Le débat officiel sur la nocivité du monde de la finance est désormais ouvert en France, après les remises en cause de Jean-Luc Mélenchon et de François Hollande. Cependant, outre que l’on devrait faire confiance au médecin qui a fait le bon diagnostic le premier et non aux ouvriers de la onzième heure, il faut bien dire que ce débat reste toujours mal posé. François Hollande, par exemple, dénonce un « véritable adversaire » qui « n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti ». Or le monde de la finance a bel et bien un visage, celui de la City de Londres et de Wall Street. Si l’on est réellement disposé à combattre cet adversaire, il faut d’abord l’appeler par son nom, ce que nous faisons ici depuis longtemps. Le parti qui l’a au contraire défendu existe. C’est celui d’une droite de plus en plus complaisante envers l’oligarchie financière et d’une gauche de tous les compromis depuis que François Mitterrand a cyniquement jugé que l’on ne pouvait rien contre elle, comme le rapporte Danielle dans ses Mémoires. Jean-Luc Mélenchon et François Hollande ne remettent en cause ni cette filiation ni leur passé à son service.
Pire encore, François Bayrou prétend rétablir la justice sociale et une priorité industrielle tout en continuant à faire payer par notre peuple les dettes de jeu contractées par les établissements financiers spéculateurs. Loin de remettre en cause l’illégitimité de ces dettes, il entend nous soumettre à une rigueur destructrice, conséquence inéluctable de la règle d’or de l’équilibre budgétaire dans un système où les fondements mêmes des budgets sont illégitimes.
Certes, François Hollande et même Jean Peyrelevade, conseiller de François Bayrou, appellent à voter une loi sur les banques qui les obligera à séparer les activités de crédit de leurs opérations spéculatives. Cependant, Bayrou assure que son ennemi est le chômage, non la finance, comme s’il ignorait que la finance dominante a été la matrice du chômage, avec la complicité du népotisme d’Etat dont il a été longtemps l’un des serviteurs et avec lequel il semble encore chercher aujourd’hui des arrangements. Quant à François Hollande, l’on ne sait pas encore s’il envisage simplement de séparer les activités sous le même toit, ce qui conduirait inéluctablement à l’inceste financière, comme l’a démontré l’application de la loi Dodd-Franck aux Etats-Unis, ou s’il est favorable à une vraie séparation, suivant le modèle de la loi Glass-Steagall de Franklin Roosevelt.
Quoi qu’il en soit, aucun ne dit clairement qu’il faudra organiser la faillite des activités de marché, en les séparant des activités de gestion de dépôts et de crédit, en protégeant l’épargne populaire et le financement des entreprises productrices. Aucun ne propose de constituer une commission parlementaire chargée de séparer le bon grain de l’ivraie, avec des pouvoirs juridiques d’instruction. Aucun n’envisage, une fois la procédure de type Glass-Steagall appliquée, de mettre en œuvre une politique de crédit public permettant de financer de grands travaux d’équipement de l’homme et de la nature autour de laquelle peut seule être organisée une vraie reprise. Aucun ne mentionne le critère permettant de choisir les technologies et le mode de production d’énergie du futur, la densité de flux d’énergie par être humain employé et par unité de surface. Tous passent donc des compromis avec une économie « verte » qui ne peut en aucun cas assurer un avenir aux pays émergents, aux pays africains et aux générations futures. Et lorsqu’un pays comme l’Iran essaie ainsi de se doter du nucléaire civil, ceux qui le possèdent déjà sous sa forme militaire s’efforcent de le mettre sous contrôle.
Si nous ne vivions une terrible tragédie, l’effondrement d’un mode de société et un risque de guerre, il serait permis de rire devant cette incapacité généralisée dont l’agitation ultime de Nicolas Sarkozy est la contribution la plus comique.