La France avec les yeux du futur

L’éducation, une nouvelle frontière

« Comment enseigner quand toute la société est pourrie de mensonge (…) Quand une société ne peut pas enseigner, c’est que cette société ne peut pas s’enseigner, c’est qu’elle a honte (…) Une société qui ne s’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas, qui ne s’estime pas, et tel est précisément le cas de la société moderne. »

Charles Péguy, Pour la rentrée, le 11 octobre 1904

« On peut alors adopter dans leur exposition [des découvertes scientifiques, Nda] deux méthodes différentes ; l’une consiste à énoncer la loi et à la démontrer promptement dans son expression sans s’inquiéter de la manière dont elle s’est fait jour ; l’autre, plus historique, rappelle les efforts individuels des principaux inventeurs , adopte de préférence les termes même dont ils se sont servis, indique leurs procédés toujours simples, et essaie de reporter par la pensée l’auditeur à l’époque où la découverte a eu lieu. La première méthode voit avant tout le fait, la loi, son utilité pratique. Elle masque aux yeux des jeunes gens la marche lente et progressive de l’esprit humain. Elle les habitue aux révolutions subites de la pensée et à une admiration sans vérité de certains hommes et de certains actes. La seconde méthode illumine l’intelligence. Elle l’élargit, la cultive, la rend apte à reproduire par elle-même, la façonne à la manière des inventeurs. »

Louis Pasteur, Rapport sur l’utilité de la méthode historique dans l’enseignement

Ce que réclame de nous le futur, le service que nous devons aux générations à venir, c’est des hommes et des femmes ayant retrouvé confiance en eux-mêmes parce qu’ils auront développé cette qualité propre à l’être humain qu’est la créativité, la capacité de changer le monde de manière intelligente et légitime. Ce futur doit nous porter aux frontières de la connaissance, aux frontières d’un monde pour l’instant limité. En ce qui concerne la France, cette exigence du futur doit nous faire retrouver ce qui, dans la longue histoire de notre pays, a été une impulsion pour le progrès sous toutes ses formes, social comme scientifique, des arts comme de l’industrie. Car s’il est vrai que la République est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, alors c’est une condition sine qua non que le peuple accède à une éducation du plus haut niveau possible, lui permettant de comprendre les enjeux cruciaux de son époque et d’agir en conséquence, notamment en étant capable de se doter d’un gouvernement qui ne trahira pas la République.

En conséquence, l’éducation que je défends est celle qui concourt à l’émancipation des individus et à la formation d’une capacité de jugement indépendante qui doit s’articuler tant sur le développement des capacités intellectuelles que sur la formation du caractère et du sentiment.

Depuis plus de vingt ans, l’environnement de l’école s’est dégradé. Les vocations d’enseignants refluent. L’école ne sait pas gommer les différences dues à la naissance ou au lieu d’existence. Elle ne parvient pas à prendre en compte les changements des modes de vie : accès à la toile, rupture entre les métiers des années récentes et ceux d’aujourd’hui. Bref, c’est le droit à l’avenir qui est en cause.

La conception actuelle de l’éducation, purement utilitariste, se donne pour horizon de dispenser un diplôme qui lui-même est censé être un sésame pour l’emploi. La rationalité ultime de l’éducation est donc bien le marché du travail, lequel repose sur une conception ultra-libérale du travail, en totale opposition à celle du travail créateur. Dans cette conception, le diplômé est celui qui a prouvé qu’il savait donner les réponses qu’on attend de lui mais, le plus souvent, placé devant un problème nouveau où sa « grille » de compétences ne lui est d’aucun secours, il sera incapable de trouver par lui-même une quelconque solution. Il a été formaté pour jouer le rôle d’un opérateur dont le savoir se limite à sa fonction et ce, dans un système incapable de générer du travail, comme l’atteste le nombre de jeunes diplômés ou surdiplômés sans emploi. Est-ce bien surprenant ? Après tout, entre l’opérateur considéré comme un simple engrenage et une machine, la machine est toujours gagnante avec, à la clef, de substantiels profits et si peu de contestation…

Ajoutons que le système actuel est tout à fait capable de prodiguer une éducation qui intègre bien dans le système dominant ceux qui ont les moyens de payer et que l’on destine à constituer la classe dirigeante de demain. En bref, c’est une éducation taillée sur mesure pour satisfaire les besoins de l’économie de marché et de ceux qui la dirigent, et dont il nous faut sortir de toute urgence.

Cela suppose de sortir d’un enseignement qui dispense des savoirs morts. Ce que j’entends par là, c’est un enseignement où l’on demande à l’élève d’apprendre des formules ou des savoirs tout faits sans en faire la découverte. Il n’est certes pas inutile de connaître certaines formules en tant que de besoin, mais celles-ci ne sont, après tout, rien d’autre que le squelette desséché de ce qui fut à un certain moment une découverte toute fraîche et neuve. Il convient donc d’amener l’élève à revivre cette découverte par une approche vivante lui permettant de faire l’expérience concrète de la connaissance et de s’en approprier les clefs.

Tels sont les principes sur lesquels doit reposer l’enseignement de la République. Le défi ne sera pas seulement du côté des élèves mais aussi du côté des enseignants, qui devront eux-mêmes retrouver le chemin de la découverte. Car peut-on vraiment communiquer à la jeunesse l’enthousiasme de la découverte si l’on est soi-même à répéter année après année les mêmes cours jaunis et à noter pour classer, ou encore si ce que l’on enseigne se résume, par programmes scolaires interposés, à un conditionnement au service d’une « pensée » opposée à l’intérêt même de la Nation.

La société qui communique à ses enfants le sens qu’elle les prend au sérieux en se battant pour le futur et en les préparant aux responsabilités qu’ils devront prendre, organise ses écoles de manière à accomplir ce but. L’intérêt de cette société pour le futur, pour le progrès et le développement, crée un environnement naturel – y compris dans la famille – donnant aux enfants le sens que l’on attend d’eux qu’ils se qualifient afin d’être les adultes éclairés de demain.

A partir de là, l’école ne se réduit plus à une obligation arbitraire, comme la vivent aujourd’hui un grand nombre d’élèves – tout juste bonne à faire « décrocher » un quelconque diplôme – mais retrouve cette dimension d’ouverture sur l’univers merveilleux de la connaissance qu’elle nous permet de commencer à explorer pas à pas. Si l’enthousiasme et le goût de la connaissance sont transmis dès le départ puis entretenus et développés, alors les classes cesseront d’être un huis clos où se jouent les rapports de force entre élèves et enseignants qui amènent (outre des salaires ridicules) 30 % des enseignants à vouloir changer de métier. Ceux-ci pourront alors retrouver la sérénité, la qualification et l’autorité nécessaires pour mener à bien leur mission vis-à-vis d’élèves impatients d’apprendre.

 I - Mon objectif :
l’éducation des capacités créatrices pour tous

Mon engagement de départ est de développer les capacités créatrices de chacun, en faisant revivre pour tous les grands moments de découverte de l’histoire universelle. Sans cet engagement, il ne peut y avoir de République.

Élèves et étudiants, remettant leurs pas dans ceux de leurs prédécesseurs qui créèrent, découvrent la démarche et les conditions mêmes de la création. Les enseignants leur font ainsi accéder au plus grand des bonheurs, celui de connaître et de faire partager à autrui sa connaissance, de prendre le risque d’autrui à la frontière de soi-même. Il ne s’agit donc pas d’apprendre des formules, de répéter après lui ce que dit l’enseignant ou de travailler et expérimenter ensemble pour le seul plaisir d’expérimenter et de travailler, mais de redécouvrir à travers un dialogue socratique des principes physiques universels, de revivre la démarche de ceux qui, hier, sont parvenus à faire les découvertes. En ayant toujours présent à l’esprit ce que cette approche partagée de la connaissance nous donne comme responsabilité pour demain.

Ainsi peut se développer et s’étendre cette idée de responsabilité et se former des « leaders » qui ne se prennent pas pour une espèce supérieure, pour les membres initiés d’une secte, mais pour des êtres humains se juchant sur les épaules des géants du passé, avec un sentiment de vertige, en s’efforçant à tout moment de faire partager ce qu’ils voient, de communiquer le bonheur de découvrir. Il s’agit d’un principe d’enseignement mutuel, à la mesure des défis de demain, qui exigeront – comme les grands projets sur terre et l’exploration spatiale – à la fois travail individuel et en équipe, sans esprit de concurrence destructeur. Pour parvenir à établir cette dynamique, une « classe » doit être composée de quinze à vingt-cinq personnes maximum  : en deçà, le groupe ne peut « prendre » comme groupe, au-delà il se dissout dans le brouhaha.

Dans notre pays, très affecté par une idéologie cartésienne réduisant l’être humain à un automate fonctionnel plus ou moins bien dressé, le défi est d’aller au-delà de l’apprentissage des choses jusqu’aux causes qui les engendrent. Or ces causes ne sont pas inscrites dans un univers figé et objectif, mais dans le mouvement de la pensée qui explore et découvre. Cette pensée est elle-même intimement associée aux émotions les plus intenses qu’un être humain puisse éprouver, celles qui font franchir le pas dans l’inconnu.

C’est à ce moment, que ne touche généralement pas notre enseignement (surtout depuis les « réformes » de 1963 inspirées par l’OCDE), que se situe la source même d’une véritable éducation : former les facultés sensibles constituant l’aspect émotionnel de la connaissance, l’éducation des émotions. Car si l’intelligible reste comme une chose en soi, sans être constamment nourri par le sensible, il devient inéluctablement dogme et instrument de pouvoir.

Le plus grand défi que doit relever l’enseignant est donc l’éducation des émotions les plus profondes que puisse éprouver un être humain, celles associées aux grandes découvertes qui rompent toujours avec la règle du jeu existante. L’éducation est de penser et faire des choses que l’on ne concevait pas au départ mais que la liberté est donnée à tous de savoir, de redécouvrir l’innocence originelle à la frontière des connaissances les plus avancées de l’esprit humain. C’est là son paradoxe, et en quoi elle est toujours révolutionnaire.

La recherche de ce bonheur est l’attribut de l’esprit qui découvre et fait le bien. Elle passe par le plus intime de nous-mêmes : la conscience. Cette conscience est celle de notre mortalité individuelle face à l’immortalité de ce que nous pouvons transmettre aux générations futures, cette part de nous-mêmes accordée à l’autre, à l’univers, que nous découvrons en nous-mêmes en découvrant les lois de cet univers et en les donnant gratuitement et sans retenue en partage : l’éducation.

Le principe d’immortalité des idées est donc au fondement même de l’éducation et doit devenir un guide intérieur de conduite. Sans ce « guide », la paralysie cartésienne est fatale : on est ce qu’on sent, ce qu’on perçoit, ce que Dieu, l’État ou la famille ont bien voulu régler en nous. On devient alors un automate plus ou moins policé, le proverbial énarque ou le matheux de service, un singe savant habité par un code extérieur. Le vrai bonheur devient alors impossible : l’automate sans référence autre que sa mécanique, son milieu, ne peut voir ce bonheur-là que comme une menace, la menace d’une identité supérieure, plus belle et plus haute et donc détruisant le code jusque-là dominant.

Cette peur du bonheur est ce que l’éducation permet de surmonter, en faisant du bonheur son sujet même : bonheur de reconnaître ses facultés créatrices et d’en partager l’essor avec l’autre. Se remettre ensemble dans les pas de Kepler lorsqu’il découvrit le principe de gravitation universelle, ou Einstein la relativité générale, communique cet instant de maîtrise humaine par la démarche, avec ses errements mais son entêtement à parvenir. Le chant choral d’une grande œuvre de caractère universel, de Bach ou Mozart, permet à une voix, dans son rapport avec les autres, de découvrir qu’elle n’est pas une chose en soi mais un enrichissement de l’ensemble, que ma voix n’est plus la même avec les autres voix dans un chant dont la plénitude apparaît dans son exécution même, par delà la partition. Séparer littéraires et scientifiques est ainsi une aberration que je ferai tout pour corriger : sans l’émotion à la source où puise l’art, la science ne peut être nourrie. Introduire la musique ou l’art à l’école comme un supplément est absurde ; c’est au contraire le socle vivant.

C’est cette splendeur émotionnelle, toujours sous-jacente à la connaissance, que je me battrai pour réintroduire dans les écoles, collèges, lycées et universités : ce qui appartient en puissance à tout être humain et qui, activé, en fait l’égal de tout autre.

L’éducation devrait toujours être le risque pris par l’enseignant, en faisant revivre les principes connaissables de tous et aux yeux de tous, à travers une découverte scientifique et une grande œuvre d’art, d’être dépassé par les enseignés. Et, plus que tout, aimer ce risque.

C’est aussi pour moi la définition du vrai politique, que l’éducation doit engendrer chez tous : être dépassé par ceux qu’on inspire, pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui, ce qui est, comme la connaissance vraie, une question absolument subjective et universelle.

 II - Les moyens de réaliser mon objectif :
tout de suite 1 milliard pour l’éducation

Au regard de cette ambition, la situation actuelle en France devient catastrophique. Notre modèle éducatif est en panne alors que le déblocage de la société tout entière dépend de sa transformation. Mon engagement en tant que chef de l’État sera donc de me battre pour sauver l’école et l’ensemble de notre système d’enseignement.

En nombre et en formation, nous ne disposons pas des enseignants en mesure de poursuivre mon objectif. Il faut les leur donner et se les donner. Je commencerai par là, car il faut réagir à très court terme. Sans valoriser la fonction enseignante, comment pourrait-on en effet offrir l’enseignement digne d’une République ?

Actuellement, plus de 150 000 élèves quittent chaque année l’école sans aucun diplôme du second cycle et plus de 20 % des étudiants arrêtent leurs études supérieures sans avoir obtenu de diplôme. Nous nous situons au vingt-troisième rang des pays développés pour la compréhension de l’écrit et du calcul. En même temps, la France ne consacre que 3,9 % de son produit intérieur brut à l’enseignement primaire et secondaire, contre 4,5 % en 1995, et en additionnant le nombre de postes qui y ont été supprimés depuis 2002, on atteint 160 000. Lors de cette rentrée 2011, 16 000 postes ont été à nouveau supprimés et 14 000 autres suppressions sont prévues en 2012, sans épargner, bien au contraire, les établissements les plus en difficulté. Il y a 6 professeurs pour 100 élèves en France (tous ne sont pas actifs en même temps), alors que ce chiffre est de 9 pour la Suède, le Portugal ou… la Grèce. La ségrégation par quartiers aggrave la situation pour les milieux les plus défavorisés. Le « gavage » des élèves (7646 heures de cours accumulées pour les jeunes Français de 7 à 14 ans, sans parler des devoirs) rend les résultats encore plus inégalitaires, la différence étant que les jeunes de familles aisées suivent réellement les programmes, alors qu’ailleurs, l’absentéisme et le défaut d’attention sévissent presque partout.

Les enseignants, qui ont désormais des classes de plus de vingt-cinq élèves, sont parmi les plus mal payés des pays occidentaux : un professeur débutant gagne le salaire médian français (environ 1580 euros nets) et au bout de vingt ans 2300 à 2500 euros, soit environ 6000 euros annuels de moins que la moyenne des enseignants de l’OCDE. Pire encore, avec les suppressions des IUFM, les enseignants sont désormais le seul métier de la fonction publique privé d’une formation pratique digne de ce nom.

Quant à l’enseignement supérieur, le coût d’un élève de grande école atteint pratiquement le double de celui d’un jeune universitaire. Or ces grandes écoles, que ce soit HEC, l’ENA ou Polytechnique, sont des réservoirs d’élèves provenant de milieux favorisés, ayant fait leurs études dans les préparations des meilleurs établissements et de plus en plus dans le privé. Ainsi se reproduit un héritage culturel et social pour environ 4 % des familles françaises. Non pas de créateurs ou de chercheurs mais, compte tenu du contenu de l’enseignement donné, d’administrateurs et de grands patrons.

Pour résumer, dans ce système à deux vitesses qui fonctionne mal et n’est pas tourné vers l’avenir, nous dépensons de moins en moins sauf pour le sommet de la pyramide.

Il s’impose donc de toute urgence de faire quelque chose pour rattraper les erreurs passées et les inégalités voulues. C’est pourquoi j’attribuerai immédiatement un milliard pour l’éducation, avec pour priorité :

  • accueillir tous les enfants de 2 ans dans les maternelles, quand les parents le souhaitent et dans les meilleures conditions ;
  • revenir sur les plus injustes des suppressions de postes de ces dernières années, en particulier dans le primaire, qui est le point faible essentiel de notre pays ;
  • mieux payer les enseignants, en particulier ceux qui travailleront plus longtemps par classe, donneront des cours particuliers gratuits à leurs élèves en difficulté et prendront des postes dans des quartiers difficiles. Car le système d’aide personnalisée actuel ne marche pas, faute de temps (pas assez d’enseignants), de moyens (pas assez payés) et de volonté (défaut de motivation des enseignants face à des populations difficiles) ;
  • accroître la présence d’infirmiers et de médecins, pour faire face aux problèmes de dentition, de lunetterie et d’alimentation des élèves. Un enfant dont on détecte les problèmes de vision ou de dentisterie et qu’on soigne est un enfant qui se valorisera à ses propres yeux et respectera le service public, d’autant plus que ses parents seront également aidés s’ils en ont besoin ;
  • lutter contre le décrochage scolaire en concentrant les moyens complémentaires sur les ZEP, notamment pour le tutorat et l’accompagnement réellement individualisé, faisant du sur mesure pour chaque élève. Centrer l’effort sur les collèges, les Segpa, les lycées techniques et professionnels. Offrir aux classes de seconde deux heures hebdomadaires (retranchées des enseignements disciplinaires), dont une heure en demi-groupe (une personnalisation toute relative), en demandant aux professeurs de faire autre chose que la matière qu’ils enseignent, revient à se moquer des élèves et à angoisser les enseignants. Au contraire, inciter sur une base volontaire et moyennant une rémunération complémentaire, les enseignants retraités à se mettre à la disposition des chefs d’établissements pour aider les élèves et collaborer à la formation des nouveaux enseignants en travaillant sur la base maximum d’un demi-poste, me paraît une piste intéressante ;
  • rétablir les postes de Rased : un effort en amont réduira le recours aux centres d’éducation fermés, qui coûtent très cher et viennent souvent trop tard ;
  • aider financièrement les familles qui en ont besoin. Appliquer la loi sur la suppression des allocations familiales pour les parents dont les enfants font trop l’école buissonnière (plus de 4 demi-journées sur un mois), dont le décret d’application est paru le 23 janvier 2011, est une mesure inutile et inapplicable là où elle est prétendument nécessaire. Ainsi, dans certaines académies, les absents représentent 60 % de l’effectif en lycée professionnel et 40 % en lycée technologique. La solution est d’abord de revaloriser l’allocation de rentrée et d’en faire bénéficier un demi-million de familles supplémentaires. Les études coûtent de plus en plus cher et il faut donner les moyens financiers à ceux qui n’en ont pas. Tout en impliquant les parents dans la vie scolaire de leurs enfants par des ateliers-débats sur le fonctionnement de l’établissement et ce que signifie aujourd’hui l’éducation d’un préadolescent, et en créant de véritables « écoles des parents », surtout pour ceux qui sont peu intégrés ou intégrés de fraîche date. Dans l’académie de Lille, parmi d’autres, des écoles ont ainsi monté des programmes offrant aux parents une alphabétisation et une étude de la langue dans la même école que leurs enfants. Les parents retrouveront ainsi leur autorité en étant eux-mêmes respectés ;
  • lancer une transformation de notre système éducatif pour préparer, en testant des expériences sur le terrain, la véritable révolution que j’espère mettre en place : former des citoyens capables de créer et de construire du bien commun. C’est toute la question de ce qui doit immédiatement suivre : changement des contenus, actions de revalorisation, mutation des établissements pour organiser des Républiques « en petit », réorganisation des universités et grandes écoles, ouverture sur le monde extérieur et mise en œuvre d’une évaluation continue.

 III - Le changement des contenus

Le débat actuel sur l’enseignement ne s’attache que très rarement à son contenu. C’est cependant un enjeu déterminant pour parvenir à une réelle égalité des chances, aujourd’hui bafouée. En effet, c’est en éveillant en tout être humain sa disposition à créer, à connaître et à comprendre les lois de l’univers où il vit, et à agir pour le bien commun en fonction de ce qu’il a créé, connu et compris, que la liberté et l’égalité peuvent se conjuguer dans la fraternité. Un savoir mort, fait de l’addition de formules, devient, lui, fatalement instrument de pouvoir. C’est en remettant du contenu vivant dans les programmes que les élèves deviendront attentifs et intéressés.

Les points suivants sont essentiels :

  • il faut d’abord enseigner les grands moments de l’histoire où les progrès de l’esprit humain ont eu lieu, et montrer ce qui a entraîné, à l’inverse, les moments de recul ;
  • il faut apprendre dès le départ, à l’école maternelle, le chant choral accompagnant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Au-delà, au moins 20 % des crédits réservés à la culture, qui doivent être fortement accrus, seront consacrés à l’enseignement du chant, de la musique et des arts plastiques à l’école ;
  • l’histoire des grandes découvertes scientifiques et de toutes leurs applications techniques devra être enseignée à tous, en particulier l’astrophysique qui permet de voir et de comprendre au-delà de la « banlieue Terre » ;
  • la préhistoire et l’histoire ancienne permettront d’étendre la mémoire et, en allant aux sources, de donner dans le temps ce que l’astrophysique apporte dans l’espace ;
  • ce tronc commun de culture générale de la découverte devra être préservé et privilégié jusqu’en troisième, avec l’appui de parcours scolaires différents : l’idéal est celui de l’unité dans la diversité ;
  • le débat philosophique doit être enseigné dès les petites classes (9 à 15 ans), pour apprendre aux enfants à s’écouter mutuellement, comme pendant le chant choral, et à développer leur sensibilité en « trouvant les mots pour dire » ;
  • deux heures d’instruction civique hebdomadaire doivent permettre, associées à la philosophie, d’acquérir les bases vivantes d’une culture républicaine du bien commun, sans tomber dans la description d’institutions mais en illustrant nos principes fondateurs. Dans ce contexte, le principe républicain de laïcité sera nourri par le dialogue des civilisations, des cultures, des religions et des humanismes, pour engendrer un respect mutuel sans clôture identitaire ni juxtaposition de communautés ;
  • l’enseignement de l’économie physique au service de l’homme montrera aux élèves que l’économie réelle ne consiste pas à « faire de l’argent », mais à accroître la capacité de peuplement humain grâce à la découverte, à la maîtrise et à l’application de principes physiques nouveaux sous forme de technologies de plus en plus denses. L’idée de responsabilité vis-à-vis d’autrui émergera de cette démarche ;
  • mon projet est de faire « parler croquant » en remettant la langue de Villon et de Rabelais au poste de commande. Il est en effet urgent, à la mesure de mon projet, de revitaliser notre langue devenue aujourd’hui anémiée par l’esprit de Cour, le cartésianisme et la destruction par les médias. Nous ne devons plus jamais laisser les Céline marauder et braconner aux frontières de notre langue. Nous devons nous-mêmes lui redonner une vie parlée, la couleur et la tonalité d’une langue musicale vivante que la pratique du chant choral telle que je la conçois aidera à faire naître. Ce sera la meilleure façon de réintégrer nos 20 % d’élèves de 15 ans qui se trouvent en difficulté vis-à-vis d’une langue qui leur paraît morte ou superflue. Car, il faut le dire, quelle machine à exclure que ces jargons scolaires (contre lesquels les professeurs eux-mêmes doivent lutter), totalement coupés de la vraie langue, celle qui sert à communiquer et à imaginer !
  • le type d’enseignement à suivre est celui de la main à la pâte, qui implique les élèves dans la découverte d’un principe en opérant sur des objets, puis les engage dans une réflexion sur ce qu’ils ont fait. Il vise mon objectif : éveiller les capacités créatrices de tous. C’est à l’opposé de l’enseignement que nous pratiquons aujourd’hui, qui crée dans l’esprit des élèves des schémas de raisonnement tout faits ne développant ni leur autonomie ni leur intuition créatrice.

C’est la combinaison de ces matières et de ces démarches qui pourra seule engager le nécessaire changement de perspective dans notre enseignement. C’est après avoir accédé à 100 % à cette culture de la découverte, dans une société revivifiée, qu’un passeport pour l’emploi pourra être fourni à chacun dans des centres d’application universitaires établissant des synergies entre recherche, entreprises et études.

 IV - Actions de revalorisation

  • La plus urgente est de redonner une formation aux futurs maîtres. Les nouveaux professeurs se trouvent catapultés dans des classes, sans la moindre préparation, à temps plein et dès le jour de la rentrée. Tous les jeunes professeurs réclament une meilleure préparation au métier – psychologie de l’enfance et de l’adolescence, apprendre à gérer les conflits, acquisition de pratiques ayant fait leurs preuves – et il faut leur donner une année pour cela. Non pas avec des idéologues n’enseignant plus depuis longtemps, mais avec des enseignants actifs, ayant gardé le contact avec la nouvelle génération d’élèves. Une approche différente sera nécessaire pour la maternelle et le primaire (première catégorie) et le secondaire (seconde catégorie), afin de développer les aptitudes correspondant à chaque moment de la vie des enfants et des adolescents.
  • Il s’agit enfin d’accueillir les nouveaux enseignants dans leur beau métier en leur communiquant l’importance de leur mission, en leur rappelant les différentes étapes de la construction républicaine de l’enseignement et en leur donnant à connaître et comprendre les plus beaux textes de penseurs et de pédagogues sur les traces desquels ils pourront marcher. Dans une société qui a perdu ses repères de progrès et de justice, les enseignants doivent être équipés pour en retrouver la source afin d’y mener à leur tour leurs élèves. Inspirer chez les futurs éducateurs la joie d’avoir de jeunes consciences à éveiller doit être au cœur de notre projet.
  • La liaison primaire-collège (CM2-collège) doit être mieux assurée, ainsi que l’articulation entre le collège et l’enseignement professionnel, qui doit être également plus précoce. Souvent, les professeurs des lycées professionnels n’ont aucune connaissance des futurs métiers de leurs élèves. Une formation spéciale doit de toute urgence leur être donnée sur ce point.
  • L’on doit dès le départ renforcer la socialisation des jeunes enfants, en ouvrant, comme nous l’avons vu, des crèches et des maternelles pour que la majorité des parents le désirant puissent en bénéficier (cf. ma section Une politique d’épanouissement familial et de lutte contre le sexisme).
  • Les enfants en difficulté doivent être repérés dès la maternelle et le primaire, « au pied des tours » ou à l’école. Non pour détecter une « prédestination criminelle », comme le veulent MM. Blair, Cameron et Sarkozy, mais en vue d’une attention humaine à donner. Il s’agit de repérer les enfants en difficulté d’apprentissage et d’intégration sociale pour leur offrir une pédagogie adaptée à leurs problèmes et à leurs besoins, afin qu’ils rattrapent en quelques mois le niveau attendu pour leur classe. Au lieu de se trouver dans des situations où se produisent trop de redoublements, ce qui est un « mal français », l’idéal serait d’en arriver à un environnement où de nombreux élèves pourront « sauter des classes ».
  • Un arsenal de dispositifs de soutien doit être prévu, au cours de la scolarité, pour les cas qui se présentent : enseignement en effectifs de classe réduits, travaux en petits groupes, suivi individualisé, tutorat. Il faut faire avant tout du « cousu main », un accompagnement personnalisé. En Norvège, les élèves sont moins stressés car ils n’ont que trois notes à la fin du trimestre, mais lorsqu’il y en a un qui décroche en maths ou en physique, un véritable Samu scolaire le prend en charge. Le secret du succès d’ensemble se trouve là. Ainsi, on peut éviter les redoublements ou les passages d’une classe à une autre sans les savoirs, qui sont la plaie de notre enseignement. Annoncer des heures de soutien est une chose, mais les organiser sans moyens et avec des professeurs d’abord formés à s’occuper des bons élèves donne peu de résultats !
  • Conséquence de cette situation, le soutien scolaire est devenu chez nous un business favorisant les familles qui ont les moyens de se payer l’intervention d’entreprises de soutien à but lucratif, comme Acadomia. Chaque année, les parents dépensent 2 milliards d’euros pour faire aider leurs enfants ou combler leurs lacunes. Le scandale est que ce soutien privatisé bénéficie d’une déduction fiscale de 50 % pour les emplois à domicile : ceux qui payent l’impôt sur le revenu peuvent ainsi déduire cette part, les autres non. Je proposerai d’annuler cet avantage en établissant dans un premier temps un régime de forfait pour tous avant que, dans un second temps, ce recours au soutien lucratif devienne inutile chez nous, comme dans les pays nordiques qui ont un système éducatif mieux intégré.
  • Les collèges doivent être limités à un nombre d’élèves de 600 à 700 maximum pour pouvoir maîtriser l’encadrement social, avec des classes d’au maximum 20 élèves dans les zones difficiles et 25 ailleurs.
  • Il faut offrir des conditions de vie meilleures aux enseignants jeunes ou moins jeunes qui débutent dans un quartier difficile, en coordination avec l’ensemble des acteurs sociaux du quartier, pas seulement ceux du milieu scolaire.
  • Il faut donner des moyens aux établissements scolaires tout en les dotant de plus d’autonomie et en les évaluant non en fonction de critères comptables, par le budget, mais en fonction de leurs résultats humains. Le secret de la réussite, comme à Shangaï, est de détecter les meilleurs chefs d’établissements et les meilleurs enseignants afin de constituer de solides équipes pédagogiques. Les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), rattachés aux collèges et qui scolarisent environ 120 000 élèves en « très grande difficulté scolaire » doivent être en particulier pourvues de plus de moyens. Les instituteurs spécialisés enseignant dans ces structures et jouant avec un grand dévouement le rôle de « pompiers de l’éducation nationale » doivent être mieux aidés, mieux payés et mieux encouragés à s’organiser en équipes. Les 50 000 à 60 000 élèves sortant sans qualification des Segpa doivent être réduits à quelques milliers au maximum : là est le but.
  • Le problème de la sécurité dans les écoles doit être résolu. Il est évident que la meilleure solution, à terme, est celle de l’école Decroly : responsabiliser les élèves. Dès la dernière année de maternelle, ils débarrassent la table et passent le balai à la cantine. Plus tard, les collégiens s’occupent des petits et dès le primaire, ils sont habitués à ne pas attendre les consignes car ils ont développé une autorité et une responsabilité intérieure. Cette solution n’est bien évidemment pas applicable tout de suite partout, et l’école Decroly est un établissement pionnier de 350 élèves. Le problème qui se pose dans les quartiers difficiles est le nombre insuffisant de surveillants dans les couloirs, la cour de récréation ou à la sortie, du fait de la réduction absurde de postes. Il faut là aussi recréer des postes, pour arriver à un surveillant pour 50 élèves (deux classes), avec un encadrement de CPE (personnels chargés de la vie scolaire, du respect du règlement et de la sécurité) en nombre suffisant. Car les surveillants, qui connaissent les élèves et sont connus d’eux, peuvent ainsi non seulement intervenir en cas de conflits, mais les prévenir.
  • Comme je l’ai dit dans ma section Une mobilisation générale pour la jeunesse, des internats pédagogiques doivent être ouverts pour accueillir les jeunes très tôt (avant 13 ans) lorsqu’ils subissent une dislocation familiale. Ces internats devront être des lieux d’assistance et de socialisation alternative.
  • Les Epide (cf. aussi Une mobilisation générale pour la jeunesse), sous direction militaire, jouent un rôle utile mais limité, de même que les expériences de participation de jeunes délinquants à des opérations de pompiers. Mieux vaut un encadrement éducatif à ce stade qu’à celui de la prison ou des centres d’éducation fermés.

Outre l’effort à consentir en faveur des crèches, des maternelles, des Segpa, de l’assistance scolaire et de l’encadrement éducatif des jeunes en difficulté, il faudra recruter très vite environ 5000 éducateurs spécialisés. Le gros problème est de former du personnel expérimenté et motivé. Il faut donc, dans ce domaine aussi, entreprendre un effort exceptionnel de formation.

 V - Mutation des établissements
pour organiser des Républiques « en petit »

Ma conviction est qu’il faut créer les conditions pour que les établissements deviennent des Républiques « en petit », avec un enseignement moins formel et plus mutuel qui s’interrogera constamment sur les résultats de sa pratique, au lieu d’appliquer des instructions ou des formules. Pour cela :

  • Les chefs d’établissement doivent pouvoir disposer d’une grande autonomie d’initiative et d’innovation. A condition que ce ne soit pas dans le cadre d’une politique de contrainte financière, mais d’un épanouissement des moyens. Le chef d’établissement devra vivre davantage parmi ses enseignants, pour les motiver et non pour les noter, alors que le rôle de l’inspecteur devra être de les former aux nouveautés, de se tenir sur la ligne de front et non de gérer l’arrière. Les enseignants bénéficieront ainsi d’un regard croisé, à la fois pour être impliqués dans le projet de leur établissement et pour y être incités à introduire des innovations, avec une priorité créatrice et non strictement disciplinaire.
  • Ces chefs d’établissement doivent devenir le point d’ancrage d’une équipe responsable associant professeurs, parents et quelques grands élèves. C’est cette équipe qui dialoguera avec l’autorité académique pour établir le profil personnel des nouveaux professeurs en fonction du projet de l’établissement.
  • Les équipes pédagogiques devront se former et être connues au moins un mois avant la rentrée. Elles devront organiser leurs horaires, avec un temps de trois à quatre heures de concertation par semaine, pour pouvoir suivre ensemble chaque élève en difficulté ou difficile, avec l’assistance des médecins scolaires, infirmiers, assistantes sociales et surveillants.
  • Il appartiendra à ces équipes enseignantes de tracer les itinéraires pédagogiques les mieux adaptés à chaque milieu et à chaque classe, l’État se contentant de fixer des normes de compétence nationale.
  • D’ores et déjà, dans les lycées, les travaux personnels encadrés (TPE) doivent donner à l’élève la liberté de choisir un thème de recherche, de réfléchir à une problématique et de la résoudre. Jusqu’à cette année, il s’agissait de deux heures hebdomadaires, avec au bout le rendu d’un mini mémoire et un entretien oral permettant à l’élève d’expliquer sa démarche. Il est regrettable que l’horaire ait été réduit à une heure. Je suis favorable au rétablissement de la deuxième heure, car cette durée est indispensable pour responsabiliser les « citoyens » de l’établissement.
  • Le parlement de la « petite République » sera constitué par les équipes parents-enseignants-élèves. Le chef d’établissement, exécutif responsabilisé par l’autonomie, devra prendre son avis et constamment dialoguer avec lui.
  • L’aménagement des lieux scolaires doit être discuté par ces équipes. Le but sera de disposer d’un établissement correspondant mieux à un lieu de vie commune.
  • Au sein de cet établissement, les élèves devront pouvoir occuper une classe unique, dont ils seront responsables de la tenue, sans se déplacer. Ce sera « leur » classe. Des bureaux d’accueil individuels devront être aménagés pour que les enseignants puissent y recevoir (et non dans la salle de classe ou un café) les élèves et les familles. Dans ces conditions nouvelles, matérielles et sociales, les enseignants seront davantage motivés à assurer une présence horaire plus longue et moins contrainte dans chaque lycée, d’autant plus que l’aménagement des horaires de classe décidé en commun permettra d’éviter les « trous » excessifs dans les emplois du temps de chaque enseignant. On peut même envisager la création de centres de documentation sur la vie scolaire, salles de repos ou cafétérias, comme en Finlande.
  • Dans cette approche, chaque collège ou lycée doit pouvoir disposer de « sa » chorale, de « sa » troupe de théâtre, de « son » petit musée pédagogique, de « sa » rédaction, de son « journal », de « ses » blogs de classe, voire de sa petite imprimerie. A un lieu anonyme et interchangeable se substituera ainsi un cadre de vie ouvert sur l’extérieur. Les expériences de Jean-Luc Muracciole à Reims et du collège Pierrelée (Ronceray, Académie du Mans) montrent qu’en suscitant un climat coopératif, les enseignants conscients de leur liberté et aimés de leurs élèves, restent à l’école par plaisir.

Ce que je propose suppose bien entendu un droit d’expérimentation étendu.

 VI - Réorganisation des universités
et des grandes écoles

 1) Universités

  • Il faut arriver en moins de dix ans à une parité absolue de traitement entre ce que la collectivité nationale consacre à chaque élève des classes préparatoires aux grandes écoles et de l’université. Avec mon ministre de l’Éducation nationale, j’organiserai un Grenelle de l’enseignement supérieur pour lancer une réorientation de fond.
  • Il est impératif de donner aux étudiants des premiers cycles universitaires un encadrement comparable à celui qui existe dans les classes préparatoires ou les IUT. Un semestre de transition doit être prévu entre le lycée et l’enseignement supérieur avec des modules de méthodologie, de soutien et de définition du projet professionnel. Ce tutorat universitaire permettra de rattraper l’absence d’expression écrite ou orale des étudiants, avant que ma refondation du primaire et du secondaire ne porte ses fruits.
  • En même temps, je demanderai d’organiser une campagne systématique d’information indiquant aux étudiants les chances réelles de débouchés dans les disciplines qu’ils vont choisir.
  • Des passerelles seront créées entre filières et niveaux de formation, notamment entre filières générales et professionnelles.
  • Une culture de la réflexion scientifique sera réintroduite partout (la culture « humboldtienne » ou « polytechnique ») et la division entre scientifiques et littéraires réduite autant que possible, non par acte d’autorité mais dans la logique de l’épanouissement des connaissances.
  • Pour libérer les universités des règles tatillonnes de comptabilité publique, je demanderai au Parlement de faire supprimer toute tutelle a priori du ministère de l’Économie et des Finances à leur égard, en renforçant les contrôles a posteriori. La responsabilisation découlant de cette autonomie renforcée permettra un mode de fonctionnement interne des universités plus satisfaisant : un exécutif stable, un « président » entouré d’une communauté professorale et étudiante, le « parlement ». Cette responsabilisation permettra d’associer tout le tissu des universités à la réflexion sur leur avenir, alors qu’aujourd’hui la politique universitaire reste largement le fruit des cabinets ministériels ou des bureaucraties.

 2) Grandes écoles

Le problème essentiel qui se pose ici n’est pas le concours d’entrée mandarinal, mais le contenu des concours et la conception du diplôme, à la fois assurance-vie et sésame, acceptée avec la complicité quasi-unanime de nos élites, elles-mêmes issues des grandes écoles.

Il faut mettre fin à la rente d’une caste. Avec quelles armes ? La propagation d’une méthode créatrice à chaque niveau des enseignements. Car supprimer d’un trait les grandes écoles ou les intégrer immédiatement au sein de l’université satisferait certes le ressentiment que l’on peut avoir contre elles, mais aggraverait le problème de notre enseignement en y introduisant un chaos contre-productif, sans résoudre la question des hommes occupant les positions de pouvoir dans les institutions, car on ne peut les faire partir tous d’un claquement de doigts.

Il faut commencer par créer les conditions permettant de former un autre type d’homme, qui ne soit ni un grand prêtre de la science ni une star du traitement des dossiers, mais un être humain aimant créer plutôt que gérer, sensible aux solidarités sociales plutôt qu’aux réputations et à l’argent, et rejetant l’injustice ou l’ennui du système dominant.

A l’ENA par exemple, il faudra s’inspirer de l’esprit du projet d’École spéciale des services publics qu’Hippolyte Carnot élabora en 1848, alors qu’il était ministre de l’Éducation publique. Son École d’administration avait bien entendu à son programme des cours sur les techniques de gestion des affaires publiques, mais étayées par une « méthode générale », l’épistémologie des sciences dans leurs conceptions les plus avancées de l’époque. A cet effet, une décision ministérielle mentionnait l’enseignement de la physique, de la géométrie descriptive et du calcul infinitésimal pour tous les élèves de l’école.

C’est cet esprit, celui de l’École polytechnique des origines, celle de Gaspard Monge, Lazare Carnot et Prieur de la Côte d’Or, qu’il faut aujourd’hui réintroduire non seulement à l’ENA mais à l’École polytechnique elle-même et plus généralement dans toutes les grandes écoles.

C’est au niveau des contenus, dans ce qu’ils ont de plus créateur, de plus proche de l’esprit de découverte, contre tout esprit bureaucratique et oligarchique, que l’intégration des grandes écoles dans les universités pourra se faire progressivement, dans un esprit de « nouvelle frontière ».

L’on ne peut fonder la sélection de scientifiques créateurs sur la simple base des mathématiques existantes, finies, mais sur cette intuition rigoureuse qui permet de rendre compte de phénomènes d’un ordre qualitatif supérieur puis de concevoir des mathématiques nouvelles. De même, l’on ne peut recruter des fonctionnaires créateurs sur la base de techniques de gestion elles-mêmes existantes et finies.

C’est le cœur du problème des castes issues des grandes écoles et des prépas.

Le résultat est que les polytechniciens, par exemple, se sont presque totalement détournés de la recherche. Dans le secteur privé, leur salaire dépasse plusieurs fois ce qu’ils gagneraient dans le secteur public, et à l’intérieur même de la fonction publique, à 35 ans, un polytechnicien entré au CNRS gagnera entre deux fois et demie et trois fois moins que ses camarades qui ont choisi de faire carrière dans les ministères. Une telle hiérarchie des salaires reflète le peu de cas que notre société fait de ses chercheurs, et combien elle cherche à s’attacher de bons gestionnaires pour veiller sur les privilèges.

Je m’engage au contraire à ce que la méthode créatrice elle-même devienne l’objet de l’enseignement, donnant naissance à des individus animés par des principes et relativement invulnérables, psychologiquement et moralement, aux attraits autres que celui de l’intérêt général. Pour cela, dans les grandes écoles scientifiques aussi bien qu’à l’ENA, je m’efforcerai de faire introduire la méthode de composition artistique classique, comme aux temps de Gaspard Monge et de Lazare Carnot, fondée sur la métaphore qui ouvre des perspectives nouvelles à la connaissance humaine en illustrant l’idée par delà le témoignage des sens. L’on comprendra que je conçoive ainsi l’éducation comme la nouvelle frontière d’une autre politique.

L’obsession du rang de sortie déterminant l’écart entre carrières futures correspondant à ce rang est une aberration supplémentaire de notre système. En accord avec la méthode créatrice, sociale par essence, je poserai au contraire le principe d’une éducation mutuelle induisant un savoir partagé.

 VII - Ouverture sur le monde extérieur

  • Il est souhaitable que tous les étudiants d’université effectuent un stage long dans une entreprise ou une administration. Le stagiaire apprend à gérer des relations de travail avec une équipe, des collègues, un chef et avec son propre temps. C’est une autre forme de socialisation nécessaire à un âge qui ne soit pas trop avancé. Un statut du stagiaire devra être élaboré, par delà l’obligation actuelle de rémunération faite aux entreprises.
  • Les professeurs du secondaire et d’université doivent eux-mêmes se voir offrir les moyens de passer un an dans une entreprise tous les sept à dix ans. La priorité absolue est de leur faire connaître les PME-PMI innovantes et créatrices d’emploi. Familiarisés avec la vie quotidienne de ces entreprises, ils pourront mieux y préparer leurs étudiants.
  • L’école doit assumer une nouvelle mission de formation, portant sur le cours d’une existence entière. Cette mission suppose, sur la base de la révision des méthodes pédagogiques que je préconise, la présence d’adultes/enseignés à l’école. L’on pourra ainsi orienter ces adultes vers des savoirs « à la frontière », car c’est de leur compréhension et de leur partage avec les jeunes que dépend la solidarité entre générations et le futur d’une humanité devenue un seul équipage sur un même bateau.

 VIII - Nécessité d’une évaluation continue

Le changement radical de « culture » et de priorités que je propose pour l’Éducation exige, pour réussir, la multiplication des expérimentations et donc une bonne évaluation, au départ et en cours de route – une évaluation permanente.

Dans les établissements, cette évaluation devra associer Inspection, chefs d’établissement, parents d’élèves et élèves « jeunes adultes ». Elle ne doit pas être perçue comme disciplinaire mais comme encourageant la volonté d’innover en équipe. Les promotions doivent dépendre du talent pédagogique et non des influences d’en haut ou du militantisme syndical. A un contrôle défensif trop souvent exercé de trop loin, l’Inspection générale de l’Éducation nationale devra substituer une immersion dans le milieu enseignant pour évaluer les pratiques au plus près et détecter en même temps, pour les diffuser, les innovations dignes d’être généralisées. Les chefs d’établissement ne devront pas, dans ce contexte, devenir évaluateurs uniques, mais être associés à l’inspecteur dans la définition du projet de l’établissement, et aussi aux parents d’élèves et élèves « jeunes adultes » dans l’évaluation de chacun en fonction de sa participation.

A l’université, il faudra évaluer les universitaires et les chercheurs en fonction de leur enseignement et de ses résultats, et non de l’opinion des « grands patrons » de l’institution pour les avancements de carrière et des impératifs immédiats des entreprises ou pour les contrats externes permettant d’obtenir des rémunérations annexes. Afin de faire passer un souffle d’air frais, les formations de deuxième et troisième cycles devront être évaluées avec le souci de créer des partenariats actifs avec des universités et des entreprises étrangères.

 IX - Une mobilisation des esprits

Mettre l’éducation à la frontière du changement politique suppose une révolution dans la société. Une révolution non violente, nécessaire au milieu de la tempête que nous subissons et fondée sur la mobilisation des esprits. A la société actuelle, dans laquelle les figures dominantes sont le financier, la vedette du showbiz et le publicitaire, mon projet a pour objectif de substituer une société inspirée par l’enseignant, le chercheur et l’infirmier.

La revalorisation de la fonction enseignante est, à cet effet, indispensable. Il est scandaleux de voir les enseignants, qui sont souvent de jeunes enseignantes, abandonnés dans des premiers postes difficiles. Il est scandaleux que le taux de suicide chez les enseignants soit le plus élevé de toutes les professions, avec celui des forces de l’ordre. Il est scandaleux que l’on ait laissé se dégrader leurs conditions de travail : absentéisme des élèves, violences verbales ou physiques, nécessité d’un soutien psychologique individuel de plus en plus fréquent. Il est scandaleux qu’on ait diminué les postes au fur et à mesure de l’accroissement des difficultés.

Il est aussi scandaleux que les élèves n’aient pas confiance en eux. Depuis la petite école, le système rend les élèves français réticents à la participation. La peur de l’échec les ronge. A force de s’entendre répondre : « On ne parle pas pour ne rien dire » et « réfléchis avant de parler » , l’élève rendu peu sûr de lui préfère se taire plutôt que de répondre en s’exposant à un jugement négatif, ou bien « explose » en se livrant à une incontinence verbale. A l’opposé des promesses de la République, c’est un système d’enseignement qui note pour sélectionner et non pour former et élever. Il tend ainsi à créer des conformistes qui réussissent et une majorité en révolte ou plus généralement convaincue de sa « nullité », ou déprimée. De plus, cette majorité se trouve confirmée dans son jugement par un marché du travail qui a fait d’elle sa variable d’ajustement.

Cela ne peut durer. Mon projet vise à reprendre la vie qui nous est volée, enseignants et enseignés, par un système destructeur accompagnant la désintégration financière et la décomposition sociale et politique de la société.

Le changement de système permettra de revoir des élèves heureux d’être en classe et des professeurs bâtisseurs du futur, garantissant la qualité des générations montantes dont ils sont responsables.

La croyance en l’éducation, c’est-à-dire en la perfectibilité de tout esprit humain, en ce que demain pourra être meilleur qu’aujourd’hui, est le plus bel héritage que nous ont laissé ceux qui, pendant la Révolution française, savaient avoir perdu la bataille politique mais entendaient gagner la longue guerre des idées. Donnons-leur raison, donnons raison à Gaspard Monge lorsqu’il entraînait ses élèves dans des promenades-découverte au cours desquelles les uns et les autres, pris par l’ardent plaisir de connaître, en oubliaient jusqu’à la présence d’un ruisseau dans lequel ils s’étaient engagés sans s’en apercevoir. Donnons raison à cet esprit d’enthousiasme, cette joie et ce jeu de connaître, à ce que les Grecs nommaient le « dieu intérieur », et nous pourrons gagner une fois de plus la seule guerre qui vaille la peine d’être menée, celle des générations à naître.

Le nouveau chef de l’État sera sans doute le dernier à pouvoir la mener sans violence, pourvu qu’il affronte la crise. Je le ferai avec un ministre de l’Éducation nationale ayant rang de ministre d’État, s’appuyant sur l’autre ministre d’État qui sera celui de l’Économie.