Transcription :
Lors de la campagne présidentielle de 1995, j’ai annoncé que les conditions d’une crise financière, un cancer financier qui allait se répandre en métastases, étaient réunies. Cette crise, disais-je alors, allait se produire dans les dix à douze ans. Eh bien, elle s’est produite, contrairement à ce qu’affirmaient tous les experts de l’époque, et surtout les hommes politiques, qui ne savaient même pas ce qu’étaient les produits dérivés, ni les produits financiers avec lesquels on commençait à jouer à l’époque.
Aujourd’hui, nous sommes à la deuxième phase de cette crise, sans doute la phase ultime. A l’heure où je vous parle, la bourse de Paris est tombée aujourd’hui de 3,90 %, dans la panique. Ce n’est qu’un reflet sur le mur de la caverne. Ce n’est que le reflet financier d’une crise de civilisation, d’une crise d’ensemble.
Jacques Attali, dans un article publié dans l’Express du 20 juillet, nous a dit, avec son cynisme et son intelligence habituels, que les marchés sont partout en train d’imposer leurs lois et que les peuples ne vivent de la démocratie que l’illusion et les apparences. Il ajoute : « Aussi les élections à venir n’auront pas beaucoup d’influence sur l’avenir des électeurs. » Et de nous dire que les nations, pour échapper à la crise, n’ont plus d’autre choix que d’imprimer de la monnaie, ce qui finira par de l’inflation, par la ruine des classes moyennes et la fin de la démocratie formelle (M. Attali ne se gêne pas pour le dire), où alors l’autre choix sera de fermer les frontières, ce qui conduira au même résultat.
Ce diagnostic de M. Attali nous paraît exact. Ceci dit, sa solution est encore plus désastreuse : il propose de fournir au Fonds européen [FESF] 2000 milliards d’euros pour « intimider » les marchés, c’est-à-dire de créer une gouvernance mondiale renforcée. Et ceci, dans un contexte d’austérité financière généralisée. Le discours prononcé aujourd’hui par M. Barroso et par M. Trichet, puis la lettre envoyée par M. Barroso, disent la même chose. M. Barroso annonce aux dirigeants de la zone euro que la crise n’est plus limitée aux pays périphériques, aux PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne), mais qu’elle s’étend à l’ensemble des pays de la zone euro, ce qui est parfaitement exact. Il propose donc d’accroître les moyens du FESF et du Mécanisme européen de stabilité (MES), supposé le remplacer.
Tout cela dans un contexte où cet argent ne serait pas utilisé pour l’investissement productif, pour l’économie, pour le social, pour défendre les peuples. C’est un argent qui est simplement vu comme une masse pour intimider une autre masse, avec une austérité appliquée et reconnue par tous. Sont-ils devenus tous « barristes », disciples de Raymond Barre ? D’ailleurs, tous ont été éduqués à Science-Po par les manuels de Raymond Barre, nous dit aujourd’hui Le Point . Austérité, austérité, austérité ! Et par tous les moyens, on tente de faire croire qu’il n’y a pas d’autre solution, que c’est la seule voie face à la crise. Eh bien, c’est un mensonge, c’est le grand mensonge de notre époque. Mensonge partagé par Nicolas Sarkozy et son entourage, d’une part, et par Martine Aubry et les dirigeants socialistes de l’autre. Martine Aubry vient de dire que passer à 3 % de déficit budgétaire par rapport au PIB, en 2013, serait parfaitement normal puisque c’est la règle aujourd’hui. Donc, on se soumet à cette règle ! Martine Aubry qui prend Daniel Cohen comme « expert » financier, alors qu’il est lié à Barney Franck aux Etats-Unis, à ceux qui ont favorisé Wall Street, et qu’il était l’expert de Dominique Strauss-Kahn. On est devant ce drame où la majorité comme l’opposition, au niveau des hommes politiques, ne comprennent pas la portée de cette crise et prennent le conseil de gens qui n’ont fait que « rationaliser » la politique devenue destructrice et criminelle des milieux financiers.
Voilà où on en est aujourd’hui. C’est pourquoi ma candidature présidentielle me paraît si importante. Non pas pour « obtenir un score », comme on dirait aujourd’hui, mais pour mettre sur la table la question réelle, la question décisive : est-on capable de faire face aux marchés financiers ? Est-on capable de faire face à ceux qui nous détruisent ? Est-on capable de rétablir l’espérance, économique, sociale et politique, face à crise de civilisation qui nous tombe dessus ? Car, on le voit encore aujourd’hui, c’est toujours pendant l’été, pendant les vacances, que les crises se produisent et s’étendent.
Il est particulièrement important de comprendre que ce que proposent tous ces hommes politiques ne traite en rien le problème fondamental, qui est la chute du système financier, social, économique, monétaire. Vous avez eu un test de résistance des banques de la zone euro, fait par l’autorité bancaire européenne. Toutes les banques, sauf huit, l’ont réussi. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pris en compte que de façon très limitée l’impact de la faillite d’un Etat souverain – pas même de la Grèce, qui est en faillite, tout le monde le sait. De plus, on a pris comme critère, non pas ceux de Bâle III, soit 7% de capitaux propres par rapport aux engagements, mais seulement 5%. On a donc triché une fois de plus.
En réalité, nous sommes dans une situation où tout le système financier et monétaire transatlantique se désintègre devant nos yeux, tandis qu’aux Etats-Unis, Barack Obama viole la Constitution. Dans la question de la guerre à la Libye, au bout de quatre mois, contrairement aux textes, il n’a pas consulté le Congrès ; il viole la Constitution dans l’accord qu’il vient de passer avec les Républicains au Congrès pour imposer des coupes claires dans le budget : 1000 milliards en dix ans (1500 à 1800 milliards disent d’autres), et l’accord est fait dans des négociations entre représentants démocrates et républicains, avec un « conseil des douze », une sorte de conseil à la vénitienne, conseil du doge, composé de six élus du Sénat et six de la Chambre des représentants. On a donc quelque chose qui passe par dessus les représentants du Congrès. De plus, si ces coupes sont décidées, on les présentera au Congrès. S’il dit « oui », elles seront appliquées. Et s’il dit « non », on imposera d’autres coupes d’un montant équivalent. C’est-à-dire que le principe du consentement du Congrès à la dépense est violé. Le principe d’équilibre des pouvoirs, le fameux « checks and balances » aux Etats-Unis, est violé. Comme en Europe – et la cour de Karlsruhe en Allemagne le dira bientôt – est violé le traité de Lisbonne, un traité qui lui-même visait à imposer l’austérité, comme sont violés tous les textes fondateurs de l’Europe. Est violé le dessein, le but que poursuit l’Europe. Est violé le préambule même de notre constitution, le préambule du 27 octobre 1946, repris dans celui de la Ve République.
Nous sommes à la fin d’une partie. Cette règle du jeu ne peut plus durer. A un niveau plus élémentaire, plus immédiat, on ne peut pas continuer à voir les banques prendre de l’argent sur les comptes des particuliers sans leur consentement et sans consulter une autorité judiciaire. Elles le font sous différents prétextes, imposant depuis la fin des années 1990 le paiement de différentes choses qu’on ne payait pas avant.
On est donc dans une situation où tous les principes sont violés et où le changement est absolument indispensable pour rétablir l’espérance, rétablir un sens de l’avenir.
C’est là que Glass-Steagall, dont nous avions nous-mêmes l’équivalent en 1945, avec la séparation des banques d’affaires, des banques de dépôt et de crédit et des sociétés d’assurance, doit être rétabli.
On doit dire aux banques d’affaires : Messieurs, vous avez spéculé. Si vous avez gagné, ce qui n’est pas le cas, tant mieux pour vous. Mais si vous avez perdu, c’est vous qui perdez ! Et on leur renvoie dans la figure, si j’ose dire, leur dette et les Etats ne les prennent pas en charge. Les Etats ne s’empoisonnent plus pour sauver les banques d’affaires tout en coulant les peuples.
Il faut arrêter cela. Et dire clairement ce qu’il en est. Or je ne vois personne l’expliquer, personne vous le dire.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, en ce mois d’août, j’interviens, en soulevant une fois de plus cette question fondamentale, mais cette fois-ci, c’est une question littéralement de vie ou de mort, que je soulève pour que vous compreniez qu’il y a une autre solution, une autre orientation : que l’argent aille de nouveau aux infrastructures pour le futur, à des plateformes avec des technologies nouvelles, des moyens nouveaux de développement. Que l’argent aille là et non pas à un renflouement permanent d’un système financier destructeur et prédateur. C’est cette politique que nous devons suivre et recadrer.
Pour cela, il faut aussi une révolution des esprits, c’est-à-dire que ceux qui m’écoutent prennent confiance en eux-mêmes, en se penchant sur ces questions fondamentales, en n’étant plus paresseux. J’ai envie de vous dire : vous avez été trop paresseux, vous avez été mal informé, vous avez été victime de bourrage de crâne. Mais vous avez été trop paresseux aussi. Vous ne vous êtes pas penché sur ces problèmes fondamentaux, sur ce qui assure un futur à vos enfants et à vos petits-enfants. Toute cette idéologie pessimiste : « On ne peut pas faire autrement », « on ne peut pas faire une politique différente », « occupez-vous de vos affaires », « comme tu le sens », « sans souci »… Toute cette politique doit être rejetée une bonne fois pour toutes et l’on doit articuler une politique vers un futur pour nos enfants, pour nos petits-enfants, pour les générations à naître.
La Constitution est là. Nous devons l’appliquer, en particulier son préambule, et faire une politique qui soit vraiment au service du bien commun. C’est ma bataille aujourd’hui, et je la mène parce que les autres ne le font pas.