La France avec les yeux du futur

La recherche pour voir avec les yeux du futur

La recherche doit être le fer de lance de la politique « aux frontières de la science » que je défends. Elle est donc une priorité absolue dans mon projet. Aujourd’hui, elle subit un déclin historique dû à une insuffisance de moyens et une fragmentation des initiatives (gaspillage, mauvaise gestion, absence de coordination réelle…), notamment au niveau des interactions universités/organismes de recherche généralistes (CNRS) et spécialisés (INSERM, INRA…)/entreprises. Les réformes mises en place depuis le début de ce XXIe siècle, suivant les orientations de la déclaration de Bologne (1999) et de la stratégie de Lisbonne (2000), n’ont été qu’autant d’adaptations souvent caricaturales au modèle anglo-saxon. Elles ont non seulement provoqué un vif mécontentement de la communauté scientifique mais, en s’inscrivant dans un contexte de restrictions financières et de priorité donnée au court terme, elles ont démobilisé les énergies.

Preuve de cette situation :

  • les prises de brevet français sont passées de 8,3 % de la masse mondiale en 1988 à moins de 5 % aujourd’hui ;
  • la part des citations de la recherche française dans les revues étrangères reste médiocre et recule ;
  • l’attrait des étudiants étrangers pour notre pays est inférieur à celui exercé par l’Allemagne et la Grande-Bretagne ;
  • la recherche universitaire reste en déshérence ;
  • nos chercheurs vont travailler dans d’autres pays ou travaillent pour eux depuis la France à travers la toile numérique.

La recherche ne joue donc pas le rôle de vecteur de notre économie. Pour qu’elle le devienne et que nos chercheurs soient de nouveau une référence respectée, je préconise un changement radical d’orientation politique :

  1. Le budget global de la recherche doit augmenter de 40 %, pour passer de 2,1 % du produit intérieur brut (PIB) actuellement à plus de 3 %. L’amélioration la plus importante à apporter à l’enseignement supérieur et à la recherche est en effet budgétaire, et le chiffre de 3 % du PIB était celui préconisé en 2000 par la stratégie de Lisbonne pour la recherche et développement de chaque pays de l’Union européenne à l’horizon 2010. Il faut arrêter la chute libre du budget des organismes de recherche, notamment celui du CNRS, dont la somme totale affectée à l’équipement et au fonctionnement de ses laboratoires n’atteint que le douzième de celle consentie par l’État en faveur du crédit impôt recherche (CIR).
  2. Le Haut conseil de la recherche scientifique et technique, agissant selon mon projet en collaboration étroite avec le Commissariat au Plan, doit donner les grandes orientations de la recherche non pas avec un simple rôle consultatif, mais incitatif, et en pratiquant une veille constante par rapport à l’évolution de la recherche scientifique dans le monde ;
  3. L’Agence nationale de la recherche (ANR), qui a désormais le quasi-monopole du financement de toute recherche en France, ne doit plus être pilotée par le ministère avec une vision de rentabilité à court terme, sous la pression des lobbies politiques et industriels. Il faut que la recherche fondamentale reprenne le poste de commande et que l’ANR applique les orientations du Haut conseil de la recherche scientifique et technique en lui rendant des comptes. Les personnes travaillant dans l’enseignement supérieur et la recherche ne doivent pas passer de plus en plus de temps à remplir des dossiers de demande de financement aux ANR, rejetés dans près de 90 % des cas lorsqu’il s’agit de « projets blancs ». Au contraire, les projets blancs, qui nourrissent la recherche fondamentale de dotations sécurisées sur les long et moyen termes, doivent avoir priorité sur les projets trop tournés vers le court terme.
  4. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) ne doit plus pratiquer une notation uniforme des laboratoires. Les notes, qui créent une ambiance de salle de classe infantilisante, sont en effet réductrices, simplificatrices, éliminatoires (par exemple, pour bénéficier du Grand emprunt), discriminatoires et démobilisatrices. Une évaluation est nécessaire, mais d’un point de vue adulte, et adaptée à chaque type de laboratoire. L’Agence, en particulier, doit cesser de mettre un prix aux enseignants-chercheurs en les classant en différentes catégories de « produisants », rapportant à l’établissement qui les emploie des sommes allant du simple au quadruple suivant la somme des classements individuels. Il ne faut plus qu’elle se comporte comme les agences de notation financière notant les pays, en détenant un pouvoir énorme sans être, de fait, responsable devant quiconque. Le travail de recherche doit être par principe évalué sur des critères strictement scientifiques, au niveau des équipes de recherche et non individuellement.
  5. Le CNRS ne doit pas être démantelé et morcelé en instituts monodisciplinaires, mais rajeuni et musclé avec toute la richesse d’une approche pluridisciplinaire. Je ne laisserai pas convertir le CNRS en une « agence de moyens ». En effet, c’est lui qui a permis l’émergence de thématiques nouvelles qui supposent de plus en plus des interactions fortes entre disciplines. Le statut de ses personnels offre des possibilités d’investissement dans les travaux de long terme qui en font l’un des rares pôles d’attraction du système français, comme le prouve le grand nombre d’étrangers candidats au recrutement, malgré les salaires médiocres.
    Je m’oppose à l’approche actuelle qui, poussée jusque dans ses dernières conséquences, conduirait à détruire le régime pluridisciplinaire de l’organisme. Les moyens matériels (contrôlés par l’ANR) et les moyens humains (postes de chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs) ne pourraient pas être mis en cohérence. La tentation politique serait alors grande de précariser encore davantage les personnels.
  6. Cependant, les agents du CNRS sont des « chercheurs à vie » qui, en raison de la diminution des recrutements depuis 20 à 30 ans, sont parmi les plus âgés du monde : leur âge moyen est de 47 ans !
    Bien peu de jeunes sont, dans ces conditions, en mesure de devenir scientifiquement autonomes tôt dans leur vie, aux environs de 28-35 ans, au moment où leur potentiel d’innovation et leur ambition peuvent donner à plein.
    Le risque, que nous avons vu, est que la « loi du marché » démantèle cet appareil vieilli en ne lui substituant qu’une perspective de résultats exploitables à court terme – selon l’orientation du gouvernement actuel et de l’ANR – à l’opposé de l’esprit même de la recherche.
    Pour éviter ce risque, au lieu de nommer des « chercheurs à vie », l’on doit les affecter à des projets prioritairement à moyen et long terme et exiger d’eux qu’ils produisent des rapports d’activité tous les cinq ans. L’évaluation de ces chercheurs ne doit plus être le fait de « sommités » dominant des sections particulières, mais de groupes de réflexion à compétence plus générale et à orientation pluridisciplinaire, sur la base du rapport d’activité et d’un entretien exhaustif avec le chercheur et ses collaborateurs. L’idée est de responsabiliser une équipe en vue d’un projet, et non de décider de l’avancement d’un homme en raison d’une notoriété trop souvent acquise par cooptation. Il ne s’agit en aucun cas de transformer des emplois stables, qui permettent à leurs titulaires de s’engager dans une recherche risquée en assurant aux chercheurs une nécessaire indépendance, en emplois précaires, sur des projets que l’administration ou le gouvernement seraient en mesure de piloter hors de toute préoccupation réelle de recherche fondamentale.
  7. La recherche doit être plus étroitement associée à l’enseignement, car c’est son horizon naturel. Le CNRS rajeuni et musclé devra ainsi être intégré dans le monde universitaire, lui-même responsabilisé par son autonomie. Le résultat auquel on doit parvenir est qu’à tout moment un professeur d’université ou de l’enseignement secondaire puisse devenir chercheur, sans recul de pouvoir d’achat ou de situation administrative, et qu’à l’inverse, les chercheurs puissent se consacrer à l’enseignement, en faisant bénéficier les élites et les étudiants de leur « esprit d’hypothèse ».
  8. Le lien CNRS-universités-entreprises devra être établi dans un ensemble au sein duquel chacun joue son rôle : ni « domaine réservé », ni empiétement sur celui de l’autre. L’ensemble universités-CNRS sera centré sur la recherche fondamentale, et les entreprises sur la recherche appliquée. Le pont entre les deux sera d’abord assuré par les étudiants, qui sont le meilleur vecteur du transfert de technologie : dès leur entrée dans la vie active, ils sont en mesure d’appliquer les découvertes, effectuées en équipe avec les enseignants, dans les entreprises qu’ils rejoignent. C’est pour cela qu’il est si nécessaire d’associer universités et CNRS dans un ensemble « recherche fondamentale », impliquant l’esprit critique des étudiants et « pariant » sur leurs applications des découvertes en entreprise après (ou pendant) leurs études. C’est dans ce contexte renouvelé que les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (universités/CNRS ou autres organismes publics) et les pôles de compétitivité (universités/entreprises) pourront se fertiliser, à condition que les impératifs de recherche fondamentale des uns soient séparés des impératifs de recherche appliquée des autres.
    Les professeurs d’université et les chercheurs du CNRS pourront se voir accorder, par ailleurs, la possibilité d’intervenir une journée par semaine comme consultants dans les entreprises : ce sera le second pont. L’ouverture vers l’extérieur pourra être complétée par la prise d’un congé sabbatique d’un ou deux ans tous les dix ans, pour étudier dans leur domaine ou des domaines complémentaires du leur, là où bon leur semblera.
  9. La situation des jeunes chercheurs est désastreuse. Celle des doctorants (thésards, encore étudiants mais déjà chercheurs) est aussi mauvaise que celle des post-doctorants.
    Ainsi, un jeune doctorant aura en France un salaire brut compris entre 1500 et 2000 euros, soit un peu moins d’1,5 fois le SMIC, et un post-doctorant obtenant enfin un poste à bac +10 après des études supérieures, une thèse qui dure trois ou quatre ans ou plus et des séjours post-doctoraux, se voit offrir un salaire net de l’ordre de 2000 à 2500 euros au maximum, qui ne lui permet pas de louer un appartement à Paris pour sa famille.
    Je considère qu’une forte hausse, d’au moins 30 %, du salaire des doctorants est nécessaire. En effet, en France, la somme qui leur est actuellement allouée est inférieure de 30 % aux normes internationales et cela se ressent partout : dans les rémunérations, les conditions de travail, les moyens. Le salaire des post-doctorants devra être, lui, accru de 50 %, car aujourd’hui il est non seulement bas, mais son écart avec celui des doctorants est faible, alors qu’en Suisse, au Canada ou même ailleurs en Europe, le succès universitaire assure un avantage proportionnellement bien plus grand.
    Cet accroissement des salaires, accompagnant un effort budgétaire pour la recherche et une amélioration de la considération qu’on lui porte, de sa gestion, de sa coordination, permettra d’enrayer la fuite de nos cerveaux et d’attirer à nouveau les meilleurs étrangers parmi nous.
    Mieux rémunérer les bons chercheurs et leur donner des crédits suffisants permettra de recruter massivement dans un vivier de jeunes qui aujourd’hui n’ont pas de débouchés. En amont, cela stimulera les inscriptions dans les facultés de sciences. Il y a urgence : depuis 1995, le nombre de jeunes bacheliers qui s’y inscrivent a diminué pratiquement de moitié.
  10. Le crédit d’impôt recherche (CIR) a eu des effets positifs mais, comme le souligne la Cour des comptes, est trop coûteux (5,8 milliards d’euros affectés par l’Etat en 2009) et donne lieu à des abus caractérisés (effets d’aubaine pour les très grandes entreprises, inclusion de frais ne correspondant pas à une recherche utile, comme celle d’algorithmes mathématiques permettant de mieux spéculer sur les marchés financiers…). Je suis donc favorable à son maintien mais à condition que l’on intensifie les contrôles pour prévenir les fraudes et éliminer les abus de droit, qu’on restreigne son bénéfice aux initiatives socialement utiles et qu’on module son taux en fonction de la taille des entreprises, en proportion inverse à leur chiffre d’affaires, pour favoriser le décollage des PME dont nous avons tant besoin.
  11. Enfin, notre réseau d’établissements et de lycées français à l’étranger, en coordination avec nos attachés et conseillers scientifiques, devra systématiquement détecter les élèves, les étudiants et les futurs chercheurs susceptibles d’apporter en France un « air du large » et des compétences nécessaires à la stimulation de notre dispositif. Cela suppose qu’on arrête de diminuer nos budgets d’action à l’étranger.

Ce n’est pas en faisant comme aujourd’hui, avec un État qui abandonne progressivement la recherche fondamentale et impose des dispositifs de pilotage administratif et de surveillance tout en prétendant offrir plus d’autonomie, ce n’est pas en adoptant le modèle libéral anglo-saxon en le barbouillant de bureaucratie, que l’on dégagera un horizon pour demain.

C’est l’intégration entre éducation, recherche, entreprise, action intérieure et action internationale qui permettra de donner une plate-forme de décollage à une société fondée sur le projet et la mission, à la frontière du savoir et de sa communication au plus grand nombre.