Pourquoi je m’oppose au changement de politique de la Banque Européenne d’Investissement (BEI)
Par Jacques Cheminade
Paris, le 9 novembre 2019 – Le débat actuel sur le changement de politique de prêt de la Banque européenne d’investissement (BEI) pose un risque grave.
Ce changement d’orientation, précisé en détail dans le projet formulé par les équipes de la BEI en juillet 2019, propose (p. 14) — en vue de se conformer aux engagements pris par l’UE (dont les Etats membres composent les actionnaires de la banque) lors de la COP21, c’est à dire les accords de Paris sur le climat de 2015 — d’abandonner totalement tout investissement dans les infrastructures énergétiques faisant appel aux hydrocarbures, et pas seulement la tourbe et le lignite, et le charbon, également le pétrole et le gaz :
« 19. Une fois en place, cette politique signifie que la Banque aura une position claire et ne supporterait plus la mise en place de projets d’infrastructures pétrolières et gazières, l’exploitation du charbon, l’infrastructure dédié au charbon, au pétrole et au gaz naturel (réseaux, terminaux de GNL, stockage), et la production d’électricité ou de chaleur à partir de ressources fossiles (charbon, gaz, pétrole, tourbe).
« 20. La décision de la Banque d’abandonner graduellement tout emprunt aux combustibles fossiles est un changement majeur dans sa politique. Afin de gérer cette transition en douceur, la Banque n’initiera plus de projets de ce type suite à l’adoption de cette politique et cessera tout prêt aux projets utilisant des combustibles fossiles d’ici la fin de 2020.
« 21. La banque prend acte du fait que les combustibles fossiles continueront à jouer un rôle dans le mix énergétique jusqu’à 2030 et que le basculement du pétrole ou du charbon vers le gaz naturel peut réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le court terme. L’abandon graduel de tout soutien à des projets énergétiques impliquant des combustibles fossiles reflétera une décision de la Banque visant à concentrer ses ressources limitées dans les investissements requis pour atteindre les objectifs fixés par l’UE pour 2030 et 2050, des objectifs qui représentent un fort besoin en investissement, une perspective à long terme et un défi d’investissement plus grand. »
A ce jour, seule l’Allemagne, déjà engagée dans sa sortie d’aussi bien le nucléaire que le charbon, s’oppose clairement à ce projet. Nos voisins d’outre-Rhin semblent avoir pris conscience que dépourvue de la flexibilité et la sécurité qu’offrent les centrales thermiques au gaz, la gestion des parcs éoliens et photo-voltaïques, s’apparente au cauchemar.
A cela s’ajoute que, par-delà l’impact destructeur sur l’économie physique, plombée par des énergies de faible densité et de nature intermittente, un virage aussi radical que celui envisagé par la BEI, mettant fin à tout soutien aux énergies fossiles, peut devenir le « point de basculement » de tout le système financier mondial, ce fameux « moment Minsky du climat » contre laquelle Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre n’a cessé de nous mettre en garde tout en faisant tout pour le provoquer.
En effet, un dés-investissement massif de ce type, hors des hydrocarbures, risque de provoquer, au niveau mondial, la dépréciation brutale et soudaine d’environ 20 000 milliards d’actifs actuellement engagés dans ce secteur.
Est-ce que les gouvernements européens joueront le jeu au point qu’une « terre brûlée » industrielle laissera la place à un New Green Deal offrant des énormes profits aux mégabanques au prix d’une destruction sociale ?