Nous venons d’apprendre que l’Etat français a pris une hypothèque légale sur tous les biens possédés par Jacques Cheminade. La première décision concerne un renouvellement, le 10 février 2010, de l’hypothèque légale du Trésor sur son domicile, qui avait été prise le 14 octobre 1998. Les deux autres concernent les modestes biens lui appartenant, hypothéqués à leur tour par le Trésor le 22 février 2010. Ces initiatives, faisant suite à diverses saisies-attributions sur ses comptes bancaires, ont été prises pour obtenir le remboursement par M. Cheminade des 159 449,02 euros représentant l’avance consentie par l’Etat en faveur de son compte de campagne lors de l’élection présidentielle de 1995, entre-temps devenus, du fait de divers frais et commandements à payer, 171 325,46 euros.
L’Etat français tire ainsi les conséquences du rejet du compte de campagne de M. Cheminade par décision du Conseil constitutionnel, après délibéré dans ses séances des 28 et 29 septembre et des 3, 5 et 11 octobre 1995. Il est révélateur que ce soit maintenant, quinze ans après cette décision, que le Directeur général des Finances publiques et de l’Ile-de-France et du département de Paris ait lancé cette nouvelle offensive, au moment même où Jacques Cheminade annonçait sa candidature aux présidentielles de 2012.
Nous avions dit dans ce journal que le spectre de l’injustice de 1995 se manifesterait en 2010. C’est chose faite.
Le compte de campagne de M. Cheminade a été rejeté pour avoir présenté des prêts de personnes physiques, alors autorisés, obtenus pour rembourser ses dettes de campagne après la date de l’élection, ce qui est également autorisé. Le Conseil lui a cependant reproché de n’avoir pas soumis d’engagements préalables de la part des prêteurs et de présenter des prêts sans intérêts, ce qui aurait manifesté de leur part des « intentions donatoires ». C’est ce rejet qui a conduit le ministère de l’Intérieur à demander au Receveur des finances de récupérer la somme alors avancée par l’Etat.
Trois choses en soi sont extraordinaires dans cette affaire. La première est que M. Cheminade se soit trouvé contraint de rembourser sur ses avoirs personnels des dépenses politiques qui n’ont jamais été contestées. La contestation portait en effet sur les recettes. Or il faut remarquer qu’un prêt, selon le Code des impôts, ne se caractérise pas par la présence ou l’absence d’intérêts, mais par l’obligation de restituer. Le juges ont donc, en quelque sorte, endossé une conception usurière du prêt. De plus, ils n’ont pas demandé à M. Cheminade de produire les engagements préalables, dont il disposait en ce qui concerne les principaux prêts. Enfin, les juges n’ont pas, dans leur décision, exprimé la nécessité pour M. Cheminade de rembourser, alors qu’ils l’ont explicitement fait dans un autre cas de rejet, sept ans plus tard.
Cependant, ce n’est pas là que trouve le plus grand scandale. C’est qu’au regard de ce qui était reproché à M. Cheminade, à supposer que l’on puisse considérer le reproche comme fondé, MM. Balladur et Chirac avaient fait ce que la jurisprudence elle-même reconnaît être bien pire. M. Chirac, dont le trésorier de campagne était M. Eric Woerth, a de notoriété publique dépassé tous les plafonds autorisés. Tandis que M. Balladur a versé plus de dix millions de francs en espèces sur son compte, sans pouvoir réellement se justifier et sans répondre aux lettres recommandées lui demandant des explications. Les rapporteurs avaient d’ailleurs demandé le rejet de son compte, ce à quoi les juges ont passé outre en l’acceptant. Le directeur de campagne et ancien ministre du Budget de M. Balladur était Nicolas Sarkozy. Il est de notoriété publique que les juges n’ont pas rejeté ces deux comptes car ils se trouvaient embarrassés de devoir appliquer la loi alors que le peuple avait voté. La vox populi l’a ainsi emporté sur le Droit.
Aujourd’hui, il apparaît que les liquidités versées sur le compte de M. Balladur pourraient correspondre au versement de rétrocommissions liées à la vente de sous-marins Agosta au Pakistan. Nous ne voulons et ne pouvons pas nous prononcer sur cette affaire, qui est d’une gravité exceptionnelle.
En tous cas, le spectre de 1995 est entré en scène en 2010, telle la statue du Commandeur dans le Don Juan de Mozart.