Déclaration de Jacques Cheminade, président de Solidarité et Progrès
Après une première année du gouvernement Macron-Philippe, la rentrée est calamiteuse. Un pays doit en effet être jugé à la manière dont il traite les plus dépourvus de ses citoyens et maintient son infrastructure. Le résultat est accablant.
Baisse programmée du pouvoir d’achat
des pauvres, des retraités et des familles
Le blocage du pouvoir d’achat salarial et la hausse de la part du capital financier dans notre Produit intérieur brut sont les deux marqueurs de la politique suivie. Les arbitrages décidés par le gouvernement vont se traduire par une baisse du pouvoir d’achat des ménages. Les retraités et les familles seront les plus atteints. Ainsi les pensions de retraite et d’invalidité, l’ensemble des prestations familiales (allocations familiales, allocation de rentrée scolaire, prime de naissance, mode de garde...), les aides au logement et l’indemnisation accident du travail-maladie professionnelle ne seront revalorisées que de 0,3 % en 2019 et 2020. Elles n’évolueront plus en fonction du niveau de l’inflation, comme c’était le cas auparavant, ce qui aboutira à une baisse nette de pouvoir d’achat, compte tenu d’une hausse des prix attendue d’au moins 1,7 % en fin d’année.
Le Premier ministre fait valoir que le minimum vieillesse (l’ASPA, allocation de solidarité aux personnes âgées) sera augmenté de 35 euros en janvier 2019 et d’autant en janvier 2020, et que l’allocation adulte handicapé (AAH) augmentera de 40 euros en novembre 2018, d’autant en novembre 2019, et de 100 euros supplémentaires en 2022.
Ces chiffres doivent être comparés aux montants de ces allocations : l’ASPA est actuellement de 833,20 euros par mois et l’AAH de 860 euros. Ce qui fait que, même en considérant les augmentations décidées, on en reste à des montants nettement inférieurs au seuil de pauvreté (60 % du revenu net médian), qui est de 1015 euros par mois ! Ce n’est pas un « pognon de dingue », mais l’aumône d’une dame patronnesse.
Certes, le RSA et l’allocation spécifique de solidarité ne subiront ni gel ni désindexation. Cependant, il faut bien considérer que le RSA atteint 550,93 euros au 1er avril 2018 (environ la moitié du seuil de pauvreté) et que 35 % de ses bénéficiaires légitimes ne font pas les démarches permettant de le toucher, faute de conscience de leur situation.
En ce qui concerne le SMIC, qui est de 1498,47 euros brut pour 35 heures par semaine, soit 1148,96 euros net, le gouvernement a décidé de maintenir le gel du point d’indice en 2019, ce qui non seulement abaisse le pouvoir d’achat des fonctionnaires mais a un effet économiquement négatif sur la demande intérieure.
Plus généralement, nos concitoyens qui n’ont pas eu la chance de pouvoir se qualifier et qui habitent hors des grandes métropoles, dans les banlieues et le monde rural, subissent à la fois une perte de pouvoir d’achat et un chômage de masse. Les agriculteurs, notamment les producteurs de lait et les éleveurs, souffrent d’une « concurrence libre et non faussée » qui les étrangle, tout en les asservissant à une Union européenne qui assure temporairement leur survie dans une dépendance qui vise à leur extinction.
Enfin, le gouvernement abaisse brutalement le nombre d’emplois aidés : 154 000 contrats budgétés cette année, contre plus du double en 2017, et l’on en prévoit encore moins en 2019.
En même temps, l’Etat réduit de moitié sa participation aux frais et encourage les préfets à réduire le nombre de bénéficiaires de l’autre dispositif, le parcours emploi compétences (PEC).
Les principales victimes sont les associations et les collectivités territoriales, qui devront se séparer de personnels indispensables à leur fonctionnement et réduire leurs investissements. Les maires, cœur de notre démocratie républicaine, démissionnent en série, ne pouvant pas supporter cette situation qui les oblige à sacrifier leurs projets ou à augmenter les impôts locaux jusqu’à en rendre la charge insupportable pour leurs électeurs.
Bref, la politique suivie est destructrice de notre tissu social : sous prétexte de favoriser les « premiers de cordée », on laisse les suivants glisser sur la pente en détachant leurs liens.
Depuis le début, Emmanuel Macron bénéficie de soutiens qui représentent les intérêts dominants de la société et qui ont assuré son ascension. Plus que le « Président des riches », il est ainsi celui de la mondialisation financière dont on veut croire qu’il en mesure encore mal les effets sur ceux qui en sont victimes.
Incapacité à maintenir les infrastructures
et des-aménagement des territoires
- Viaduc de Gennevilliers (92).
En même temps que cette politique anti-sociale continue à se mettre en place, l’Etat néglige ses infrastructures, qui datent de plusieurs dizaines d’années. Il n’en construit pas de nouvelles là où ce serait nécessaire et, en dehors des grandes voies de communication, laisse les anciennes se dégrader.
Après la chute du viaduc Morandi, à Gênes, un audit externe réalisé par le ministère des Transports a révélé que parmi les 12 000 ponts gérés par l’Etat français, 30 % devraient être rapidement réparés et 7 % présentent un risque d’effondrement. L’entretien des 173 000 autres ponts, gérés par les collectivités locales, dépend des régions. Certains sont encore en plus mauvais état que les ponts publics non concédés et il n’existe aucune évaluation rigoureuse au niveau national. De très nombreux ouvrages d’art construits dans les années des Trente Glorieuses et jusqu’en 1980, exigent une maintenance qui n’a pas été prévue, sauf sur les grands axes.
Les routes sont elles aussi dans un état alarmant. Selon le rapport d’audit commandé par le ministère des Transports et réalisée par deux bureaux d’études suisses, Nibuxs et IMDM, environ 2000 km du réseau national (c’est-à-dire 17 % du total) non concédé sont à renouveler de toute urgence.
Sans mesures appropriées, 60 % des chaussées seront dégradées d’ici 2037. La valeur neuve des ponts hexagonaux gérés par l’Etat étant de l’ordre de 200 milliards d’euros et celle des routes de 250 milliards (pour les 12 000 km d’autoroutes et les 9000 km de routes nationales), le total atteint donc 450 milliards. Actuellement, le budget public de maintenance est de 800 millions d’euros par an avec la promesse d’atteindre 1 milliard, auquel il faut ajouter la maintenance du réseau autoroutier par ses concessionnaires.
Or, sur ces 450 milliards – ce qui est, selon toutes les études, le montant nécessaire à assurer le bon fonctionnement de l’ensemble du système national ponts/routes – il faudrait en allouer chaque année 1,5 %, soit environ 6,75 milliards. Une forte augmentation des dépenses publiques est donc nécessaire, ainsi qu’un meilleur contrôle par l’Etat de la maintenance effectuée par les concessionnaires autoroutiers. Restent les voies départementales et communales, c’est-à-dire plus d’un million de km, dont on peut estimer la valeur patrimoniale à environ 1500 milliards d’euros.
Là est sans doute le problème majeur, car l’Etat a réduit les ressources qu’il apporte aux collectivités territoriales, les contraignant à réduire leurs dépenses de fonctionnement, leurs frais de maintenance et leurs investissements, ce qui se répercute sur l’état du réseau routier qu’elles ont à gérer.
Le réseau ferré français est également un patrimoine en danger. L’âge moyen de nos voies est de 33 ans (contre, par exemple, la moitié en Allemagne) et de 25 ans pour nos appareils de signalisation.
La catastrophe de Brétigny, survenue en 2013, pourrait se produire ailleurs et l’on y pallie en augmentant le nombre de voies auxquelles on impose un passage au ralenti : 4000 km environ, un chiffre qu’on augmente de 10 % par an ! Cela ne concerne pas les voies à grande vitesse mais les quelque 20 000 à 25 000 km de lignes inter-cités, dont certaines n’ont pas fait l’objet d’investissements nouveaux depuis 30 ans et parfois davantage.
Ce sont les citoyens les plus défavorisés, de même que ce sont les territoires ruraux et les banlieues les moins riches, qui se trouvent peu à peu abandonnés. Le principe républicain de péréquation (même prix du service public et même accès où que ce soit sur le territoire national) se trouve progressivement – et de plus en plus rapidement – bafoué.
Ainsi les plus dépourvus se trouvent assignés à leur territoire, le phénomène se trouvant aggravé par la baisse du prix des logements dans les territoires abandonnés et la hausse vertigineuse des prix dans les métropoles, là où se trouvent les emplois. Un gouvernement qui sert « la France des startups » laisse ainsi la cordée se fragmenter et les grimpeurs les plus éloignés des premiers s’en détacher autant socialement que territorialement.
Insuffisance des investissements dans les technologies et les emplois du futur
- Amphithéâtre bondé à la Faculté de Montpellier.
Face à la situation de ce qui est qualifié dans les allées du pouvoir de « monde d’avant », on prétend mener une politique qui permettra une insertion dans le « monde de demain ». Or celle-ci n’est en rien à la dimension du défi.
La création d’un fonds français de 10 milliards d’euros dédié au financement des technologies du futur, dont les textes ont été signés en janvier 2018, a belle apparence.
En réalité, les apports ne seront que d’environ 200 millions d’euros par an, issus du rendement annuel d’actifs constitués au sein de BPI France pour 1,6 milliard et d’environ 8,4 milliards d’euros de titres EDF et Thalès qui resteront propriété de l’Etat. Beaucoup de bruit pour rien par rapport à l’importance du défi.
L’initiative européenne JEDI (Joint European Disruptive Initiative), visant à fédérer l’essentiel des grands centres de recherche des startups deep tech et des groupes technologiques en France et en Allemagne, paraît, elle aussi, attrayante. Elle propose la mise en place d’un autre financement des innovations de rupture sur le modèle de la DARPA américaine.
Cependant, son budget initial est de 238 millions d’euros, contre un budget annuel de 2,4 milliards d’euros pour la DARPA. JEDI ne pourra donc pas soutenir des projets à plusieurs millions d’euros pour stimuler la création, car pour l’instant, il lui manque les fonds et l’état d’esprit. Ce n’est donc pas ainsi, en procédant à pas de tortue, que l’on pourra être à la hauteur des avancées de la Chine et des Etats-Unis.
Quant à la politique énergétique, les Allemands ont déserté le nucléaire et, en prétendant passer aux énergies durables, ont de fait repris les investissements dans des centrales dépendant du charbon et de la lignite, pour un coût de l’électricité deux fois supérieur au nôtre.
De notre côté, si nous avons pour l’instant conservé nos centrales nucléaires, tout en prévoyant de réduire de moitié leur part dans la production d’électricité en 2050, nous n’avons ni raisonnablement prévu le coût de leur démantèlement lorsqu’il sera nécessaire, ni d’en construire de nouvelles en poussant les feux des centrales à fission de la quatrième génération, comme celles de thorium à sels fondus et celles à fusion contrôlée. Nous nous en tenons ainsi à une vision à court terme, sans prendre réellement en compte les défis du futur.
L’un des principaux problèmes, souligné tant par les chercheurs et les opérateurs associés au projet JEDI que par ceux associés à la recherche sur la fusion, est que nous ne prenons pas en compte ce qu’ils appellent le « capital humain ».
En effet, comment organiser un projet cohérent concernant toutes les technologies de rupture si les rémunérations des enseignants, des doctorants et des chercheurs ne tiennent pas compte de leur importance pour le futur de notre société ? Sans un effort en ce sens, accompagné d’une éducation créatrice de la jeunesse, l’Europe et la France seront condamnées à faire, au mieux, du surplace.
Globalement, notre politique nationale et internationale conduit au blocage de notre croissance exprimée en termes du Produit intérieur brut existant et à une décroissance de notre économie physique productive, ce qui induit la baisse du pouvoir d’achat.
Pour 2018, les prévisions de croissance de notre économie, qui était de 2 % en rythme annuel, ont été ramenées à 1,8 % ou 1,7 % : ce qui était déjà très bas se réduit encore et les services y tiennent une part de plus en plus grande !
Si l’on ne peut accuser le gouvernement Macron-Philippe d’être la cause de cette politique autodestructrice, puisqu’elle est poursuivie depuis plusieurs années, il faut précisément leur reprocher de la poursuivre en tentant de faire croire le contraire.
La soumission à une Union européenne devenue la courroie de transmission de la dictature financière mondiale, imposant monétarisme, dérégulation et privatisation généralisée, est le symptôme de cette maladie incurable si l’on ne change pas de médecine.
La privatisation, imposée par les recommandations de la Commission européenne, de nos quelque 150 barrages hydroélectriques illustre cette folie. Le but est bien de casser le monopole d’EDF, dont personne ne contexte l’excellent travail effectué dans ce domaine, au nom de la doctrine de la concurrence et pour le plus grand profit des vautours privés qui attendent leur part du gâteau.
Débat scandaleusement détourné du sujet fondamental
Les effets que nous venons d’exposer sont bien entendu mesurés et critiqués par différents mouvements et partis politiques, mais s’ils proposent des initiatives sur ce qu’ils voient comme différents sujets, aucun ne remonte aux causes et aucun ne se bat pour un projet d’économie et de société répondant au défi.
- Charles De Gaulle et Pierre Mendès France à Evreux en 1944.
La droite classique et l’extrême-droite parlent de nation et de France en oubliant ce que cela signifiait pour le général De Gaulle en 1940, et d’économie ou d’Europe en oubliant ce pourquoi se battait un Pierre Mendès France. Cette « certaine idée » n’est pas la leur.
Benoît Hamon affiche des intentions généreuses, mais ses « valeurs » sont « une taxe robot au niveau européen », « mettre le droit à l’avortement dans les conditions d’adhésion » et « une dotation universelle minimum qui serait le premier pas vers un revenu universel ».
Jean-Luc Mélenchon prévoit une campagne européenne qui sera « avant tout anti-Macron ».
Ce qu’ils communiquent aux Français par rapport au défi du monde actuel apparaît bien comme ce qu’Alice entend dire au lapin aux yeux roses qui surgit au début de son Pays des merveilles : « Je suis en retard ! En retard ! En retard ! ».
La manière dont toute l’opposition s’est précipitée sur l’affaire Benalla, avec une passion qu’elle ne met pas ailleurs, mesure sur quel horizon ses yeux sont fixés. En ce sens, la nature de cette opposition est la chance d’Emmanuel Macron, dans un univers politique verrouillé par l’argent et les idéologies.
Et l’affrontement prévu au cours des élections européennes, entre progressistes et populistes, ou si on veut le dire autrement, entre souverainistes et mondialistes, passe à côté du sujet fondamental, qui est la nature des alliances à nouer contre la dictature financière.
Il serait pourtant simple de commencer par déverrouiller ce qui bloque la machine dans l’ordre intérieur et international.
- Contre les spéculations financières ? Séparer les activités de banque commerciale gérant les dépôts de celles des banques de marché, mettant fin à un jeu sur les marchés, protégé de fait par les Etats, et donc à la mainmise de la finance sur l’économie et la politique.
- Contre une Union européenne prédatrice et destructrice ? En sortir en refondant une politique européenne de développement mutuel, associée à la politique chinoise des Nouvelles Routes de la soie, qui vise à créer les infrastructures nécessaires au développement futur.
- Pour une reprise de l’économie et une hausse du pouvoir d’achat ? Investir dans les technologies du futur et l’emploi, grâce à l’arme du crédit public productif, permettant de recréer un horizon à long terme de développement mutuel gagnant-gagnant.
Avec quel argent ? En émettant ce crédit grâce à une Banque nationale administrée par des créateurs de ressources et non par des financiers prédateurs, un crédit investissant dans des projets engendrant les conditions de leur remboursement.
Au niveau international ? Un Nouveau Bretton Woods, branché sur de grands projets de développement mutuel et sur des monnaies associées à un système commun de référence, or ou « panier » de produits, remplaçant le monétarisme destructeur d’un dollar hors sol par un système de crédit constructif.
Évidemment, cela correspond à une conception du monde au sein de laquelle l’homme se donne la capacité de créer en se fondant sur des découvertes appliquant le principe de moindre action, c’est-à-dire sur les technologies les plus avancées et les formes d’énergie les plus denses.
Celles accroissant la productivité physique réelle (et non, bien entendu, financière) par être humain, par unité de surface et par masse de matière apportée. Celles qui impliquent la capacité de peupler l’univers, d’y vivre mieux en respectant le principe de responsabilité quant à leurs conséquences, et non une irresponsabilité « écologique », c’est-à-dire détachée du progrès de l’activité humaine qui rend les êtres humains scientifiquement responsables de la création.
On dira que c’est un « programme visionnaire », mais ceux qui le disent, ou bien n’ont aucune vision, ou bien ne voient que ce qui correspond à leurs habitudes.
Sans voir le risque immédiat de chaos financier ou de guerre dans le monde qui vient, si l’on continue à se complaire dans des querelles petites ou partielles, et donc sans affronter les véritables ennemis.
La rentrée est calamiteuse mais le pessimisme et la rage la rendraient encore pire. Mobilisons-nous donc pour cette « certaine idée » d’un monde repris à l’oligarchie, en profitant que cette calamité devienne désormais plus visible, donc plus facile à identifier et à affronter.
Battons-nous en tant que patriotes et citoyens du monde, une identité humaine nécessaire à notre temps.