Dans son dernier numéro,Les Inrockuptibles publie une enquête spéciale de six pages sur le scandale des comptes de campagne de 1995 montrant comment Roland Dumas a, d’une part, fait « maquiller les comptes » de Balladur et Chirac, et, d’autre part, fait invalider sans raison les comptes de Jacques Cheminade pour le pousser à la ruine politique et financière. Consacrant un quart de leur enquête au cas Cheminade, les deux journalistes des Inrocks relèvent bien que l’Etat le poursuit encore aujourd’hui pour le remboursement de 170 000 euros, alors que « l’ennemi de la finance » est à nouveau candidat...
Voici l’extrait de l’enquête consacré au cas Cheminade :
(...) Et pour ne pas passer pour des incompétents, pour montrer qu’ils remplissent leur mission de vérificateurs des comptes, ils prennent la décision de sanctionner un petit candidat indépendant. La farce démocratique trouve alors son dindon.
Il s’appelle Jacques Cheminade. L’ennemi de la finance, le candidat du groupuscule Nouvelle Solidarité qui rêve de concilier le socialisme jaurésien, le christianisme social et le gaullisme de rupture. 0,27 % des voix. Les sages trouvent dans ses comptes de campagne une petite anomalie. Ils estiment que 1,7 million de francs de prêts sans intérêts, offerts par des particuliers, sont des dons déguisés qui « constituent pour le candidat un avantage ». Conséquence : Cheminade doit rembourser l’avance d’un million de francs accordée par l’Etat pour ses frais de campagne ! Pour lui, pas de négociations. En août 1996, l’Etat saisit ses biens. Seize ans plus tard, il lui réclame encore 170 000 euros alors qu’il est à nouveau candidat à la présidentielle de 2012.
Jacques Cheminade juge la procédure abusive, puisque même la jurisprudence de la Commission des comptes de campagne recommande qu’en matière politique, les taux d’intérêts peuvent être nuls... Nos deux anciens de Conseil constitutionnel, Jacques Robert et Maurice Faure, ne sont pas fiers du traitement infligé à ce petit candidat. Ils reconnaissent que, honteux du cadeau fait à Chirac et Balladur, ils se sont refait une virginité sur son dos.
Jacques Robert : « Pour montrer que nous étions indépendants, nous avons invalidé Jacques Cheminade, alors qu’il n’avait commis que de légères erreurs. Pour lui, nous n’avons eu aucun problème de conscience : il a eu tous ses biens hypothéqués. ». Un appartement de 60 mètres carrés à Paris et une vieille maison de famille en Auvergne. « Bien sûr qu’il y a eu inégalité de traitement ! » , reconnaît aussi Maurice Faure. Quant à Roland Dumas, il s’en défaussera sur un plateau de télévision en mai 2011, avec cette phrase cruelle mais tellement révélatrice du fonctionnement réel de l’institution : « Jacques Cheminade était plutôt maladroit. Les autres étaient adroits... ». Au téléphone, nous lui demandons le sens de cette remarque, ce qu’elle implique dans la conception qu’on peut avoir du droit appliqué aux puissants. Il nous répond ceci : « J’ai voulu dire ce que j’ai dit. » Rien de plus.
En 1995, ces longues journées de débats et le sacrifice d’un « maladroit » ont blessé la conscience du Conseil constitutionnel. Le dernier jour des délibérations, un déjeuner est organisé avec les neuf membres du Conseil constitutionnel et les trois rapporteurs qui demandaient l’invalidation des comptes. Ces derniers refusent l’invitation. Comment s’est déroulé le déjeuner ? Jacques Robert le résume en souriant : « Nous avons parlé d’autre chose... »
Aujourd’hui, de graves questions se posent sur le rôle et le pouvoir du Conseil constitutionnel. Après avoir violé son serment en 1995, peut-il encore se prévaloir d’être un conseil des Sages ? Reste-t-il légitime pour vérifier les comptes des candidats de l’élection présidentielle qui vient ? Noëlle Lenoir pense que cette institution, trop politique devrait totalement changer son mode de fonctionnement. « Je souhaiterais plus de transparence. Il me semblerait beaucoup plus sain que le Conseil constitutionnel ne soit pas aussi le juge électoral. Dans cette instance très politique, tout le monde se connaît. Je trouve gênant de statuer sur la situation de personnes que vous retrouvez le lendemain au cours d’une réception, avec qui vous avez siégé dans un gouvernement ou qui ont été vos opposants politiques. »
Notons que Jacques Cheminade avait tenté, à l’époque, d’invoquer la partialité de Roland Dumas : ce dernier était l’avocat du Canard enchaîné et il avait dans les années 1980 plaidé contre Cheminade dans un procès en diffamation. L’argument n’avait pas porté. (...)
Notre vidéo 1995-2012 : le combat de Jacques Cheminade contre le péril financier
Dans le projet présidentielle de Cheminade : Pour un pouvoir judiciaire citoyen et Mettre fin au scandale français du financement de la vie politique.