On connaît l’allégorie de la caverne de Platon. On réalise moins qu’aujourd’hui, nous sommes en plein dedans, prisonniers de la société des images et de la multiplication des perceptions sensibles qui distraient l’attention de l’autodestruction économique et sociale du monde où nous vivons.
Dans le livre VII de sa République, le philosophe grec nous décrit des hommes enchaînés dans une caverne, voyant passer sur un mur des formes qui ne sont que des ombres projetés par un feu allumé derrière eux. Ils prennent ces ombres pour la réalité. Des sons, ils ne connaissent que des échos confus. Déduire et induire à partir de là ne conduit qu’à renforcer les murs de la prison.
Notre monde occidental est aujourd’hui dominé par la priorité financière du court terme et ses incessantes productions d’objets marchands. Ce qui se vend vite est ce qui produit l’effet le plus fort sur nos sens, ce qui littéralement les enchaîne.
Nos concitoyens croient que ce sont leurs goûts, mais ce qu’ils voient et entendent est fabriqué en chaîne. Ce qui passe sur nos smartphones, comme la World music, n’est que le produit de l’accumulation et de la manipulation de données. L’individu avale les produits du big data comme les enchaînés de Platon leurs ombres. Tuma Basa, qui supervise la programmation de Spotify, la chaîne suédoise de streaming, peut ainsi se vanter de transformer un rappeur débutant en star synthétique du hip-hop. D’anciens employés de Google et de Facebook tirent eux-mêmes la sonnette d’alarme : « Les plus grands superordinateurs du monde sont entre les mains des deux sociétés où nous travaillons et qu’est-ce qu’ils visent ? Le cerveau des gens, des enfants. » Leur recette est de créer des univers virtuels et irrationnels, dans lesquels on s’immerge par l’intermédiaire d’avatars, ou en s’identifiant à la violence, à des actes de torture, à des viols qui, au mieux, créent un état mental de perte d’attention à l’univers réel et, au pire, conduisent à imiter les modèles offerts, comme celui de la pornographie et d’actes de domination bestiale pratiqués par des adolescents. Notre caverne est plus inhumaine que celle de Platon.
Lorsque Emmanuel Macron nous dit « France is back », Bruno Lemaire se précipite à Londres et traduit aux investisseurs de la City cette affirmation présomptueuse par ordonnances travail, suppression de l’ISF et flat tax sur les revenus du capital. Le monde est en proie au capital financier destructeur, qui domine l’Union européenne, et la France s’adapte à cette fausse Europe-là. Ainsi la réforme de la SNCF vise à effacer la notion de service public et de ses statuts en y substituant un service d’intérêt général devenu sa caricature.
Ainsi l’interdiction du contrôle des prix, depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986 d’Edouard Balladur, conduit à livrer les agriculteurs à la grande distribution et à ses centrales d’achat. Partout, c’est comme sur les marchés financiers : ceux qui contrôlent la table de jeu, et en particulier le crédit, raflent la mise. Ainsi la caverne grandit toujours, jamais mieux servie que par la servitude volontaire et l’apolitisme.
Faut-il donc être pessimiste ? Non, bien sûr, d’abord parce que ce serait devenir complices. Ensuite se dessine l’alternative à ce monde, avec des économies bâties à partir de nouveaux principes physiques et de plateformes d’infrastructures le long des nouvelles routes de la soie imaginées par les Chinois, un ordre qu’ils disent vouloir « gagnant-gagnant ».
Faire l’autruche en plongeant la tête dans le sable mou de nos préjugés serait suicidaire. Relever le défi, sans angélisme mais avec détermination, est la voie pouvant nous conduire hors de la caverne financière.
La condition est de ne plus penser « comme avant », par déduction et induction, mais avec les yeux du futur et la volonté de le bâtir, pour qu’advienne un monde de détente, d’entente et de coopération. Un monde intelligible et ensoleillé par la raison, c’est-à-dire humain.