Extraits de l’intervention de Jacques Cheminade lors de la réunion de rentrée des militants Solidarité & Progrès d’Ile-de-France qui s’est tenue le 13 septembre à Clichy avec une centaine de participants.
En cette rentrée, plus que jamais, le problème qui se pose est celui de notre identité. On peut dire : « Je suis ce que je suis », c’est-à-dire : « Je reste un imbécile, non pas parce que je le suis mais parce que si je ne change pas, je suis un imbécile. » Ou on peut dire : « Je serai celui que je serai », c’est-à-dire : « Je me fixe le futur comme horizon et je sais que je dois donner au futur toutes les ressources que je puis trouver en moi-même. »
Ce sont deux manières absolument opposées de voir son identité, et celle qui permet à cette société d’avoir un avenir, au sein de la crise dans laquelle elle est plongée, c’est de se définir par rapport au futur et à ce qu’on peut lui donner. Si on veut simplifier les choses, il y a d’un côté Curiosity et les suites du Discovery – le futur – et de l’autre, oligarchy et austerity – le présent.
Cela veut dire quelque chose de très clair. Dans la domination actuelle de l’oligarchie financière qui utilise le monde comme son territoire (et il ne faut pas confondre mondialisation, qui est un fait souhaitable, et mondialisation financière, qui est destructrice de notre avenir), vous avez comme horizon, parce qu’il y a une contraction de la capacité de créer une substance pour l’avenir, la guerre de tous contre tous.
Le triple bazooka de l’oligarchie transatlantique
Nous vivons un jour tragique, parce que c’est le jour de la capitulation de la Cour de Karlsruhe devant l’empire financier, après les prouesses de M. Draghi qui a décidé, avec l’appui particulièrement fort du gouvernement français, d’ouvrir toutes grandes les vannes du crédit en faveur des banques. La BCE prêtait à l’origine à un à quinze jours pour assurer pratiquement la trésorerie des banques ; maintenant elle a décidé de prêter à 1 %, et en plus, d’acheter de façon illimitée dans le temps et dans le montant, toutes les obligations qu’on pourrait lui présenter de un à trois ans, ce qui transforme les obligations qui sont à dix, vingt ou trente ans, par nécessité des banques qui doivent s’adresser à la BCE, en obligations de un à trois ans, c’est-à-dire en court terme.
Nous vivons dans une société qui vit de plus en plus dans le vertige du court terme. Un pays comme la France emprunte à court terme, et comme il y a énormément de liquidités qui circulent, elle apparaît relativement comme un refuge, et on veut bien lui prêter à taux négatif, à un ou deux ans. Là aussi on est dans le court terme, dans une société qui se débat dans le court terme, créant de l’argent avec une équipe de faux monnayeurs dont Mario Draghi [est le chef]. Même Jean-Claude Trichet garde un reste d’honorabilité puisqu’interrogé par Arte sur Draghi et sa filiation à Goldman Sachs, il a répondu : « Vous ne m’avez pas posé cette question » ! C’est extraordinaire.
Les choses sont claires. De plus, Bernanke est probablement en train d’annoncer aujourd’hui aux Etats-Unis que lui aussi ouvrira toutes grandes les vannes du crédit. Voilà donc un double bazooka en Europe, permettant de lancer de l’argent et de la fausse monnaie sur le marché : la récente décision de la BCE [d’intervenir de façon illimitée sur les marchés secondaires] et le Mécanisme européen de stabilité (MES), que la Cour de Karlsruhe vient de bénir. En ajoutant les allègements quantitatifs que Ben Bernanke aura accordés aux Etats-Unis, on a un triple bazooka à l’échelle mondiale.
La situation est d’autant plus dramatique qu’elle porte au conflit. Je crois qu’aujourd’hui, même les Saint-Thomas qui ne croient qu’à ce qu’ils touchent, peuvent s’en apercevoir. Ce qu’ils touchent explose. C’est l’attaque contre l’ambassade états-unienne à Benghazi et maintenant à Sana, au Yémen. Vous avez les provocations qui jouent et des étincelles qui jaillissent près d’un armement thermonucléaire.
Un autre monde est possible
Voilà la situation aujourd’hui dans le monde. Mais les choses sont aussi autrement. Vous avez aussi ce que le télescope Hubble, lancé dans l’espace par la navette Discovery en 1990 [continue à nous apprendre sur notre galaxie]. Le télescope Hubble permet de voir ce qui est plus loin dans l’espace et qui traduit des phénomènes qui se sont produits dans le temps, il y a longtemps (on appelle cela les radiations fossiles, un terme qui est un peu faux) et également de discerner les fameuses exo-planètes, les planètes rocheuses autour d’autres soleils où les champs sont très forts. Il y aurait environ 1000 milliards de soleils-étoiles dans notre galaxie et mille milliards de galaxies dans le monde…
C’est intéressant d’aller y voir et d’essayer d’y savoir. Cela donne un grand optimisme, car on peut aller voir le monde tel qu’il est, on peut le connaître, on peut le comprendre. Nous sommes mieux que l’homme des cavernes, qui avait un peu peur qu’un ours tombe de la Lune !
Il y a aussi Curiosity, nommé ainsi par une fillette de 12 ans aux Etats-Unis. C’est le fameux Rover qui est arrivé sur Mars, qui nous met en contact direct, à la vitesse de la lumière, avec cette planète. C’est intéressant pour trois choses. Nous entrons dans un domaine au-delà de la perception des sens : c’est le rapport à la vitesse de la lumière avec Mars et avec Curiosity, c’est l’utilisation du laser de notre ChemCam de Thalès, embarquée sur Curiosity et qui balaie les roches à une température énorme pour pouvoir les vaporiser. Vous êtes dans un domaine qui est l’infiniment grand, qui est l’accès au système solaire et au système galactique. En même temps, on est dans une société qui s’intéresse à l’infiniment petit, où on est aussi au-delà du domaine des sens, dans les fameuses nanotechnologies, sur lesquelles on s’avance trop, à mon sens, sans théorie, et en manipulant pour voir ce qui se passe sans assez réfléchir aux causes.
Nous sommes dans un domaine au-delà des sens, et face à ce monde-là, du « je serai ce que je serai », vous pouvez avoir confiance et vous dire : c’est extraordinaire, nous voilà dotés d’autre chose que des reflets sur le mur de la caverne ; ou on peut avoir peur comme les écologistes : « Oh là là ! ça ne se voit pas, ça ne se sent pas, ça me menace. Qui me dit que cette chose ne se retournera pas contre moi ? » Sans comprendre que ce sont des choses qui sont avec nous, dans notre Univers, que nous sommes capables de discerner et de voir aujourd’hui, avec des instruments artificiels, alors qu’auparavant, évidemment, avec nos seuls instruments physiques – nos sens – nous ne pouvions pas le faire.
C’est très important de partir de ce point de vue, parce que nous ne pouvons pas sortir de cette crise dans laquelle nous sommes, de l’intérieur du système dans lequel nous sommes enfermés, un système de l’oligarchie financière bien établi et bien contrôlé. Nous ne pouvons en sortir que dans un système social, politique et aussi éducatif qui créera l’environnement favorable à un développement mutuel. Notre combat se livre contre ce système existant, non pas parce nous ne l’aimons pas, mais parce que c’est un ordre destructeur, dans lequel on est enfermé comme dans une cage.
Ni sensations ni déduction logique : créer est le propre de l’homme
Cela veut dire qu’on ne peut pas se fier à la tradition, à ce que nous déduisons du passé. On doit agir en faisant l’hypothèse de ce que sera le futur, c’est-à-dire en se sentant soi-même mentalement à la frontière, pour voir ce que nous sommes en train de mettre en place, qui est aussi à la frontière, et qui définit la possibilité de continuer le développement de l’espèce humaine.
Pourquoi, direz-vous ? Parce que c’est ce qui différencie tout simplement l’homme de l’animal. L’animal ne prévoit pas le futur ; il s’adapte à l’environnement qui lui a été donné, avec son intelligence plus ou moins grande d’animal, mais il ne crée pas un environnement pour peupler davantage l’univers dans lequel il est. L’un des animaux les plus rétrogrades, le panda, mange tellement de joncs, de bambous, qu’il y passe pratiquement toute sa journée. Il n’a pas le temps de faire autre chose. Il a l’air très gentil, mais il est là, à manger, manger, manger…
Dans cette campagne présidentielle que j’ai menée, les journalistes et même une très grande partie de l’électorat se comportaient comme des animaux, parce qu’ils ne veulent pas voir le futur. Il faut avoir l’honnêteté de le voir et le dire.
Si nous n’amenons pas ce combat pour le futur, nous ne pouvons pas sortir du système. La paix n’est pas l’absence de guerre ; la paix c’est éradiquer les conditions qui créent la guerre. Jamais un défilé pour la paix n’a arrêté la guerre. Créer les conditions dans lesquelles il y a une entente, une détente et une coopération entre les peuples, voilà ce qui créera les conditions dans lesquelles la guerre ne se fera pas. Quelle est l’arme qu’il faut contre la guerre ? C’est l’arme de la créativité humaine, la capacité de créer et de donner un sens aux gens que cet avenir peut être meilleur, pourvu qu’on pense à ces hypothèses faites sur lui.
Les conséquences brutales sur la France
Je crois qu’il faut commencer par avoir un sens assez brutal de la situation dans laquelle se trouve la France. Nous vivons dans une France qui est la conséquence des politiques suivies depuis plus de quarante ans, depuis pratiquement 1971, date du découplage entre l’or et le dollar – cela ne veut pas dire qu’il faille à tout prix une référence métallique. Il faut une référence, car s’il n’y en a pas, la monnaie devient instrument de jeu, et alors, on peut imprimer de la fausse monnaie comme on veut, et on joue, on crée plein de liquidités et pas du tout de production. [C’est ce qui a provoqué] toute cette dérégulation financière qui a permis de faire des montages sidérants, et on a ôté l’autorité d’un Etat régulateur et créé un libre échange qu’on a substitué au juste échange. On a créé ainsi toutes les conditions pour que les joueurs puissent jouer et que les faux monnayeurs puissent imprimer leur fausse monnaie.
Conséquences en France : 18 millions de Français sont de 50 à 150 euros près, en fin de mois, 1/5 des Français ont un découvert bancaire, 4 millions et demi gagnent moins de 780 euros par mois, le seuil de pauvreté qui est très bas en France. C’est 7,5 % de la population, à peu près le même nombre que ceux qui vont glaner à la fin des marchés ou dans les supermarchés quand les magasins jettent leurs produits périmés en fin de journée. Le taux de chômage des non diplômés, 11 % en 1975, et combien aujourd’hui ? 52 %, cinq fois plus ! La croissance, dans les années 60, 4,8 % par an (…), dans les années 80 : 1,8 %, dans les années 90, 1,5 %, dans les années 2000 : 0,8 à 1 %, et aujourd’hui 0 à 0,5 % !
Cela veut dire une chose : dans les années 60, en moyenne, pour doubler son pouvoir d’achat, il fallait 20 ans ; dans les années 80 et 90, 70 ans ; dans les années 2000, 100 ans, et aujourd’hui, 150 à 200 ans !