Nous vivons en état d’esclavage. Une telle affirmation apparaît bien entendu excessive. Cependant, l’absence d’État de droit y conduit.
Tout d’abord, il y a encore plus de cent millions d’êtres humains en état d’esclavage physique dans le monde, dont 8000 recensés en France, sous tutelle de ressortissants étrangers souvent détenteurs de passeports diplomatiques. Nous fermons trop souvent les yeux face à ces riches investisseurs qui répandent tous les parfums d’Arabie.
Ensuite et surtout, la torture se trouve pratiquée partout. Les révélations du rapport d’enquête publié par la commission du renseignement du Sénat américain confirment le pire. Plus d’une centaine de prisonniers suspectés de terrorisme ont été soumis aux méthodes de la Gestapo contre nos résistants : humiliations physiques de toutes sortes, tabassage et jusqu’aux supplices de lavements forcés et de séances de « waterboarding », un dérivé du supplice de la baignoire. Il ne manque que la « gégène », que nos services pratiquaient pendant la guerre d’Algérie. Les réactions à ces terribles révélations sont elles-mêmes terribles. Entendre une Marine Le Pen dire qu’ « il peut y avoir des cas (…) où il est utile de faire parler une personne » , « avec les moyens qu’on peut » , est aussi édifiant que d’écouter un juge de la Cour suprême américaine, Antonin Scalia, tenir des propos semblables en évoquant comme elle la nécessité de déjouer des attentats terroristes. Pire, un Dick Cheney déclare sans rougir que « si c’était à refaire, je recommencerais sans hésiter une minute ». Oui, même si certains opposent des démentis à ce qu’ils ont pu dire « à chaud », leurs paroles demeurent.
Le Monde , lui, dans son éditorial du 12 décembre, exhibe une hypocrisie sans limites : « L’Amérique doit à Barack Obama d’avoir immédiatement mis fin à ces pratiques dès son arrivée à la Maison Blanche. Elle lui doit aussi d’avoir autorisé la divulgation de ce rapport. » Terrible mensonge, sans doute soufflé par ses correspondants néoconservateurs : c’est la très courageuse sénatrice démocrate Dianne Feinstein qui s’est battue pour que le dossier soit rendu public, alors qu’Obama a tout fait pour protéger le clan Bush !
On dira que d’autres pays font pire. Cependant, c’est bien le nôtre qui a empêché l’avion où se trouvait le chef d’Etat bolivien Evo Morales de survoler notre territoire, alors qu’il autorisait le passage des vols de la CIA conduisant les suspects dans les geôles de Pologne ou de Lituanie, pays qui aujourd’hui prétendent défendre le droit des peuples en Ukraine !
Plus fondamentalement, ces pratiques découlent de ce que deux auteurs africains, le Camerounais Joseph Tchuindjang Pouemi et l’Ivoirien Nicolas Agbohou appellent « l’esclavage monétaire » . C’est en effet la règle du jeu imposée par une oligarchie financière, avec la complicité de banques centrales et de la vingtaine de banques géantes du monde, dont quatre « françaises », qui, en bafouant l’État de droit, conduit à l’esclavage. Le physique n’est que le reflet du monétaire sur les murs de la caverne de l’économie mondiale, où se pratique la banque de l’ombre en dehors de tout contrôle public ou judiciaire. Là se trouve la source du mal, avec ses relais nationaux. On torture comme on « trade » : dans l’ombre.
La bonne nouvelle est qu’une autre sénatrice américaine, Elizabeth Warren, a dénoncé ce système prédateur dans trois discours au Sénat américain, en montrant les complicités entre Obama et la direction de Citigroup et de JP Morgan. « Trop c’est trop ! » n’a-t-elle cessé de répéter. L’autre bonne nouvelle est que les BRICS mettent en place un ordre de développement mutuel qui échappe à cet esclavage monétaire. Qu’attendons-nous pour devenir acteurs ? La France est une « certaine idée » offerte à la cause de l’humanité, non un corps qui se soumet ou se replie sur lui-même !
L’édito de Jacques Cheminade est publié tous les 15 jours dans le journal Nouvelle Solidarité.