvre le Glass Steagall strict signifie qu’on ne renfloue plus les banques d’affaires « perdantes » et qu’on les met en faillite ordonnée.

Qui plus est, croire que « Occupons Wall Street est en train de faire évoluer le discours de Barack Obama » est pire qu’un crime : une erreur totale. Obama s’oppose au vote d’une proposition de loi (HR 1489) réintroduisant un Glass Steagall strict, présentée à la Chambre des représentants américaine par Marcy Kaptur et de nombreux démocrates progressistes soutenus par une poignée de républicains. Se tromper par deux fois dans son jugement, concernant la Grande Bretagne et les Etats-Unis, est précisément ce qui arrive lorsqu’on n’a pas fait ce que fit Roosevelt, c’est-à-dire définir clairement le visage de son ennemi. Ajoutons qu’aujourd’hui c’est Lyndon LaRouche et ses partisans qui, aux Etats-Unis, ont lancé et soutiennent toute la bataille pour un retour à Glass Steagall et la démarche politique de Roosevelt, des frères Kennedy et de Martin Luther King, et qu’il serait essentiel pour les partisans de Roosevelt en Europe de se pencher sur leur cas au lieu de prêter une oreille complaisante à ceux qui déforment le sens de leur combat.

La seconde chose, au-delà de la séparation des banques, est de revenir à un système de crédit public, en reprenant aux banques le pouvoir de financer la dette publique et donc de contrôler les Etats. Cela suppose de mettre en place une Banque nationale, et de créer à l’échelle européenne une association de banques nationales au lieu et place de la Banque centrale européenne. C’est là que se situe la révolution rooseveltienne et le vrai fond des choses. Il faut donc que le nouveau Roosevelt européen, pour être à l’image de son prédécesseur, jette à ses partenaires le défi d’abroger tous les textes européens qui empêchent d’appliquer cette politique : l’article 123 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) et les lois du 4 août 1993 et du 12 mai 1998 qui aggravent les conséquences de la loi Pompidou-Giscard d’Estaing du 3 janvier 1973.

Cela, répétons-le, suppose une crise européenne. Mais c’est la seule manière de redonner à l’Europe sa raison d’être et de rétablir la priorité de l’emploi qualifié, du pouvoir d’achat et du financement des grands projets, des infrastructures, du service public et des collectivités territoriales.

De toutes façons, cette crise est à nos portes. Mieux vaut tout de suite jeter le défi à nos partenaires plutôt que de laisser s’étendre une politique de saccage sociale et de renflouement des spéculateurs qui mènerait tout droit à des dictatures et à des guerres.

Parlons-en pour en finir. Car il faut ajouter aux crises dont parle Roosevelt 2012 une crise militaire engendrée par la désintégration du système actuel.

François Hollande devra y faire inéluctablement face lors de sa rencontre avec Barack Obama et lors du sommet de l’OTAN qui se tiendra les 20 et 21 mai à Chicago. Tout d’abord, il faudra imposer à nos partenaires le retrait de nos troupes d’Afghanistan avant fin 2012, en se procurant les moyens logistiques pour y parvenir. La Russie et l’Ukraine peuvent nous y aider avec leurs transporteurs lourds. Surtout, il se posera la question fondamentale de notre adhésion au système de missiles anti-missiles balistiques que les Etats-Unis et la Grande Bretagne veulent installer en Europe de l’Est. Les déclarations récentes du chef d’état major de l’Armée russe, le général Nikolaï Makarov, et du ministre de la Défense, Anatoli Serdioukov, ne laissent aucun doute sur le sujet : pour Moscou, il s’agit d’un casus belli , d’une provocation qui a amené ces dirigeants à menacer de frappes militaires ce dispositif. Plus encore, le Président Poutine a annoncé qu’il annulait l’entretien en tête à tête qu’il devait avoir avec le Président Obama à Camp David et sa venue au G8, les 18 et 19 mai.

Dans ces conditions, il est clair que François Hollande doit dire non à Washington comme à Bruxelles. Suivant la même démarche, il doit refuser la logique financière de la City, de Wall Street, de la Commission européenne et de la BCE, et celle du déploiement des missiles anti-missiles américains en Europe de l’Est. Ce déploiement entame une escalade militaire pouvant conduire rapidement à un conflit mondial voulu par certaines forces de la City et de Wall Street.

Voilà, dans toute son ampleur, le défi qui est jeté à celui qui voudra être un Roosevelt européen. Le réduire ou vouloir se le cacher, ou pire encore, se compromettre en sacrifiant ses promesses, conduirait au désastre. Le relever est évidemment risqué et difficile, mais une certaine idée de la France et de la justice sociale l’exige, de même qu’une certaine idée de l’Amérique – celle de Roosevelt, pas celle de Wall Street et d’Obama.


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