Bref entretien avec Jacques Cheminade au Salon international de l’agriculture de Paris, le 28 février 2019.
Question : Que pensez-vous de la loi EGALIM, la loi sur l’agriculture et l’alimentation ?
La loi EGALIM était conçue pour protéger le producteur, lui assurer une meilleure situation. Et bien, c’est un échec ! Pourquoi ? Parce qu’on a essayé d’inclure dans une économie de marché, dans les conditions de la concurrence, des mesures qui protègent un des éléments dans cette économie : celui qui produit, celui qui apporte vraiment ce qui est nécessaire aux êtres humains sur le marché.
On a créé un modérateur pour cela, en même temps on a mis des prix qui devaient être plus élevés, et au final, la grande distribution avec les 4 grandes centrales d’achat, se sont trouvées face à des producteurs qui eux, sont en très grand nombre et sont dispersés. D’où, la situation de monopole ! Et les grandes centrales ont continué à exiger une baisse des prix aux producteurs.
La loi n’a pas été du tout respectée. M. Macron pensait que cette loi rétablirait un équilibre. Certes, elle a rétabli une certaine transparence, mais dans cette transparence, la situation des producteurs ne s’est toujours pas améliorée. Dans ce contexte, la loi EGALIM n’a pas été une loi d’égalité, mais une loi qui a gelé une politique qui était en faveur du financier, mise en place dès les années 1990, avec pour conséquence la création d’une situation où depuis plus de 30 ans, les exploitations en France ont triplé de taille, alors qu’il y a 6 fois moins d’agriculteurs. C’est la disparition programmée d’un monde agricole.
Alors on pourrait dire « oui, mais on a les moyens techniques, on a les moyens du futur, on a les drones, on a les capteurs, on a tout ce qui permet l’agriculture du futur... » Oui, mais cette agriculture du futur doit être au service des hommes et pas au service d’un gain financier de plus en plus à court terme, et d’un jeu sur les marchés financiers. Un jeu où les agriculteurs dont les produits sont cotés sur les marchés internationaux doivent suivre les prix sur les marchés internationaux, et se convertir en véritables opérateurs pour pouvoir bénéficier de meilleures conditions. Par exemple, si vous avez besoin de maïs pour les bêtes que vous élevez, vous avez besoin de savoir d’avance quel sera son prix, donc vous jouez sur ces prix sur le marché de Chicago.
Cette économie de jeu est toujours en place. Ce n’est pas une économie agricole, avec la spécificité de l’agriculture, qui est de produire pour des êtres humains, pour qu’ils mangent bien et qu’ils aient une bonne vie.
Ce qui nous amène à la deuxième question : en quoi le marché agricole ne peut-il pas être un marché comme les autres ?
On a mis l’agriculture dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), on a mis l’agriculture sur les marchés financiers. C’est aberrant ! Car l’agriculture à pour finalité de permettre aux êtres humains de consommer dans de bonnes conditions, et aux producteurs de produire également dans de bonnes conditions. C’est donc un accord entre agriculteur et consommateur.
Mais dans le système actuel, les intermédiaires sur les marchés financiers et commerciaux ont tous tiré la couverture à eux. Les gouvernements n’ont pas voulu, ou n’ont pas su l’anticiper. En fait ils ont accompagné ce processus. Ce qui fait qu’aujourd’hui, lorsqu’un jeune agriculteur veut s’installer, il doit mettre tous ses efforts pour savoir comment il pourra se protéger, comment il pourra opérer, comment il pourra obtenir une garantie de prix, et que tout ce qu’il obtient pour son activité vient de subventions ! C’est aberrant ! Son travail ne sert que pour le reste : les intrants, les robots pour désherber autour des salades par exemple, les robots pour la traite etc... Tout cela est financé par les les revenus de son travail, mais son travail lui-même est subventionné sur le marché, par l’intermédiaire d’une politique agricole commune, qui est devenue... même pas une politique agricole à l’activité, mais à l’hectare.
Donc on marche vraiment sur la tête ! On ne conçoit pas l’agriculture comme un moyen d’assurer un avenir à ceux qui consomment ce qui est la chose la plus nécessaire à la vie, mais comme une sorte de commerce, comme une sorte de marché sur lequel on joue, c’est une aberration totale. L’Europe n’a pas su s’opposer à cela, et le gouvernement français n’a pas su prévoir. On a dit aux agriculteurs « il faut produire, il faut produire, il faut produire », alors les agriculteurs ont produit, mais on s’aperçoit finalement qu’on n’est plus dans un monde où c’est la production qui est favorisée, mais le commerce et le pari sur les prix.
Tout cela exige un changement, un changement très profond. Les deux moments où l’on est allé dans la mauvaise direction, ont été en 1971, lorsque le dollar est devenu une monnaie multinationale, et en 1986 avec l’acte unique en Europe, puis tout ce qui a suivi.
C’est cela qu’il faut renverser, il faut une autre politique, qui aille dans un sens complètement opposé, qui soit au service de l’homme, de son activité créatrice, et de son agriculture.