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Grândola vila morena

lundi 4 mars 2013

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« Grândola ville brune
Terre de fraternité
Le peuple est celui qui commande le plus »

C’est ce chant qu’ont repris en choeur les spectateurs à une séance du Parlement portugais pendant une intervention de leur Premier ministre. Puis il s’est répandu dans tout le pays comme une traînée de poudre, ce chant qui déclencha la Révolution des Oeillets lorsqu’il fut diffusé à la radio le 25 avril 1974, mettant fin là-bas à la longue nuit de la dictature. J’y vois l’emblème d’un peuple européen qui refuse la nouvelle tyrannie, celle que les marchés lui ont vendue sous le nom d’Europe comme on vend une viande frelatée.

Autre signe prémonitoire, le président islandais Olafur Grimsson a montré à Davos comment son pays, ne considérant plus les banques « comme les saintes chapelles de l’économie moderne », s’est libéré de leurs chaînes et en a tiré avantage. Les « gens ordinaires n’ont plus eu à payer pour leurs échecs au moyen des impôts et de l’austérité », et les secteurs innovants de l’économie n’ont plus été dépouillés de leurs meilleurs cadres par le secteur financier. « Même un secteur financier qui marche bien est ainsi une mauvaise nouvelle », a-t-il conclu.

Le contraste est terrible avec notre pays. Ici le gouvernement socialiste s’est soumis au pouvoir de banques qui ne sont même plus françaises, mais des produits de la mondialisation financière installés à la City et dans les paradis fiscaux. La réforme bancaire de M. Moscovici fournit la preuve patente de cette soumission. Ni la majorité ni l’opposition de droite ne s’interrogent sur le bien fondé de l’Europe de l’euro et son rôle de courroie de transmission des marchés. Quant aux autres, leur opposition est idéologique et non constructive : ils feignent de croire qu’il y a des issues qui mènent au passé et à un repli national rouge ou bleu marine.

Hélas, intellectuellement et moralement le Parti socialiste s’éteint depuis 1983. Sa mission émancipatrice ayant pris fin, il n’en reste que des écuries ou des clientèles. Et le rideau fumigène des questions sociétales pour tenter de masquer les dérobades. L’opposition, elle, a jeté par-dessus bord les derniers restes du gaullisme et végète dans une foire aux vanités sans horizon. Bercy règne par défaut, en servant sa clientèle financière.

Il ne faut donc pas s’étonner si, selon l’enquête Ipsos sur nos « nouvelles fractures », 87 % des Français jugent qu’on a « besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ». Les deux tiers des jeunes, selon un sondage de l’Institut Viavoice, ont le sentiment de n’être pas pris en compte et pensent qu’ils vont vivre moins bien que leurs parents. Ils ne croient ni aux associations, ni aux actions culturelles, ni à l’action sur les réseaux sociaux ni à l’action syndicale et aux grèves. Ils croient cependant encore à l’action politique.

Alors, nous avons le devoir de répondre. Le Portugal et l’Islande sont voisins. Ici même l’audace et l’imagination créatrice peuvent inspirer un sursaut. Notre pire ennemi est le pessimisme et le poids de l’esclavage mental d’un ordre établi qui nous prive de notre part d’humanité. Celle-ci ne peut renaître qu’en redonnant au peuple le sens du futur, en ouvrant les pistes qui mènent à un changement. Non pas pour vendre un code, un catéchisme ou une ligne politique, mais pour éveiller une nouvelle manière de penser et d’explorer, pour donner les moyens de sortir de la société de défiance dans laquelle nous sommes en train de sombrer.

La seconde phase de la crise, bien plus terrible que la première, frappe à la porte. La question est simple : combien serons-nous pour répondre ?

Jacques Cheminade


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