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La « réforme » des collectivités territoriales : dépendance financière, démantèlement de la vie locale, ruine de la solidarité

lundi 17 janvier 2011

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La loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales vise à relayer la loi des marchés financiers. Son objectif aurait dû être de réorganiser les rapports entre les différentes collectivités en évitant doublons et conflits de compétences, de les libérer d’une dépendance financière arbitraire vis-à-vis de l’Etat et de mettre en place un dispositif de péréquation réel qui réduise les inégalités de ressources entre territoires. Bref, il aurait dû s’agir d’une politique d’aménagement du territoire digne de ce nom, enrichissant à tous les niveaux le vouloir vivre en commun. Au lieu de cela, on étrangle sans simplifier ni clarifier quoi que ce soit. Cet étranglement est voulu par les marchés financiers, en application de la règle du jeu imposée par la City et Wall Street, dont le gouvernement Sarkozy-Fillon s’est fait la courroie de transmission. La loi, dans son texte comme dans son esprit, vise à réduire tous les points de résistance existants ou éventuels en imposant autoritairement des regroupements et en transférant aux collectivités territoriales des attributions toujours plus nombreuses, tout en réduisant leurs dotations et sans leur accorder l’autonomie fiscale propre à les financer correctement.

Je partage la colère et le désarroi de ceux qui subissent ce traitement. D’autant plus qu’il intervient dans un contexte dans lequel l’Etat n’honore pas ses dettes envers les conseils généraux auxquels il impose sa réforme. Lors de ma campagne présidentielle, je suivrai de près toutes les suggestions de l’Association des maires de France, notamment son pacte pour les communes et communautés de France, et de l’Association des maires ruraux de France, dont les réflexions et les critiques nourrissent mon projet et mon combat.

Je dénonce le passage d’une intercommunalité choisie à une intercommunalité imposée, antichambre d’une disparition programmée des communes actuelles et des départements, et la promotion des métropoles et des conseillers territoriaux au détriment des échelons existants, sans par ailleurs que soit prévue une coordination institutionnelle entre métropoles, départements et régions. A se demander si cette usine à gaz a été créée pour ne pas fonctionner.

L’Etat se déshonore

Aujourd’hui, l’Etat ne verse pas aux départements les quelque 5 milliards d’euros de compensation au titre des dépenses sociales qu’ils ont encourues en raison du transfert de compétences. Il s’était engagé à le faire. Or cela n’a été fait ni pour l’aide personnalisée à l’autonomie (APA), ni pour le revenu de solidarité active (RSA), ni pour la prestation du handicap (PCH). C’est pour l’APA que le décalage est le plus flagrant : elle est attribuée à 1,1 million de personnes âgées pour un coût de 5,3 milliards d’euros, alors que la Caisse nationale de solidarité active ne verse aux départements que 1,55 milliards d’euros. En ce qui concerne le RSA, qui est versé à 1,3 million de personnes, les départements versent 6,47 milliards d’allocations et ne perçoivent que 5,76 milliards de l’Etat. Enfin, la PCH, dont bénéficient 717 000 personnes, a coûté 843 millions aux collectivités pour seulement 509 millions de contrepartie. François Fillon a certes proposé en faveur des départements les plus menacés une mission d’appui qui accordera 150 millions d’euros sur un fonds d’urgence. Le caractère dérisoire de cette somme apparaît lorsqu’on la compare aux 5 milliards dus !

C’est un sénateur UMP, Bruno Sido, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France, qui s’est écrié, lors la session budgétaire du conseil général de Haute-Marne, le 9 décembre 2010 : « Les contribuables locaux que nous sommes ne peuvent plus payer seuls les surcoûts d’une politique nationale. A force de nous transférer des charges sans avoir en face les recettes, il arrive un moment où le budget ne passe plus.  » Pour qu’un élu de la majorité actuelle tienne publiquement ces propos, c’est que la situation est très grave. Elle sera pire cette année. En effet, une trentaine de départements risquent de se trouver en cessation de paiement et 80 % dans deux ans si le gouvernement reste sourd : le RSA est menacé dans les départements urbains, l’APA dans les départements ruraux.

La logique de démantèlement financier implique tout le monde. Les collectivités locales abandonnent au privé le financement et l’exploitation de leurs équipements et de leurs services. Les recours à des contrats de partenariat public-privé se multiplient, même sur de petits chantiers comme l’éclairage public ou un collège. Les villes et les communes bradent leurs avoirs. C’est ainsi que la ville de Laval vend la Peugeot 607 de l’ancien maire, un camion benne à ordures et des illuminations de Noël…

Cependant, tout n’est pas perdu pour tout le monde. Selon le député UMP Gilles Carrez, le remplacement partiel de la taxe professionnelle par la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) constitue un « allègement historique de la pression fiscale ». Le cadeau aux entreprises s’élèverait à plus de 5 milliards d’euros, une somme supérieure à ce que l’Etat refuse de verser aux collectivités territoriales, correspondant aux compensations des dépenses sociales ! Tout est dit. C’est dans ce contexte révélateur qu’a lieu le « big bang » des collectivités territoriales. Selon l’aveu même d’Edouard Balladur, qui a inspiré cette réforme, on s’attaque aux collectivités les plus appréciées des Français, les communes et les départements.

L’intercommunalité imposée

 La loi est claire : elle confie au préfet le soin d’imposer l’intercommunalité. L’objectif est « l’achèvement et la rationalisation de la carte de l’intercommunalité » , avec une « couverture intégrale du territoire » par des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre d’au moins 5000 habitants, l’opération devant être achevée d’ici le 31 décembre 2013 au plus tard, en trois étapes :

  • de la publication de la loi au 31 décembre 2011, il sera élaboré un « schéma départemental de coopération intercommunale » , sous la seule responsabilité du préfet, qui peut faire toutes les propositions de fusions, suppressions, inclusions, transferts qu’il jugera utiles. Ses propositions seront transmises pour avis aux conseils municipaux et conseils d’organismes de coopération concernés, puis à la Commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), toujours pour avis. Celle-ci ne peut modifier les propositions du préfet qu’à la majorité des 2/3. Ainsi, une proposition préfectorale recueillant 40 % des voix sera réputée favorable. Le schéma est arrêté par le préfet et « approuvé au plus tard avant le 31 décembre 2011 ».
  • entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012, le préfet arrête les projets d’EPCI à fiscalité propre.
  • entre le 1er janvier et le 31 décembre 2013, le préfet achève le travail.

Le regroupement sera ainsi subi sans réelle concertation.

Une intercommunalité antichambre de la disparition des communes

Les dispositions visent à faciliter le transfert du maximum de compétences et de ressources aux EPCI :

  • le nombre de délégués prévu par la loi ne résulte plus de l’accord lors de la création de l’EPCI. Un siège est attribué à chaque commune et des sièges complémentaires sont répartis en fonction de la population. Les communes, en cas de modification des périmètres, ne se prononcent plus sur le nombre de délégués. C’est une rupture avec le principe de coopération volontaire.
  • on aboutira ainsi à une forte réduction du nombre de délégués communautaires, du nombre de vice-présidents et de bureaux. Le pouvoir se trouvera concentré entre les mains du président de l’intercommunalité et d’un nombre limité de vice-présidents, avec leurs proches conseillers. C’est revenir sur le principe d’égalité entre les maires de communes, quelle que soit leur taille.
  • la représentativité des communes dans les CDCI passera de 60 % actuellement à 40 %. Les cas où les décisions doivent être prises à la majorité qualifiée pour être applicables sont réduits. C’est la disparition des verrous protecteurs des communes. Par exemple, le transfert de compétences ne nécessite plus que l’accord de la moitié des communes représentant au moins la moitié de la population. C’est la possibilité donnée aux intercommunalités de « siphonner » les compétences des communes à la majorité simple.

Les intercommunalités reçoivent les moyens de devenir des « quasi communes », sur le mode apparent du volontariat mais avec de fortes incitations financières. Ces « communes nouvelles » impliqueront soit la disparition des communes existantes, soit leur transformation en communes déléguées, à titre révocable.

En même temps, les départements, touchés de plein fouet par la réforme des finances locales et dépourvus de droit ou de fait de leur compétence générale, seront menacés, les plus peuplés par la création de métropoles, les plus petits par la substitution des conseillers territoriaux aux conseillers généraux. Tous seront progressivement empêchés de jouer leur rôle de redistribution en faveur des territoires ruraux. Les maires ont raison de redouter un désengagement massif des conseillers généraux et demain territoriaux dans le financement des projets municipaux.

Les métropoles contre les communes, les départements et l’Etat

Le texte prévoit la création d’un EPCI à fiscalité propre de type nouveau, la métropole, constituée d’agglomérations et de communautés urbaines de plus de 450 000 habitants. Celle-ci héritera obligatoirement de deux compétences des départements, les transports scolaires et la gestion des routes départementales. De plus, des transferts de compétences et des moyens du département ou de la région vers la métropole seront réalisés « par convention ». Cependant, s’agissant de la compétence « développement économique », des « aides aux entreprises » et de la « promotion à l’étranger du territoire et de ses activités économiques », « si la convention n’est pas signée dans les 18 mois à compter de la réception de la demande, les compétences seront transférées de plein droit à la métropole » . Les dépenses transférables représenteront de l’ordre de 80 % des dépenses actuelles des départements. Ici apparaît un point fondamental : l’Etat applique les critères de « compétitivité urbaine » conformes aux objectifs de Lisbonne. Les métropoles se substitueront aux départements, aux communes et aux régions, empiétant progressivement sur les souverainetés nationales dans une réorganisation des espaces publics en « taches de léopard » sous domination de nouveaux féodaux étendant leurs activités à l’international, comme on peut le voir dans les nouvelles baronnies de Lyon, Paris, Bordeaux ou Lille. Métropolisation et densification sont ainsi les deux mamelles de ce nouveau féodalisme, qui dilue la gouvernance territoriale des Etats-nations et prive les communes de leurs compétences et des contributions fiscales de leur territoire. Autant dire que ce ne seront plus des communes. Autant dire que l’Etat sera démembré.

Les conseillers territoriaux, gérants de l’usine à gaz financière

Pour gérer le système, on a prévu des conseillers territoriaux. Ces nouveaux élus siègeront à la fois dans les conseils généraux et régionaux. Le nombre de conseillers généraux sera réduit de 6000 à 3000. Le mode de représentation deviendra « essentiellement démographique », après le découpage de la carte actuelle des cantons en nouvelles circonscriptions de 20 000 habitants. Il y aura donc une réduction jusqu’à l’absurde des conseillers généraux des départements peu peuplés. La Lozère serait réduite à 3 cantons (contre 25 actuellement) et la Haute-Loire à 15 (contre 35).

Dans les départements les plus peuplés, ce système hybride peut soit aboutir à une « cantonalisation » des régions, chaque département venant y faire son marché sans souci de vision d’ensemble, soit à des chambres d’enregistrement des décisions régionales. Dans les petits départements, c’est sans aucun doute la seconde hypothèse qui prévaudra. Partout, les conflits d’intérêt se multiplieront, fatalement au détriment des plus faibles et des plus pauvres, car la logique du tout est financière.

Tout sera donc à refaire. Mon ambition présidentielle est de revenir dans ce but à une concertation véritable entre Etat et collectivités, dans le cadre économique d’une séparation des banques de dépôt et des casinos financiers, sans laquelle toute « réforme » est condamnée à se soumettre au monde de l’argent et à gérer le chaos.

Jacques Cheminade

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