S’exprimant devant une cinquantaine de militants le jeudi 30 septembre à Paris, Jacques Cheminade a annoncé qu’il mettrait la bataille pour les grands travaux en Afrique et ailleurs, au centre de sa campagne présidentielle, en particulier le projet Transaqua qui rencontre un regain d’intérêt. A une question de la salle sur la responsabilité historique de la France vis-à-vis de l’Afrique, Cheminade a répondu :
« Bien sûr aujourd’hui, quelqu’un comme Martine Aubry évoque la question du "Care" [prendre soin d’autrui]. Mais à l’époque [de l’Empire français], ces gens-là [ceux qui, à l’opposé de l’esprit colonial, défendaient des grands projets pour aménager l’Afrique] pensaient vraiment qu’il fallait faire quelque chose pour les Africains. Alors que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, je vous l’assure, n’y pensent pas du tout. Je les ai vus à l’œuvre, je les connais. Certains peuvent "avoir un sentiment", comme Chirac qui avait un sentiment pour l’Afrique, tout en cultivant en même temps des amitiés avec tous les oppresseurs sur place. Cela rentrait dans le contexte du système de la "France-Afrique" qui persiste aujourd’hui sous une autre forme. C’est un système où l’on considère qu’il y a des intérêts français, des intérêts financiers, des intérêts de banque, les intérêts de Bolloré et d’autres, mais pas l’intérêt du développement d’un territoire. On n’a pas ce sens, ni en France ni en Afrique. Les François-Elie Roudaire (1836-1885), les Adolphe Duponchel (1824-1903) ou même les Jules Verne (1828-1905) avaient un intérêt pour ce développement de l’intérieur de l’Afrique. Ils ont perdu la bataille et la sanction de leur défaite fut la boucherie de la Première Guerre mondiale.
Ce qu’a fait la France, à l’époque, c’est qu’au lieu de soutenir ces gens-là, elle est devenue comme l’Angleterre une puissance financière qui prêtait au monde. Il existait cependant une autre vision. C’est autour de Paul Cauwès (1843-1915) qu’on trouve Jules Méline (1838-1925, président du Conseil), Jean Jaurès ou encore Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904). C’était l’idée qu’ils avaient en commun, tout en étant d’opinions politiques différentes, voire très différente : pour eux, le développement intérieur de la France devait correspondre au développement de l’Afrique. Ils pensaient que pour cela, il fallait protéger les productions africaines comme il fallait protéger les productions françaises, à condition de créer, dans les deux cas, un marché intérieur. Voilà leur idée. C’était le concept central de ce qu’on appelait à l’époque l’école de l’Economie nationale, qui était celle de l’économiste germano-américain Friedrich List (1789-1846), de Henry Carey (1793-1879), d’Erasmus Peshine Smith (1814-1882) aux Etats-Unis, etc. C’étaient tous des économistes pour qui l’économie physique, l’économie de la production, était la chose à soutenir. Ils étaient anti-malthusiens, y compris pour l’Afrique. Ils ne pensaient pas que les peuples des pays de sud se développaient trop vite. Il s’agissait de donner aux Africains les moyens de vivre mieux en se développant. Ces ingénieurs étaient issus d’un courant d’idées en France, le courant de l’Ecole polytechnique et du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), qui a malheureusement fini par prendre la forme d’une caste de grands prêtres de la science, dont ceux qui sortent actuellement deviennent des administrateurs. Le CNAM a gardé un peu cette vocation, mais lorsqu’on sort aujourd’hui de Polytechnique, on vous a convaincu que l’idéal, c’est de devenir administrateur ou banquier, comme quand on sort de l’Ecole nationale d’administration (ENA) ou comme les avocats d’affaires, qui sévissent un peu partout. En tous cas, ces gens-là avaient une idée complètement différente du monde. Pour eux, il fallait créer les conditions, en Afrique, en Asie et ailleurs, permettant un développement qui amènerait ces régions du monde au niveau de cohérence avec l’Europe et à un niveau de vie plus élevé. »
Et la France s’engage dans le même processus que l’Angleterre, un processus très bien décrit par Rosa Luxemburg. L’Angleterre prête de l’argent à l’Egypte pour qu’elle produise de la canne à sucre, et si cela ne donne pas de bons rendements, on prête pour le coton. Résultat, le pays s’endette à tout va alors que les prix de la canne à sucre et du coton s’effondrent. En fin de comptes, l’Egypte se retrouve sous la coupe des Anglais. La France se met à faire la même politique, en prêtant à l’Argentine, en prêtant à la Russie – les fameux emprunts russes – en prêtant un peu partout dans le monde et en organisant une entreprise de pillage dans laquelle on trouve la Banque de Paris et des Pays-Bas en Tunisie ou encore la Banque d’Indochine. Il y a donc eu cette approche d’une France financière qui prête de l’argent et ramasse des intérêts dans ces pays. Mais on n’accompagne pas le développement de ces pays. On ne va pas suivre comment cet argent est mis au travail, mais on essaie seulement de faire du profit en achetant bon marché leurs produits. C’est assez semblable à ce qu’on fait avec la Chine aujourd’hui. On a laissé la Chine se développer en exploitant en partie sa propre main-d’œuvre. Suite à cela, elle a réuni des ressources en exportant sa production. Tout en disposant de ressources considérables, la Chine se retrouve sans développement intérieur et manque d’infrastructures pour permettre à toute sa population d’accéder au niveau de vie amélioré dont profitent tout au plus 100 millions de Chinois, qui ont bénéficié du développement actuel. La Chine a donc dû suivre cette politique. C’est nous, les Occidentaux, qui avons créé les conditions où la Chine s’est vu obligée d’opter pour une telle politique. Elle n’avait pas le choix. Elle s’est insérée dans le système en faisant cette politique-là.