Dans le cadre des présidentielles 2017, www.le-fret.com, un site qui couvre les actualités dans le domaine du transport et de la logistique, a interrogé les candidats dont Jacques Cheminade, fondateur du parti politique Solidarité et progrès, afin de connaître sa vision du transport routier et de l’avenir du transport routier des marchandises (TRM).
Comment peut-on rendre de la compétitivité aux transporteurs ?
D’abord, je préconise la création d’un ministère à part entière de l’Aménagement du territoire et du Transport (maritime, fluvial, ferroviaire, aéroportuaire et routier) pour impulser et coordonner les transports dans notre pays. Ce ministère opèrerait comme une administration « transversale », motivant les compétences dans les autres ministères sans en bouleverser l’organisation.
Il faut libérer l’organisation de la chaîne logistique d’une vision purement financière et à court terme. On gagnera la bataille de la compétitivité en gagnant la bataille de l’excellence, c’est-à-dire celle de la qualité des performances. Pour y arriver, je débloquerai les moyens nécessaires pour repenser de fond en comble le transport intermodal et ceci à l’âge du numérique. Je veillerai à requalifier l’ensemble de la profession dans ce sens et je m’appliquerai à simplifier au plus vite un cadre normatif disparate et contraignant.
Je tiens à souligner que, contrairement à ce que croient certains, l’amélioration du portuaire, du fluvial et du fret ferroviaire permettra d’augmenter de façon considérable l’efficacité du transport routier. Rappelons qu’aujourd’hui, une marchandise met cinq fois plus de temps pour voyager entre Le Havre et Paris qu’il y a un siècle ! Or, 87 % de cette marchandise part du port normand par des routes… saturées.
La solution serait d’une part de permettre aux barges poussées évoluant sur la Seine d’accéder directement aux terminaux de conteneurs du Havre et d’autre part de requalifier la dette de la SNCF en dette d’Etat afin qu’elle puisse investir de façon conséquente dans un fret ferroviaire opérant en bonne intelligence avec le transport routier. Et enfin, pourquoi ne pas envisager la construction de lignes d’aérotrains nouvelle génération pour voyageurs, notamment sur le tronçon Paris-Rouen-Le Havre, afin de libérer le réseau ferroviaire classique et le réseau autoroutier au fret ?
Quelles seraient les mesures à prendre au niveau européen ?
Je défendrai cette approche au niveau européen ou trop peu d’argent a été réellement investit dans les infrastructures de transport. Je ferai par ailleurs supprimer la directive sur les travailleurs détachés. La précarisation des chauffeurs routiers ne peut en aucun cas demeurer la variable d’ajustement d’un système qui ne pense qu’à faire des meilleures marges de profit à court terme et n’investit plus dans l’avenir pour être efficace et pérenne.
Comment financer les infrastructures sans pénaliser les transporteurs ?
Pour les infrastructures de transport et les grands chantiers d’équipements, je préconise une vraie réforme bancaire visant à libérer l’argent et le crédit. D’abord, en séparant de façon stricte les banques commerciales des banques d’affaires (Glass-Steagall Act), l’argent des ménages et des entreprises sera mis à l’abri des spéculations. Ensuite, en reprenant le contrôle de l’émission monétaire et du crédit, l’Etat, au lieu de s’endetter sans fin auprès des banques privées, se donnera de nouveau les moyens pour investir dans les grands projets d’équipement à long terme dont nous avons urgemment besoin. Car l’accroissement de la productivité d’un pays dépend précisément du niveau de qualification de sa main-d’œuvre, de la qualité de ses équipements énergétiques et de ses infrastructures de transport.
Après les épisodes des portiques écotaxe quelle est votre vision si vous êtes élu ?
J’ai toujours considéré l’écotaxe, tout comme la hausse constante des taxes sur les carburants, comme une absurdité (on taxe le travail !) et comme un aveu d’échec.
Comment financer alors les investissements ? En premier lieu, grâce à ma politique de crédit public, je rétablirai d’urgence les dotations aux collectivités territoriales permettant la maintenance indispensable des routes départementales.
Ensuite, au niveau autoroutier, je me permets de rappeler qu’après Jospin et Fabius eurent ouvert le bal, c’est sous le gouvernement de Dominique de Villepin que les autoroutes ont été privatisées. Alors que la Cour des comptes estimait leur valeur à 25 milliards d’euros, elles furent vendues pour 14,8 milliards à sept sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) : Asf/Escota et Cofiroute pour Vinci, APRR/AREA pour Eiffage et Sanef/SAPN pour Abertis. Si leur chiffre d’affaires a bondi de 26 % depuis, c’est essentiellement grâce aux péages, en hausse de 20 % depuis dix ans. Or, force est de constater que les profits n’ont pas été réinvestis dans le développement du réseau mais sont allés engraisser les actionnaires. Tout en contractant une dette de 31 milliards d’euros, le taux moyen de distribution annuelle des dividendes de ces sociétés depuis 2006 a été de 136 % ! Or, à chaque fois, le gouvernement, cédant au chantage d’amis bien placés (notamment Alain Minc chez Vinci), a accepté de prolonger la durée des concessions (1,5 milliard d’euros payés en dividendes en 2013) en échange de quelques maigres investissements de leur part.
Concrètement, je décréterai un gel immédiat du tarif des péages et je résilierai les concessions autoroutières. En clair je défends une renationalisation dont le coût (15 à 20 milliards d’euros) sera amorti en moins de 10 ans de fonctionnement au tarif en cours et sous condition d’un aménagement de leur dette. L’argent collecté par les péages ira utilement compléter l’investissement dans la modernisation du transport intermodal.
Expression libre : Quelle est votre vision de ce secteur d’activité en tant que future président de la république française ?
Je pense qu’il s’agit d’un secteur d’activité de première importance en tant que segment essentiel d’un transport intermodal de plus en plus intégré, économe et efficace. Comme beaucoup d’autres métiers dits « manuels », il est urgent revaloriser l’image d’une profession méconnu qui devient de plus en plus complexe et très loin des clichés qui datent d’une époque révolue.