Aujourd’hui, l’économiste comportementaliste Jean Tirole, président de la Toulouse School of Economics, s’est vu attribuer le prix Nobel d’économie. Voici ce que Jacques Cheminade avait dit de sa méthode en 2009 (texte paru dans le dossier spécial de Solidarité et Progrès sur le comportementalisme).
Jean Tirole et le comportementalisme économique français
Le jeudi 9 octobre 2008, Didier Migaud, Président de la commission des finances, auditionne à l’Assemblée nationale trois experts sur la crise financière internationale. Il s’agit de Michel Aglietta, de l’École de la régulation, de René Ricol, qui sera nommé par Nicolas Sarkozy médiateur entre les banques et les entreprises en difficulté et de Jean Tirole.
Nous retiendrons ici les interventions de Jean Tirole. Celui-ci intervient de manière significative par deux fois, en faisant valoir sa compétence internationalement reconnue. Dans la première, il déclare : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain... Il n’est absolument pas question de revenir sur la titrisation et les produits dérivés... Ils ont eu des effets très positifs, il faut seulement en corriger les excès et s’engager dans des débats très techniques pour que les abus ne se renouvellent pas ». Autrement dit, circulez, profanes, il n’y a rien à voir, laissez nous autres experts prendre soin des choses. Un peu plus tard dans son intervention, il ajoutera : « réguler les hedge funds ce n’est de toutes façons pas possible, oublions ça ».
Qui est donc ce chevalier blanc d’un système qui a conduit au désastre dans lequel nous sommes plongés ?
Jean Tirole est né le 9 août 1953. Il est directeur de la Fondation Jean-Jacques Laffont – Toulouse Sciences économiques, directeur scientifique de l’Institut d’Économie Industrielle (IDEI) à Toulouse. Il est également directeur de Toulouse sciences économiques (TSE). Il est, selon le magazine Challenges du 11 décembre 2008, nobélisable « grâce à ses 160 articles publiés dans les meilleures revues anglo-saxonnes ». Médaille d’or du CNRS 2007, distinction qu’un seul économiste a obtenu avant lui, Maurice Allais, lui-même prix Nobel de l’économie. Jean Tirole n’est donc pas n’importe qui, c’est un monument universitaire. Ce monument repose sur le socle des Fondations et des Universités américaines qui ont promu dès le départ les thèses du comportementalisme économique.
Polytechnicien, il est entré en 1976 dans le corps des Ponts et Chaussés qui a, depuis le début du XIXe siècle, une forte tradition en matière de recherche économique, puisque cinq présidents de la société mondiale d’économétrie sont issus de ses rangs, parmi lesquels on comptera Jean Tirole en personne à fin des années 1990. Tirole commence donc par une démarche mathématique en économie, qui n’est pas fondée sur l’économie réelle, productive, mais sur l’étude statistique d’agrégats évalués en termes monétaires.
Ainsi adoubé, Tirole part aux États-Unis en 1978, où il intègre le Massachusetts Institue of Technology (MIT). Il débute sa thèse sous la direction d’Eric Maskin, qui sera prix Nobel de l’économie en 2007, qui « lui fait entrevoir les perspectives de recherche en théorie des jeux et de l’information ». Ce domaine se trouve défriché par des mathématiciens dont l’ambition est de modéliser et de prédire les stratégies de différents acteurs économiques entreprises, consommateurs, organismes de régulation...). Convaincu de la puissance de ces théories, le jeune Tirole va s’efforcer d’en faire « un des piliers de l’économie moderne ».
Son innovation est d’aller à contre-courant des études abstraites en inscrivant ses travaux théoriques dans des problématiques concrètes.
Il rentre en France en 1981 et débute une carrière de chercheur. Il rentre au Centre d’enseignement et de recherche en analyse économique (Ceras), un laboratoire commun au CNRS et à l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Il débute alors sa collaboration avec Jean-Jacques Laffont, à la réputation déjà établie en matière des théories de l’information et des choix publics.
Jean Tirole retourne dès 1984 au MIT où il estime « enseigner dans des conditions idéales », là où se trouve la source d’un vrai pouvoir. Il fréquente Franco Modigliani et Robert Solow, qui seront tous deux prix Nobel en 1985 et 1987.
Il crée en 1990 l’IDEI, en vue de faire de l’Université de Toulouse 1 l’un des meilleurs pôles économiques européens, financé en majeure partie par les entrepreneurs de la « nouvelle économie ».Selon le site EcoPhD, qui classe les universités afin d’aider les étudiants à choisir leur Doctorat, le pôle Toulouse sciences économiques est classé 2e mondial dans la recherche en économie industrielle et 1er mondial en théorie des incitations, 1er européen en économie de l’entreprise, en économie de l’environnement ainsi qu’en économie publique et politique. On peut donc, si on mesure les choses à l’aune de la réputation et du pouvoir universitaire, comprendre l’arrogance académique de M. Tirole.
Il est l’auteur de 160 productions scientifiques dans les grandes revues internationales, d’une dizaine de livres, de près d’une cinquantaine de « keynote lectures ». Il dispose d’un poste permanent de professeur invité au MIT. En effet, selon lui, « conserver un pied au MIT est primordial, car la recherche en économie s’effectue principalement aux États-Unis ». Il passe tous ses étés à Cambridge (Massachusetts) en famille, où il poursuit « des thématiques de recherche avec ses collègues du MIT, de Harvard et de Princeton, tout en assurant un cours de doctorat. »
L’univers économique de Jean Tirole est composé d’un ensemble de comportements qu’il s’agit d’analyser. Pour cela, il a recours à la théorie des jeux et à la théorie de l’information.
La théorie des jeux représente et prédit les stratégies des différents acteurs économiques en situation d’interdépendance. Elle évalue les positions des uns et des autres autour de la table du jeu économique. La théorie de l’information rend compte de la manière dont ces mêmes acteurs usent des informations privilégiées pour parvenir à leurs objectifs. On voit bien ici comment cette combinaison peut être utilisée pour « anticiper » sur les orientations des marchés financiers et l’emporter, à condition que le « grand jeu » ne soit pas remis en cause.
Jean Tirole étend donc ses travaux, pour prévoir et contrôler, au domaine des sciences sociales. Il associe ainsi psychologie et sociologie à sa conception de l’économie. En sociologie, il étudie les « stéréotypes de réputation et de persuasion ». Avec son ami l’économiste de Harvard Philippe Aghion, il a « mis en lumière et donné un contenu économique à la notion d’autorité réelle », en illustrant les situations où ce type d’autorité a de l’importance. Dans son travail avec Bernard Caillaud, il généralise les études sur la qualité de la communication et la nature des messages aux décisions prises par un groupe. Il convient pour l’agent, selon son approche, de bien cibler les personnes dans le groupe des décideurs qui, une fois convaincues, emporteront l’accord, unanime ou majoritaire, des autres membres.
En psychologie et économie, Jean Tirole mène depuis maintenant plus de dix ans des recherches, essentiellement en collaboration avec Roland Bénabou, qui enseigne à Princeton mais est également passé par le MIT où il a été lui aussi professeur d’économie entre 1988 et 1994. Tirole et Bénabou se proposent « d’enrichir le modèle standard de l’économie » en introduisant des aspects psychologiques nouveaux : altruisme, utilité d’anticipation, mémoire imparfaite...
Pour ce faire, ils modélisent les informations que les agents s’auto-transmettent, la manière dont ils analysent ces informations ainsi que les décisions qu’ils prennent. Le but est de voir en vertu de quoi un individu agit et comment on peut le faire agir en fonction de la connaissance de cette disposition comportementale. Le premier article de Tirole et Bénabou a été ainsi focalisé sur les problèmes de volonté, représentant l’auto-manipulation des croyances comme « l’équilibre bayesien parfait » (on appelle équilibre bayesien une combinaison entre équilibre parfait et traitement rationnel de l’information) d’un jeu entre les différentes incarnations d’un même individu. Il s’agit d’un jeu, selon les auteurs, dans lequel l’individu tente d’oublier des informations nuisibles à la confiance en soi. L’individu manipule ses propres croyances, tout en pouvant être en même temps conscient qu’il a une mémoire sélective. Mais il faut chercher les raisons qui peuvent pousser un individu à se mentir à lui-même.
Trois raisons sont mises en avant par Tirole et Bénabou : la peur du « manque de volonté et de l’éventuelle procrastination », l’utilité d’anticipation des consommations futures et enfin, « la consommation de croyances que l’on a sur soi-même (les individus veulent se sentir intelligents, beaux, généreux et se faire adopter comme tels) ». Le facteur de « réputation » est considéré par eux d’autant plus important que le comportement est public, surtout devant des personnes dont on recherche l’estime. Dans Identity, Dignity and Taboos : Beliefs as Assets (Identité, dignité et tabous : les croyances comme actifs), les deux compères vont même jusqu’à élaborer le concept de Mutually Assured Delusion (Illusion mutuelle assurée) dans la vie socio-économique, avec la notion de « groupthink », c’est-à-dire de pensée collective pouvant être basée sur la tromperie ou la négation de la réalité.
Nous pourrons démontrer, en reprenant une étude la fondation française Terra Nova (Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons pour la France – janvier 2009) que la campagne de Barak Obama et son personnage public même – un Narcisse fonctionnel et souriant – ont été façonnés en application de ces études de comportement par les amis comportementalistes de MM. Tirole et Bénabou. Ces méthodes viennent maintenant en France et dans toute l’Europe.
Basées sur quoi ? Remarquons que Jean Tirole et Olivier Blanchard ont écrit ensemble un texte sur la « Réforme du Fonds monétaire international ». Or on retrouve aujourd’hui Olivier Blanchard « chief économist » du FMI, ayant présidé avec Dominique Strauss-Kahn à l’organisation du G20 de Londres qui a donné à l’institution de Washington les premiers grands moyens pour qu’elle joue le rôle de « chien de berger » dans la « gouvernance mondiale ».
Blanchard reconnaît lui-même avoir « contribué à mieux faire comprendre les positions des uns et des autres », soit en clair avoir joué un rôle déterminant, avec Lawrence Summers, dans le retrait de toute allusion au Nouveau Bretton Woods.
Inconnu en France, hormis dans la communauté des économistes, Blanchard dispose d’un des réseaux les plus puissants du monde, associé à la « nouvelle école » comportementaliste et néo-keynésienne. Professeur...au MIT depuis le milieu des années 1980, où il a rencontré Tirole, il a travaillé avec les équipes des économistes qui « conseillent les grands de ce monde ».
Blanchard connaît très bien Tim Geithner, le secrétaire au Trésor de l’administration Obama, et il est le très proche ami de Christina Romer et de Larry Summers, l’homme qui conçut le démantèlement du Glass Steagall Act de Roosevelt en 1999 et défendit, tout comme Jean Tirole, mis dans une position de pouvoir bien plus haute, le recours aux produits dérivés et aux hedge funds.
L’histoire devient ainsi complète. Blanchard a soutenu le programme de Nicolas Sarkozy pendant l’élection présidentielle française, bien que venant d’un environnement socialisant. DSK et Blanchard, deux français à la tête du FMI ? Personne à Wall Street ou à Londres n’y trouve à redire, et Jean Tirole lui-même commente : « Au MIT, vous n’êtes plus ni français, ni américain, ni chinois. Il n’y a plus de nationalités. C’est la légitimité professionnelle d’Olivier, pas son passeport, qui lui a fait décrocher ce poste ».
Blanchard a été patron pendant cinq années du Département d’économie du MIT. Jean Tirole raconte que beaucoup d’étudiants de Harvard venaient eux aussi écouter les cours de Blanchard.
Poussons encore les choses un peu plus loin. L’on remarque que Jean Tirole a bénéficié entre 1985 et 1987 d’un Sloan Fellowship puis d’un Ford foundation grant. Aujourd’hui, il fait partie avec 29 autres économistes de la Behavioral Economics Roundtable (Table ronde des économistes comportementalistes) de la Russell Sage Foundation, avec Roland Bénabou. Ces deux signes ne peuvent tromper, si l’on applique les critères mêmes d’investigation de Tirole et de Bénabou. Le Projet d’une économie comportementaliste a été dès le départ organisé par la Alfred P. Sloan Foundation et la Russell Sage Foundation. Daniel Kahneman, fondateur de l’École, rencontra le vice-président de la Sloan Foundation à Londres en 1982. Wanner devint après que leur collaboration fut entamée directeur (chief executive) de la Russell Sage, et lança le projet comportementaliste dans toute son ampleur.
Le pedigree du bienfaiteur, Alfred P. Sloan est révélateur : en 1934, avec John Raskob, il avait fondé l’American Liberty League, qui organisa l’agitation pro-mussolinienne aux États-Unis et les attaques les plus féroces contre Franklin Delano Roosevelt et son New Deal. L’actuel directeur des programmes de la Sloan Foundation est Michael Teitelbaum, l’ancien président la Société américaine d’eugénisme. Là on retrouve les mêmes affinités comportementales. Rappelons que John Maynard Keynes fut directeur de l’Eugenics Society britannique entre 1937 et 1944.
Il est dans ce contexte inquiétant de voir que Tirole suit de près, suivant ses propres affirmations dans sa Theory of industrial organization, les développements des neurosciences qui permettra peut être un jour d’expliquer les décisions économiques.
Ici transparaît la conception de l’être humain de Tirole et de ses amis. Il s’agit d’un animal social, dont on peut mettre en équation les comportements collectifs et individuels, pour qu’une élite d’experts le conduise là où il faut, sans qu’il se mêle de ce qu’il ne peut pas comprendre.
Nous avons démontré par ailleurs que ce lieu social est un fascisme financier, inéluctable si l’on maintient tous les instruments que Tirole et ses amis veulent maintenir : hedge funds, titrisation, produits financiers dérivés, avec une police pour en contrôler les abus.
Tout cela est d’autant plus grave que la « révolution comportementale » se trouve installée au cœur de l’Administration Obama.
David Brooks, éditorialiste vedette du New York Times, le reconnaît avec un sentiment complice : « La crise financière est l’occasion pour les économistes du comportement, qui introduisent de la psychologie sophistiquée dans la champ des politiques publiques, de promouvoir leurs théories. Ces types peuvent expliquer de façon sensée pourquoi tant de gens se sont trompés dans les risques qu’ils prenaient ».
Tout serait donc une question de mauvais comportement. Les économistes libéraux et néo-libéraux s’étant de toute évidence trompés, place aux nouveaux comportementalistes du nouvel âge économique !
Il est vrai que Pascal Salin, dans son épais ouvrage intitulé Libéralisme, ou ses semblables, ne peuvent plus convaincre personne de sensé.
M. Salin rejette toute autorité de l’État et continue à prôner la privatisation à tout va, même des routes, comme un perdant à la roulette qui essaie de se refaire en niant la réalité de ses pertes. Il est vrai que M. David Thesmar, professeur à HEC, ne peut pas être pris au sérieux. Quinze jour avant la crise des subprime, en 2007, alors que LaRouche annonçait dans un célèbre webcast le début de la fin, il faisait dans Les Echos l’apologie de la finance de marché : « Grâce à des instruments innovants comme la titrisation et les dérivés de crédit, chaque risque de défaut, au lieu d’être porté par une seule banque, est ventilé par un grand nombre d’acteurs ». On a vu où nous a mené le vent du ventilateur. Alors, face à cet échec, l’oligarchie fait appel à la police secours des néo-keynésiens corporatistes et des comportementalistes musclés, en essayant parfois de peindre sur leur équipage les couleurs de Roosevelt. L’un des pionniers du comportementalisme, Richard Thaler, se trouve donc à la Maison-Blanche, avec Lawrence Summers et Peter Orszag, et peut déclarer : « Les économistes autour de Barak Obama sont jeunes, et marquent un intérêt plus fort que leurs aînés pour ces théories ».
Il est clair qu’il faut les chasser de là où ils sont, c’est-à-dire de la Maison-Blanche, pour que des économistes plus responsables les remplacent sans lubies sur la théorie des jeux, sur la théorie de l’information et sur le triomphe de la volonté analysé sociologiquement et psychologiquement. Il est d’une extrême urgence que des hommes ayant un sens de ce qu’est la création humaine et ses applications technologiques dans l’industrie et l’agriculture, pour servir le bien commun, les remplacent.
C’est ce pourquoi Lyndon LaRouche et ses amis se battent aujourd’hui aux États-Unis. En France et en Europe, notre engagement est d’éviter la contamination.